Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
Tout au long des derniers jours, j’ai souvent pensé aux enfants, aux adolescents, aux parents et aux enseignants. Ceux de France, mais aussi ceux de partout dans le monde. Lorsque des événements traumatisants comme le sont des attentats surviennent, il faut savoir que les personnes sensibles sont comme des éponges. La force avec laquelle les médias mitraillent des images et des émotions fortes peut provoquer chez les jeunes d’étonnantes réactions sur lesquelles les éducateurs doivent pouvoir rebondir.
Il s’agit d’être prêt à recevoir et d’éviter que les enfants restent pris, seuls, avec la douleur et les images de l’horreur.
Le 11 septembre 2001, j’en ai fait l’expérience dans l’école primaire que je dirigeais. Je me souviens de m’être dit au début de l’après-midi qu’il serait souhaitable que tous les élèves aient pu non seulement obtenir l’information la plus juste possible, mais qu’il fallait aussi essayer d’y apporter quelques éléments de contexte et de perpective. Je me suis personnellement occupé des élèves de troisième cycle et j’ai demandé aux enseignants des autres niveaux de le faire. Je voulais que les plus âgés parmi mes élèves sachent ce qui s’était véritablement passé, mais également, qu’au moment de rencontrer leurs parents à la sortie des classes, ils puissent avoir été quelque peu outillés pour pouvoir prolonger la conversation avec eux, s’ils en sentaient le besoin. J’avais informé les parents que j’avais fait cette tournée pourqu’ils puissent questionner leurs enfants, là également, si besoin était.
Ma tournée des classes du 11 septembre 2001 pour parler aux élèves et pour les écouter avait duré tout l’après-midi et elle demeure un des plus beaux moments de ma vie de directeur d’école.
Il y a lieu, dans des occasions comme celles des derniers jours, de ne pas laisser les enfants livrés à eux-mêmes.
Si les émotions sont spontanées, je me dis que les émotions démocratiques ne peuvent pas l’être et qu’il faut construire à partir d’un dialogue constant sur ce qui peut faire mal, ou simplement, demeurer mystérieux ou incompréhensible.
Il y a de nombreuses traces sur Internet de documentations qui peuvent inspirer un éducateur qui veut savoir quoi faire, aider à s’y retrouver, ou en parler à l’École. Que ce soit sous la forme d’une bande dessinée, d’une fiche pédagogique ou d’un petit journal, des outils de bonne qualité ont rapidement été diffusés. Plusieurs articles ont été publiés dans des grands quotidiens (1, 2, 3, 4, 5) sous le titre «Comment en parler aux enfants». Jeudi matin dernier, le ministère de l’Éducation nationale a expédié à tous les enseignants une lettre les invitant à répondre aux questions des élèves et à leurs besoins.
J’ai été particulièrement heureux de consulter un document du ministère qui a rendu compte des messages d’élèves. Si certains témoignages d’enseignants font état d’une journée très difficile, il faut saluer le professionnalisme de plusieurs qui ont eu à composer avec l’adversité. Quand un très jeune garçon balance en classe « qu’ils n’avaient pas le droit de se moquer du prophète », j’imagine facilement le genre de malaise et de confrontation qu’un enseignant doit pouvoir tout à coup gérer (source). Les minutes de silence autant que le confinement d’hier dans les établissements scolaires situés à l’intérieur du périmètre de sécurité n’ont pas dû être faciles à vivre non-plus. Les enseignants en entendent des vertes et des pas mûres, certains élèves allant jusqu’à justifier l’attentat contre Charlie Hebdo…
Parfois, ce sont les enseignants eux-mêmes qui ont besoin de témoigner jusqu’à quel point leurs élèves les impressionnent, comme dans cette classe de Seine Saint-Denis, une de ces fameuses banlieues de Paris.
Un document (.pdf) de sept pages est disponible gratuitement sur le site du Petit Quotidien en hommage aux victimes de l’attentat à la rédaction de Charlie Hebdo et peut avantageusement servir de base à la discussion entre un parent et un adolescent.
Les jeunes peuvent réagir de bien des manières. Généralement, les touts-petits parlent peu, sauf s’ils ont perçu de grandes émotions chez leurs parents. Ne plus se sentir en sécurité peut provoquer, bien entendu, des questionnements. Je suis assez à l’aise avec l’idée qu’il faut laisser venir les adolescents avant d’aborder directement le sujet, pour un parent. Surveiller leur comportement, recevoir leur colère, recadrer les amalgames douteux ou tout simplement être là pour répondre à une question est important. S’il faut expliquer en tenant compte de l’âge et de la maturité de son enfant, il ne faut ni banaliser ni infantiliser à outrance. Les adolescents en particulier éprouvent souvent le besoin de mettre leurs propres mots sur des événements contenant une charge affective aussi forte.
Pour que l’après « Charlie » avec les enfants soit constructif, il ne faudra pas sous-estimer les répercussions possibles et redoubler d’ardeur pour établir un dialogue constant avec les enfants. Bien les informer sur la base des questions qui surgissent commande beaucoup d’attention. Il faut saisir les bonnes occasions quand elles se présentent et ce n’est pas toujours quand c’est l’adulte qui décide que c’est le bon moment !
N.B. J’ai publié en début de billet un autoportrait de Stéphane Charbonnier (alias Charb, directeur de la publication « Charlie Hebdo » assassiné plus tôt cette semaine) issu d’un billet d’un copain en France qui a beaucoup travaillé avec lui. Il faut savoir que Charb était très engagé par son travail en éducation et qu’il a publié de nombreux dessins de 1998 à 2015.
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