Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
Inutile de revenir sur 2014, une des pires années depuis longtemps en éducation au Québec. Faux débat sur le redécoupage des territoires des commissions scolaires, absence de vision, déclarations décevantes et propos insipides, il est temps de tourner la page sur autant d'inepties et de mauvaises notes. Je regarde vers l'avant et je vois quinze belles réalisations qui pourraient faire de 2015 une belle et bonne année !
- Que nous puissions bâtir une vraie communauté d'éducateurs sur la base d'apprendre à partager la mission d'instruire en répartissant la charge de transmettre sur un plus grand nombre d’épaules. Cela suppose moins de hiérarchies et plus de mises en réseaux. L'éducation a grandement besoin d'un autre type d'organisation sociale que celle où chaque individu est subordonné à un autre. Vivement l'avènement d'un leadership ouvert et inspirant où la confrontation laisse toute la place à la collaboration.
- Que les travaux des élèves et des étudiants soient diffusés dans un large public. Il faut réaliser toute la frustration et le non-sens engendrés par le fait de ne travailler que pour un enseignant ou un professeur. Dans un monde où il est si facile de diffuser et publier, chaque enseignant doit se rendre compte que pour devenir signifiant, un travail doit pouvoir être lu, vu ou entendu par une audience qui saura reconnaître le contexte d'apprentissage et les vertus du commentaire constructif. Les écoles, les collèges et les universités doivent installer des fenêtres là où il y a actuellement des murs.
- Que les enseignants adoptent plus souvent des postures d'apprenant. Que chacun se dote de son espace personnel d'apprentissage en réseaux. Que l'innovation et l'expérimentation y soient encouragées et partagées. Que les meilleures pratiques tiennent compte des données probantes issues de résultats de recherche éprouvés. Que les enseignants et les professeurs puissent repérer et développer ensemble ces meilleures pratiques. Qu'il soit possible de discuter en public d'enseignement et de pédagogie sans être ostracisé ou passer pour un exalté. Que la norme devienne de se questionner et de se ressourcer.
- Que la classe cesse d'être un des seuls endroits dans la vie où se parler entre personnes soit considéré comme étant une bien mauvaise chose.
- Que les cadres scolaires cessent de passer plus de temps dans la paperasse qu'ils en consacrent à animer leur milieu.
- Qu'on mette fin aux débats stériles sur les structures scolaires, qu'on donne du vrai pouvoir aux écoles et qu'on cesse d'avoir peur en éducation de la force des milieux locaux. Surtout, qu'on cesse de croire que l'empowerment et l'engagement des personnes se construisent du haut vers le bas. La fin du décrochage scolaire n'arrivera que lorsque cessera les approches mur-à-mur.
- Parlant de décrochage, que l'énergie et les ressources soient davantage consacrées au dépistage précoce, à l'intervention spécialisée et au suivi systématique en bas âge afin que TOUS les enfants du Québec sachent bien lire et écrire à sept ans. D'ailleurs, le fait que 49 % de la population au Québec soit analphabète fonctionnel devrait nous révolter et nous inciter à se doter de stratégies musclées pour diminuer cette terrible statistique derrière qui se cachent de vraies personnes qui ont du mal à saisir le sens d'un texte simple en essayant de le lire. Et s'il faut plus d'arguments, demandons-nous quel projet de société ce serait que tout notre monde sache lire et devienne capable de saisir le sens complet de toutes lectures ?
- Que les médias s’intéressent un peu plus à ce qui fonctionne bien dans les écoles, les collèges et les universités.
- Que certains penseurs du monde de l'éducation cessent de considérer le numérique comme étant une NOUVELLE technologie. Que le lieu «classe» représente encore beaucoup d'avenir pour l'enseignement, mais qu'on tienne davantage compte de tout ce qu'on peut mieux faire ailleurs.
- Que le ministère de l'Éducation (et celui qui s'occupe d'enseignement supérieur), en premier, et les institutions scolaires ensuite, deviennent des organisations apprenantes. Qu'ils se montrent inspirés par le changement, qu'ils encouragent l’expérimentation, qu'ils communiquent la réussite et l’échec, qu'ils facilitent l’apprentissage en s’appuyant sur les apprenants et qu'ils le valorisent. Que tous les milieux génèrent entre eux un sentiment de sollicitude et de soutien mutuel.
- Qu'une réflexion honnête sur nos pratiques en évaluation soit entreprise. Et si en bas âge, on ne considérait l'évaluation que sur une base formative et qu'ainsi, avant le secondaire, on cessait de donner des notes pour se concentrer réellement sur les processus d'apprentissage ? Et si la reconnaissance des compétences acquises avant le milieu du secondaire passait davantage par un système d'insignes (badges) numériques plutôt que par une notation uniquement centrée sur la sanction et le tri social ? Et si on étudiait réellement la possibilité offerte par le pouvoir des données publiques et ouvertes en matière d'évaluation dans les collèges et les universités pour encourager l’innovation et contribuer au développement des secteurs stratégiques (par exemple) ?
- Que les parents (les pères de famille en particulier) prennent davantage de temps pour raconter à leurs adolescents quelle sorte d'étudiant ils étaient et que surtout, ils cessent d'exagérer leurs réussites devant leurs enfants pour passer du temps de qualité à expliquer comment ils ont composé avec l'échec. Qu'ils insistent sur les processus de résolution de problème qui commencent souvent par faire des erreurs. Qu'ils se racontent de toutes les manières possibles, par écrit si c'est trop difficile de parler. Qu'ils s'enregistrent, à la limite. Qu'ils mettent moins l'emphase sur les résultats obtenus au détriment «du comment» ils sont parvenus à surmonter les difficultés puisque ce changement d'attitude pourrait complètement changer notre rapport collectif à l'évaluation.
- Que le modèle d'affaires des universités soit questionné. En public. Entre administrateurs. Une sérieuse remise en question. Entre professeurs et chercheurs. Et si l'auditorium rempli à pleine capacité d'étudiants passifs en train d'assister à la présentation d'un maître qui ne répète que ce qu'il a publié / écrit / présenté ailleurs et qui est déjà accessible en ligne, ne convenait plus aux apprenants d'aujourd'hui ? Et si les étudiants cessaient de payer des frais de scolarité pour assister à des présentations qu'ils peuvent recevoir gratuitement ? Et si le modèle de la pédagogie inversée pouvait complètement changer la donne à l'université ? Peut-être aussi des réponses à ces questions pourraient nous aider à mieux former nos futurs enseignants, tant qu'à y être…
- Que cesse le monopole honteux des maisons d'édition entretenu par le ministère de l'Éducation. Que la chaîne traditionnelle de production des manuels scolaires soit profondément remise en question et qu'on repense la mise en disponibilité de la littérature scolaire sur la base de la capacité des enseignants et des professeurs à mutualiser pour produire dans des environnements collaboratifs des ouvrages gratuits sous licences ouvertes en formats papier ou numérique. Qu'on prenne acte de l'incapacité fonctionnelle et administrative des ministères à approuver cette littérature ou de s'assurer des mises-à-jour adéquates et qu'on renverse la responsabilité vers les auteurs pour qu'ils se justifient publiquement. En gros, que les enseignants et les professeurs puissent s'impliquer davantage dans la confection du matériel didactique et que ce travail soit mieux reconnu et davantage rémunéré. Que les capitaux engagés dans ce secteur se déplacent des monopoles protégés vers les individus, ainsi libérés des contraintes sclérosantes.
- Que les conseils d'établissement des écoles publiques du Québec deviennent la pierre d'assise sur laquelle l'éducation repose. Si on souhaite vraiment l'égalité des chances avec l'école privée au Québec, c'est ce qu'il faut faire. Il y a longtemps qu'on sait inutiles et inefficaces les campagnes contre le financement public de l'école privée comme celle actuellement diffusée dans les médias par la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) et je m'étonne énormément que les enseignants membres de ce syndicat ne se soulèvent pas contre ces sommes d'argent littéralement jetées par les fenêtres. À quand une vraie prise de conscience sur le fait que la force d'attraction des écoles privées auprès des parents est en grande partie liée à leur autonomie administrative, au grand sentiment d'appartenance développé par les membres de leur organisation dont le taux de roulement est bas et à leur capacité à innover dans le respect des traditions pédagogiques organisationnelles stimulées par l'absence de hiérarchies inutiles au-dessus de leur conseil d'administration ?
Je m'engage pour cette nouvelle année à continuer de travailler en ce sens.
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