Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
Près de 200 emplois semblent avoir disparu avec la fermeture de la chaîne d’information continue Sun News qui a cessé définitivement ses activités vendredi matin. Mais il n’y a pas que ces pertes d’emplois, la fin de l’aventure débutée en avril 2011 laisserait également voir un échec des promoteurs à présenter des informations suffisamment factuelles et argumentées pour offrir une perspective rassembleuse et rentable.
Officiellement, Sun Média (une filiale de Quebecor Media) cherchait des acquéreurs depuis plusieurs mois et n’en n’aurait pas trouvés. Compte tenu des importantes pertes financières (46,7 M$ sur trois ans, selon The Globe and Mail) «et avec aucun espoir de rentabilité, la fermeture s’imposait comme une conclusion inévitable» (source).
Mais il convient d’explorer plus avant les hypothèses expliquant cette non-rentabilité.
Parmi les articles des grands groupes médias francophones qui traitent du sujet (1, 2, 3, 4), on ne trouve pas beaucoup de renseignements susceptibles de nous aider à réellement comprendre ce qui se serait passé. Deux blogues ont néanmoins attiré mon attention, dont un en anglais.
Avant d’y venir spécifiquement, une tentative de diversion mérite quelques lignes. Un représentant de la droite au Québec a rapidement réagi devant la fermeture annoncée pour s’inquiéter qu’au Québec, on ne se désolerait pas des pertes d’emplois chez Sun News, voire qu’on s’en réjouirait. C’est faux. La plupart des sources consultées en parle de ces pertes d’emplois (dont Infopresse, dans son «lead»), la chroniqueur Nathalie Collard a tout de suite souligné le fait et certains médias ont traité, à même le titre, de la nouvelle (article de La Presse Canadienne).
Pas de danse généralisée sur le cadavre de Sun News au Québec, même si certains individus semblent penser qu’il s’agirait d’une bonne nouvelle.
C’est le cas, me semble-t-il, du chroniqueur télé du journal Le Soleil Richard Therrien. «Les tenants de la droite ont été incapables de faire vivre la seule chaîne ouvertement de droite au pays», affirme-t-il dans un billet de son blogue.
«Toutes les fois que SUN News a fait parler d’elle depuis sa naissance, c’était pour les frasques de ses animateurs et les choix douteux de ses dirigeants, comme celui de confier une émission (éphémère) à Rob Ford.»
Richard Therrien écrit que «la chaîne a fait l’erreur de croire qu’elle gagnerait des adeptes en provoquant des scandales sous prétexte de « dire les vraies affaires », une stratégie qui l’a menée à sa perte.
Cette analyse me paraît être superficielle, même si les faits rapportés ne sont pas nécessairement faux.
Le blogueur Steve Faguy (connu sous le pseudonyme Fagstein) offre une analyse beaucoup plus profonde et sérieuse des causes de l’échec de Sun News, sans pavoiser. Dans un billet intitulé «Why Sun News Network failed», il explique autant ce qui n’est pas en cause que ce qui l’est.
Les décisions du CRTC, la compétition entre les méchants cablos, le fait que la chaîne ait eu un penchant conservateur ou que le Canada n’en ait pas nécessairement un n’expliqueraient en rien l’échec. Ni le fait que celui qui dirigeait l’entreprise lors du lancement de Sun News, Pierre-Karl Péladeau, «soit un séparatiste en lice pour le leadership du Parti québécois».
Son plus gros problème serait ailleurs.
Fagstein blâme plutôt le fait que «la business de la nouvelle», ce ne soit pas un domaine payant, que la chaîne ne dispose pas d’un réseau important comme «CBC et CTV news channels» ou que Sun News ait préféré l’argument au détriment de l’information. En gros, l’information n’aurait pas été présentée pour donner un point de vue différent, mais à titre de prétexte à chercher la chicane. De plus, on s’y ennuyait…
«My biggest beef with Sun News wasn’t that it spoke truth to power, or that it talked about the things the “mainstream” media wouldn’t, or that it dared offer a different perspective. I was all for those things. But watching it, and especially the primetime “straight talk” shows, I didn’t really feel like I was learning anything. Information was presented not so much to give a different perspective, but as the pretext to an argument or rant. I couldn’t trust what was being presented because I knew that any information that didn’t support the argument wouldn’t be shown on air.» (source)
On n’y apprenait rien et on ne pouvait pas avoir confiance à ce qui était présenté parce que les informations qui ne collaient pas à l’argumentaire de la ligne éditoriale de Sun News n’étaient tout simplement jamais mises en onde.
La chaîne disposait de faibles cotes d’écoute malgré qu’elle pouvait compter sur plusieurs abonnées. Le choix de se concentrer presque exclusivement sur des sujets «politics», sans vraiment apporter de nouvelles exclusives ou de couverture en direct n’a sûrement pas aidé, non plus.
Pour Fagstein, nombreuses sont les leçons à tirer… «Sun News was right about one thing: It often brought up issues and perspectives that we didn’t see in mainstream TV news».
On doit trouver une façon d’offrir aux Canadiens la perspective et les enjeux de la droite. Par exemple, la formule du débat aurait été meilleure que les longs monologues de Ezra Levant pour valoriser ses arguments. Il faudrait aussi que les échanges gagnent en respect. Les points de vue différents de ceux de la ligne éditoriale de Sun News faisaient souvent l’objet de moqueries et de dédain.
Le point de vue de Steve Faguy a le mérite d’être abondamment documenté et comprend plusieurs exemples expliquant les malheurs de Sun News, sans complaisance ou mépris. Aussi, son billet mène à plusieurs témoignages et analyses de gens de l’interne à Sun News et d’observateurs intéressés.
Vendredi matin, «on a perdu un réseau qui offrait une programmation riche en contenu canadien original et qui osait quelque chose de différent sur les ondes». C’est bien dommage.
«No one should be afraid of hearing differing opinions with an open mind…» – Steve Faguy
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