Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
J’ai été directeur d’une des seize écoles ciblées par le ministère de l’Éducation pour juger de la pertinence et du réalisme du nouveau programme de formation de l’école québécoise, élément phare de ce qu’on appelle communément «la réforme scolaire». J’ai été le témoin privilégié de plusieurs des ratés de cette réforme, mais aussi, de certains de ses succès. On comprendra que je sois tenté de commenter le rapport d’évaluation rendu public plus tôt cette semaine et abondamment discuté depuis la parution d’un article de Daphnée Dion-Viens, journaliste au Journal.
Depuis le lancement de la réforme, je ne compte plus le nombre d’articles ou de reportages négatifs qui font le constat d’un échec de la réforme scolaire ou de la façon dont elle a été implantée. Le rapport d’évaluation dont il a été question cette semaine est particulier puisqu’il découle d’une vaste enquête («évaluation du renouveau à l’enseignement secondaire», nommé projet ERES) commandée par le ministère de l’Éducation en 2007. Dirigée par le professeur Simon Larose de l’Université Laval, l’étude s’est déroulée de 2007 à 2013. Au total, 3 724 jeunes et 3 913 parents répartis en trois cohortes distinctes y ont participé.
Les résultats de l’enquête sont en droite ligne avec ce qui avait été rapporté en février 2011, dans un premier rapport d’étape : «Loin de donner les résultats escomptés, la réforme au secondaire aurait même nui aux élèves à risque et aux garçons» (source).
La très grande majorité des observateurs s’attendaient à ces résultats au secondaire. J’en suis.
À l’occasion de la parution du Rapport récent du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) sur l’état et les besoins de l’éducation 2012-2014, j’avais évoqué l’existence de quelques points faibles de la réforme, mais le sujet n’était pas clos. Dans la foulée des événements de cette semaine, il convient d’y revenir…
Le nouveau programme de formation de l’école québécoise découle d’un plan d’action ministériel, Prendre le virage du succès (1997), qui a été rendu public à la suite de la tenue des États généraux sur l’éducation lancés officiellement le 9 avril 1995. Le rapport final a été publié en octobre 1996. À ce moment, l’objectif poursuivi était la refonte du curriculum d’études «centré sur les matières essentielles et mieux adapté aux changements sociaux, économiques et culturels».
Les «matières essentielles» sont vites devenues des «domaines généraux de formation», des «compétences transversales» et des «compétences disciplinaires». Le vocabulaire de la réforme a été caricaturé sur toutes les tribunes et personne parmi les responsables de son implantation ne semblait capable d’expliquer clairement ce dont on parlait. Dans un épisode du téléroman «Les Bougon» diffusé en septembre 2004, papa Bougon se moquait déjà des «compétences transversales» en même temps que Maman Bougon ne comprend pas que sa fillette Mao ait obtenu «une demi-tarte aux fraises en géographie et un nuage en français…»
La réforme qui en prenait déjà pour son rhume au début des années 2000, ne s’est jamais vraiment relevée de toutes ces moqueries dans l’opinion publique.
Pour ma part, j’ai surtout été frappé du peu d’écoute de ceux qui en dirigeaient l’implantation. La démarche de l’école que je dirigeais s’est échelonnée sur trois années scolaires, de 1999 à 2002, et notre rapport d’expérimentation n’a même pas été considéré pour les ajustements à apporter. L’application obligatoire du nouveau programme qui a été implanté progressivement dans toutes les écoles primaire et secondaire du Québec s’est effectuée au primaire, pour une première cohorte d’élèves, en septembre 2000. Les premiers élèves «de la réforme», en théorie, sont à l’université…
Je me souviens de plusieurs formations données aux enseignants qui insistaient sur l’approche par projet. Certains comprenaient de ce qu’on leur donnaient comme consignes qu’il ne fallait plus «enseigner» comme tel des contenus de formation, mais «accompagner» les élèves dans leurs apprentissages. Ce «discours» ne passaient pas dans l’école que je dirigeais, ni dans certains autres milieux.
Pas étonnant qu’à partir de là, plusieurs dérapages aient eu lieu.
Je me souviens d’avoir été très surpris en lisant le livre Contre la réforme de Normand Baillargeon (pour qui j’éprouve beaucoup de respect) de découvrir le «constructivisme radical» et son personnage central, Ernst von Glasersfeld, dont je n’avais jamais entendu parler dans les nombreuses séances d’information/formation du MELS auxquelles j’ai participé.
La réforme qu’on critiquait dans ce livre et à beaucoup d’autres endroits, celle qui faisait l’objet de caricatures dans les médias n’existait pas vraiment dans la réalité des écoles, mais encore ici, le mal était fait sur le plan de la perception : c’était un échec sur toute la ligne et il fallait résister…
Par la suite, on a connu les débats autour de la nouvelle politique d’évaluation des apprentissages – des compétences – et l’adoption d’une nouvelle approche en adaptation scolaire qui faisait en sorte que davantage d’élèves en difficultés étaient intégrés dans les classes dites «régulières». Pas étonnant qu’en 2013, les enseignants du primaire et du secondaire affirmaient entretenir un mauvais rapport avec la réforme, rebaptisée depuis quelques années «renouveau pédagogique», ce qui avait laissé croire qu’on se souciait moins du retour à «l’essentiel» que de se mêler de la pédagogie. Intervenir sur les façons d’enseigner le programme n’a pas été bien reçu des enseignants et c’est facile à comprendre…
On entend souvent dire que les écoles privées n’ont pas implanté la réforme. Vrai et faux.
Elles n’ont pas implanté les folies qu’on rapporte ici et là sur la réforme (les pointes de tarte sur les bulletins, faire passer des élèves qui ne satisfont pas aux exigences, etc.). Le «constructivisme radical» n’a eu aucune prise dans le privé. Les enseignants des écoles privées n’ont jamais cessé d’enseigner des contenus explicites, même si plusieurs d’entre eux se sont centrés sur les «savoir-agir».
À ma connaissance au privé, on a étudié attentivement le nouveau programme de formation et on s’est sérieusement intéressé à l’approche par compétences. Si on n’a pas tenu compte des perceptions engendrées par le «virage pédagogique» (les écoles privées ont des traditions pédagogiques qui les empêchent de céder aux modes qui passent), on a pris du recul sur les manuels scolaires et le programme est devenu la référence sur ce qui était à enseigner, mais constitue un minimum.
On serait surpris de savoir à quel point les écoles privées ont été réceptives à saisir les meilleurs aspects de la réforme et les intégrer dans le projet éducatif de chaque milieu.
On oublie souvent de parler des réussites de «la réforme». Plusieurs volets constituent de belles avancées qui font presque l’unanimité maintenant, j’oserais dire. Je parle de l’instauration des conseils d’établissement dans les écoles primaires et secondaires publiques du Québec. Je répète souvent qu’il faudrait leur donner encore plus de pouvoirs, mais il faut quand même avouer que leur existence représente déjà une bonne mesure. Ensuite, il faut féliciter l’introduction de la maternelle à temps plein qui devint accessible à tous les enfants de 5 ans à compter du début des années 2000. La volonté d’intervenir dès la petite enfance n’est pas remise en question aujourd’hui et c’est un des acquis de la réforme. Maintenant, il faut intensifier le dépistage précoce et le suivi en bas âge.
La réforme visait aussi à revaloriser la formation professionnelle et technique pour mieux l’adapter à la réalité des jeunes et s’il reste encore beaucoup de travail à faire, on ne doute plus aujourd’hui que c’est la voie à suivre.
Le rapport d’évaluation de la réforme scolaire du chercheur Simon Larose fait mention des effets «contraires» aux objectifs recherchés. Si on ne parle pas d’effets négatifs «énormes» en ce qui concerne les taux de réussite, «il reste que même faibles, ces effets sont contraires à ce que les décideurs souhaitaient en implantant cette réforme du système éducatif».
Mal comprise, mal implantée et disposant d’une mauvaise presse en générale, la réforme souhaitée au sortir des États généraux sur l’éducation n’a probablement jamais eu lieu.
Il est encore temps de revenir à l’essentiel, de donner plus d’autonomie aux établissements scolaires et aux enseignants, puis d’ajouter un nécessaire virage numérique. On doit cesser de parler «de réforme» et se concentrer sur les aspects du programme de formation qui sont les plus porteurs de réussite : se centrer sur les apprentissages des élèves, plutôt que sur l’enseignement.
Ça ne veut pas dire qu’il faut cesser d’enseigner, ça veut simplement dire qu’on ne peut pas se contenter d’enseigner.
Une plus grande attention doit être portée sur ce que les élèves retiennent de ce qu’on veut leur faire apprendre.
Tous les élèves dans une classe n’apprennent pas les mêmes choses en même temps, au même rythme. Ces dernières années, les enseignants du Québec ont travaillé à en tenir compte…
Il faut accepter le constat d’échec «de la réforme», ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain concernant le nouveau programme de formation et recentrer l’attention sur les bonnes pratiques en classe et à l’école pour augmenter les taux de réussite.
Le rapport du CSE cité précédemment mentionnait le leadership pédagogique des directions d’établissement comme «facteur indéniable de succès» et c’est la bonne piste à suivre.
Les enseignants et les parents en ont soupé de ces discussions sur une réforme qui est dépassée aujourd’hui, de toute façon.
Regardons vers l’avenir…
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