Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
La rencontre historique de Samuel de Champlain avec les Premières Nations a débuté le 27 mai 1603 dans l’embouchure du Saguenay. Les différents peuples autochtones avec qui les premiers colons français venus en Amérique ont conclu des alliances depuis ce jour ont fait en sorte qu’Amérindiens et Canadiens-français sont devenus de très bons alliés pendant plus de 150 ans. Le documentaire de Carole Poliquin et de Yvan Dubuc, L’empreinte, propose une révision inusitée de l’identité québécoise actuelle à la lumière du serment d’origine des premiers arrivants, sous l’enseigne de la tolérance et de l’entraide.
Essentiellement, le film de 86 minutes qui sort en salle le 13 mars prochain tente de répondre à la question «Est-ce que les Québécois sont autre chose que des consommateurs nord-américain qui parlent français»?
Les valeurs qui ont fondé notre identité ne sont peut-être pas celles que les livres d’histoire racontent. C’est ce que l’empreinte nous permet de découvrir au fil des rencontres où Roy Dupuis interroge des anthropologues, des historiens, une psychanalyste, une poétesse innue, un fiscaliste et l’ancienne juge de la Cour d’Appel du Québec, Louise Otis, entre autres.
Il ne s’agit pas tellement d’un retour sur le passé que d’une réflexion sur nos valeurs contemporaines.
Je ne me doutais pas après avoir écrit un premier billet sur le film que je serais autant habité par le visionnement. Deux fois plutôt qu’une, j’ai pu assister aux projections privées. Bercé par la belle musique de Jorane, j’ai découvert une oeuvre profonde qui m’a beaucoup remué.
Un fil s’est rompu en Chemin
On entre rapidement dans le thème du documentaire par le récit de l’historien Denys Delâge qui raconte que les premières alliances avec les Montagnais ont permis aux nouveaux arrivants non seulement de s’adapter aux hivers rigoureux, mais de se mêler aux populations autochtones. Pour survivre au début du 17e siècle, la religion était beaucoup moins utile que le savoir des Amérindiens. Nos ancêtres ont pu s’installer, se marier et peupler la colonie. La façon d’élever les enfants était moins française que respectueuse des coutumes et des valeurs de ceux qui étaient là avant nous.
L’essor du mouvement coopératif, la place de la femme dans la société, la justice réparatrice et l’importance du secteur communautaire relèveraient de cette cohabitation harmonieuse sur 150 ans, basée sur les consensus et le développement d’une pensée beaucoup plus circulaire que hiérarchique. Bref, à cette époque, la communauté est beaucoup plus importante que l’individu.
Présents avec nous jusque sur les Plaines d’Abraham à l’occasion de la fameuse bataille contre les Anglais, «les Indiens» ont beaucoup influencé notre mode de vie pendant la période qui précède la conquête. Nos ancêtres sont des franco-amérindiens coureur des bois bien plus que des descendants de Frontenac en perruque et petit collant. Les liens d’autorité et l’aristocratie apparaissent bien davantage après la victoire du général Wolfe puisque jusque-là, la proximité avec le mode de vie des autochtones était entier.
Sous l’effet de ce qui s’est produit dans le cas des Acadiens, pour s’adapter et s’intégrer dans le régime anglais, les habitants de cette époque ont été contraints à prendre leur distance avec le mode de vie tout autant que les Amérindiens eux-mêmes.
À partir de là, il a fallu vivre autrement. Dans un segment très intense du film, Joséphine Bacon raconte à Roy Dupuis qu’heureusement, «une pensée ne meurt jamais si quelqu’un d’autre l’incarne, même si c’est beaucoup plus tard, et la perpétue».
Un fil s’est peut-être rompu avec la conquête, mais il y a plusieurs traces dans l’organisation de notre société actuelle des 150 années vécues dans l’harmonie et le consensus avec les peuples autochtones.
On n’est pas des sauvages
L’intervention de la psychanalyste Jacqueline Lanouette marque un deuxième temps fort du film quand elle explique que derrière notre refus apparent de s’identifier aux autochtones aujourd’hui, il pourrait y avoir une sorte de paradoxe. La force avec laquelle on se vante de ne pas «être des sauvages» cache peut-être une difficulté à s’assumer tel que nous sommes réellement. On nous a toujours caché que les premières vagues de Français débarqués en terre d’Amérique se sont bien davantage «ensauvagées» que les Amérindiens sont devenus Français.
«Passer pour des sauvages» après la conquête, était de nature à créer un traumatisme. Une certaine honte se serait développée et il serait grand temps d’en revenir…
Ne nous sentons-nous pas un peu «traîtres» de ceux avec qui nous avons déjà été très proches?
Revenir au serment d’origine
C’est l’une des raisons qui motive les auteurs à présenter leur film: que les Québécois se réapproprient leur histoire et leurs racines. Nous qui sommes parfois à la recherche d’un projet de société rassembleur, nous ne voyons pas celui qui crève le visage dans l’esprit du documentaire L’empreinte. La diffusion et le rayonnement de notre savoir-vivre ensemble à partir de ce que nous sommes est peut-être une des principales missions des Québécois. Qui d’autres possèdent dans son patrimoine une culture aussi sensible à tout ce qui touche l’harmonie, entre les hommes et avec la nature.
Dans ce contexte, notre devoir est peut-être de permettre l’intégration à notre société de ceux qu’on appelle encore «les Indiens» par l’éducation et l’économie.
On dit parfois des Québécois qu’ils ont des «problèmes» avec l’argent. Ceux qui en font beaucoup sont l’objet de bien des railleries. À l’écoute de cette oeuvre cinématographique, on en vient à se demander si rapport tortueux ne serait pas plutôt avec les inégalités apparues sur le tard, quand on regarde comment nos ancêtres vivaient en Nouvelle-France…
Se réconcilier avec notre histoire commune ce pourrait être de commencer par accepter que les 150 premières années de la Nouvelle-France «ont été bien plus indiennes que catholiques».
Les civilisations autochtones nous ont peut-être beaucoup plus influencés qu’on pourrait le croire.
L’idée de mieux résoudre qu’on ne l’a fait jusqu’à maintenant les problèmes reliés à notre identité avant de se diviser encore une fois dans des référendums que personne ne veut vraiment ressort du visionnement de ce film, quant à moi.
Les premiers arrivants sont venus en Nouvelle-France épris d’un besoin pressant de liberté. Ça ne donne pas l’envie de nous enfermer dans des débats stériles. L’envie de la liberté est encore là et peut nous aider à trouver les itinéraires qui nous permettront de revenir au serment d’origine.
Le visionnement de L’empreinte nous suggère de prendre bien soin des espaces de paroles que nous avons construit. J’invite tous les Québécois à se laisser surprendre par ce film qui nous rappelle que «la culture québécoise est le fruit d’un important métissage culturel avec les peuples Amérindiens».
Mise à jour du du 15 juin 2015 : Le documentaire L’empreinte sera diffusé à Ici Radio-Canada télé, le samedi 20 juin à 21h.
Tags: "...à d'où je viens" "La vie la vie en société" Cinéma
[…] avec les jeunes qui fréquentent les écoles JMM. J’imagine facilement après avoir vu le documentaire L’Empreinte jusqu’à quel point voir les terres de la vallée du Saint-Laurent du point de vue du fleuve […]