Fouille à nu : concentrons-nous sur le vrai problème !

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

Le rapport d’enquête indépendant sur la fouille d’élèves en milieu scolaire a été dévoilé cette semaine. Commandé par l’ex-ministre de l’Éducation Yves Bolduc qui s’était empêtré en février en commentant des évènements survenus à la polyvalente de Neufchâtel, il a fourni le prétexte qu’attendait l’actuel ministre François Blais pour interdire les fouilles à nu, même celles qui auraient pu être «très respectueuses».

J’avoue avoir emprunté l’expression dans le titre d’un article sur le même sujet au Devoir. J’aurais aussi pu écrire que François Blais a barré à clé une porte déjà bien fermée…

En évoquant la malheureuse déclaration de celui qui a fini par démissionner, on comprend mieux pourquoi ce rapport ne s’est concentré que sur l’aspect juridique de la problématique de la présence des drogues dans une école. L’essentiel est ailleurs, mais il fallait au moins sortir du paysage cette idée qu’il était possible pour une direction d »école de se lancer dans ce genre de manoeuvre.

On se souviendra que j’avais écrit sur le sujet au moment des évènements pour affirmer haut et fort qu’il n’y avait aucune «conditions respectueuses» pouvant encadrer l’exercice d’une fouille à nu dans une école.

L’ex-procureure de la couronne Francine Bouchard a analysé le Cadre de référence sur la présence policière dans les établissements d’enseignement et un arrêt de la Cour suprême relatif aux pouvoir de fouille dans les écoles et sa conclusion est claire : la direction qui se serait lancée dans ce genre d’intervention se fondait sur une «interprétation erronée» de ces documents.

En gros, l’auteure du rapport croit qu’au moment où une direction s’apprête à forcer un élève à se dévêtir, soit qu’il «faut faire appel au service de police, ou on fait une partie de pêche et il y a danger d’abus». Le ministre est allé plus loin: il sera interdit «explicitement aux intervenants en milieu scolaire de soumettre des élèves à des fouilles à nu».

Une remise en question de l’Association québécoise du personnel de direction des écoles (AQPDE)
L’article publié au Soleil de Québec vendredi montre du «scepticisme» et révèle des «inquiétudes» face au rapport dévoilé mercredi. L’association dont on parle regroupe des directions scolaires d’une dizaine de commissions scolaires de la région de Québec et des alentours. La Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ) a aussi été consulté. Je comprends leurs préoccupations, jusqu’à un certain point.

Bien qu’il soit tout à fait vrai qu’on ne règlera rien en transformant les directions d’établissement en «des témoins passifs de situations potentiellement dangereuses», baliser des fouilles à nu et ainsi conserver un certain «pouvoir de dissuasion» ne mènera à rien.

Invité à en discuter cette semaine à l’émission de Denis Lévesque, je me suis exprimé sur le fait que les policiers sont bien mieux placés que la direction d’une école pour s’embarquer dans des fouilles. Je comprends que ces policiers doivent être disponibles et qu’on doit pouvoir compter sur un protocole d’entente avec les milieux scolaires pour que la démarche soit plus éducative que judiciaire, mais je ne crois pas du tout au pouvoir de dissuasion qu’aurait la fouille à nu.

C’est plutôt l’inverse.

Un(e) élève qui a dans la tête qu’une direction peut aller jusqu’à la fouille à nu ne voit plus l’éducateur en cette personne.

Je ne connais pas de direction d’école qui veuille réellement fouiller à nu des élèves.

De plus, «le pouvoir» de fouille à nu n’a jamais existé dans le Cadre de référence dont on parlait plus haut. L’appel au corps de police a toujours été fortement recommandé dans les cas de trafic de stupéfiants en particulier et ça demeure le vrai pouvoir de dissuasion parce que les élèves généralement aiment bien mieux traiter avec la direction qu’avec un policier.

On fait quoi avec la présence des drogues dans une école ?
Il faut convenir avec l’AQPDE et la FCPQ que la situation ne s’est pas améliorée avec les évènements de cette semaine. Ni le rapport Bouchard, ni la décision du ministre Blais, dans le contexte actuel de pénurie de ressources, n’a augmenté le soutien aux directions d’écoles qui sont aux prises avec ce fléau. La pression est énorme dans certains milieux scolaires.

J’ai toujours pensé que le temps jouait pour une direction quand elle a à rencontrer un(e) élève soupçonné(e) de consommer des drogues ou d’en vendre sur le territoire d’une école. En appeler à sa collaboration pour s’éviter plus de problèmes et s’arranger pour que toute la communauté éducative soit à même de signaler une situation qui constitue un problème est bien mieux que d’installer un climat de confrontation et un jeu de chat et de souris.

Dans une école « normale », la très grande majorité des jeunes n’a absolument pas le goût de se faire solliciter et les signalements sont la responsabilité de tous. Il ne reste qu’à se montrer très vigilant avec la minorité.

Dans un lieu « normal », le support des parents est acquis. Il est très important de les mettre dans le coup le plus tôt possible dès l’apparition des premiers indices qu’un(e) adolescent(e) fait l’expérience des drogues.

Il ne faut pas banaliser, d’autant que la marijuana, par exemple, ne peut plus vraiment être placée dans la catégorie des drogues douces.

Il ne faut pas être naïf, la consommation de drogue peut survenir dans n’importe quel milieu et causer de graves problèmes. Agir de manière préventive avec les parents et les élèves ne suffit pas, il faut pouvoir intervenir dès l’apparition des premiers symptômes qu’il y a bel et bien un petit réseau en train de s’installer et appliquer un plan d’intervention qui sera basée sur de justes conséquences et une réparation appropriée.

Avec la récidive, il faut recourir aux suspensions (à l’interne ou à l’externe) et considérer la judiciarisation. Avec les vendeurs, il faut se montrer ferme et obtenir l’entière collaboration des parents. Il peut arriver qu’un changement d’école soit nécessaire pour obtenir l’arrêt d’agir immédiat et le démantèlement du réseau.

Il faut prendre les devants avec les surveillants, les enseignants et les professionnels qui interviennent avec les jeunes; une direction proactive s’évitera bien des problèmes. Et ça inclut de faire des ententes avec les services policiers pour obtenir d’eux le plus de collaboration possible.

Dans certains milieux, il est clair que ce n’est pas suffisant et à ce moment, une augmentation des ressources est incontournable. Quand on questionne les élèves et que c’est la loi du silence qui prime, c’est le premier indice que tout ne tourne pas rond. On devrait pouvoir compter sur l’apport supplémentaire d’éducateurs spécialisés, de psycho-éducateurs et de travailleurs sociaux, à ce moment. C’est ici que je rejoins la préoccupation des directions d’établissement de la grande région de Québec citées plus haut: statuer sur les fouilles à nu ne règle absolument rien !

Très peu de pommes pourries peuvent causer un grand dommage et c’est probablement pour cette raison que certaines écoles sont sur les dents. Cependant, il s’agit de milieux d’exception qui traversent peut-être aussi une mauvaise période. Il est à souhaiter qu’il devient possible dans ces conditions de pouvoir compter sur toute l’aide requise.

En temps normal, il n’existe pas de débat sur les fouilles à nu. Respectueuses ou pas.

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