Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
Les rapports qui portent un regard sur la mauvaise gouvernance des commissions scolaires sont légions ces temps-ci. La publication aujourd’hui d’un autre, qualifié «d’avis technique» par les auteurs eux-mêmes, arrange bien le ministre de l’Éducation. Pourquoi ? Mon hypothèse c’est que le précédent ne sert plus adéquatement les préoccupations du moment du gouvernement Couillard.
Voici que trois rapports rendus public en un an sont invoqués pour justifier des prises de position du gouvernement sur la gouvernance des commissions scolaires :
- Le Rapport du comité d’experts sur le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires (mai 2014) qu’on appellera le rapport Champoux-Lesage (RCL).
- Le Rapport d’enquête concernant la situation financière de la Commission scolaire de Montréal (mars 2015) qu’on appellera le rapport Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).
- Le Rapport d’évaluation – Avis technique – sur l’évaluation économique de l’efficience budgétaire des commissions scolaires (janvier 2015) qu’on appellera le rapport Lacroix-Santarossa (RLS).
On sait bien que la gestion des commissions scolaires est remise en question, et ce, depuis plusieurs années. On peut parler d’un thème récurrent…
À la rentrée d’automne, le RCL a bien servi les orientations gouvernementales du ministre Yves Bolduc dans sa volonté exprimée de réduire le nombre de commissions scolaires, d’envisager un transfert de pouvoirs en éducation aux municipalités ou de remettre en question les élections scolaires si le scrutin qui allait suivre ne suscitait pas plus d’engouement. Le ministre de l’Éducation de l’époque avait aussi dans sa mire la diminution du financement des écoles privées et la création d’un ordre professionnel des enseignants, mais même si Yves Bolduc avait accueilli avec beaucoup d’intérêt le rapport de l’ex sous-ministre à l’Éducation, rien n’a vraiment bougé depuis.
Rappelons que le groupe d’experts avait été formé par le gouvernement minoritaire du Parti québécois, en novembre 2013.
Le RCL a aussi fait l’objet d’une utilisation douteuse par le gouvernement Couillard puisqu’il a supposément inspiré Martin Coiteux dans sa demande d’augmenter le nombre d’élèves par classe aux tables de négociation avec les enseignants. Depuis, le président du Conseil du trésor a été contredit par au moins une autre étude…
Le rapport RCGT quant à lui a fait l’actualité dernièrement parce qu’il était au centre d’une guerre de mots entre l’actuel ministre de l’Éducation François Blais et la présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), Catherine Harel Bourdon. J’en ai parlé récemment dans un autre billet, la menace de placer la CSDM sous tutelle en s’appuyant sur le rapport RCGT a incité Mme Harel Bourdon à «prendre en compte les recommandations du rapport de vérification» et, ce faisant, le ministre s’est en quelque sorte trouvé piégé puisque le rapport RCGT recommande que l’équilibre budgétaire à la CSDM passe par des coupures qui touchent les services aux élèves.
Les pages 27, 28 et 29 du rapport sont explicites sur le sujet et j’ai déjà publié sur mon canal Twitter deux tableaux qui le prouvent (1, 2).
On comprend mieux ainsi que François Blais avait besoin d’une autre étude pour continuer à mettre de la pression sur les CS en général et sur la CSDM en particulier. Celle de RCGT ne fait plus vraiment son affaire…
Ce nouvel avis technique (le RLS) comporte lui également ses limites, mais il supporte beaucoup mieux la thèse du gouvernement.
Pour ce qui est du message adressé à la CSDM, il démontre que chaque élève qu’on ajoute dans cette commission scolaire (CS) coûte beaucoup plus cher (10 996 $) que dans les CS où l’efficience est optimale (8 329 $, qui serait le coût moyen).
En gros, la CSDM pourrait économiser beaucoup de millions $ si sa gestion était meilleure…
Commandé à l’automne 2013 (donc au moment où Marie Malavoy était ministre), le RLS vise «à soutenir les réflexions du groupe d’experts sur la gouvernance et le financement des commissions scolaires», le rapport Champoux-Lesage (RCL). La vie est bien faite, quand même.
La manchette sur de possibles économies de 147 millions $ dans les CS fait plaisir…
Les conclusions du document d’une cinquantaine de pages servent bien les propos du ministre de l’Éducation sur l’endroit où les commissions scolaires peuvent trouver l’argent qui leur manque pour équilibrer leur budget. Un extrait de la page 27 du document…
L’avis technique porte bien son nom et utilise une méthodologie qui parviendra à confondre bien des observateurs. Deux approches sont utilisées pour évaluer «l’efficience relative de la gestion d’une commission scolaire» : la méthode DEA – Data Envelopment Analysis et celle par fonction de coût – translog.
D’une part, on mesure la capacité à utiliser une combinaison «d’intrants» (l’ensemble des ressources utilisées par les commissions scolaires dans l’offre de services éducatifs) de façon à produire un maximum «d’extrants» (les taux de réussite globaux des élèves aux épreuves uniques et les taux de sorties avec diplôme ou qualification) et on modère les résultats en se servant de l’indice de milieu socio-économique.
D’autre part, on «vise à évaluer la performance de chaque commission scolaire en comparant son coût estimé à un coût optimal dont la différence, si elle se révèle positive, est qualifiée de surcoût».
Bien qu’on puisse discuter longtemps de cette méthodologie, je préfère souligner que le problème est ailleurs, à mon avis. En évitant de s’intéresser aux autres façons de rendre les services éducatifs qui ne feraient pas appel au modèle des commissions scolaires tel qu’il existe actuellement, on passe à côté de solutions encore beaucoup plus performantes. C’est à tout le moins mon hypothèse.
Le mandat des auteurs (un économiste et un prof d’économie) était très restreint et ne comprenait pas l’étude de d’autres modèles organisationnels, dont celui d’écoles autonomes qui regrouperaient certains services communs dans des centres régionaux légers et intégrés.
C’est bien dommage.
Les rapports se suivent et les conclusions servent trop bien l’intérêt de ceux qui les commandent.
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