Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
Le phénomène de la radicalisation de certains jeunes du Québec aux idées jihadistes est profondément triste. Mon expérience à la direction d’écoles m’a enseigné qu’il arrive parfois que les jeunes fassent d’énormes bêtises pour la seule raison qu’ils souhaitaient ainsi être aimés !
Je pourrais raconter des centaines d’histoires tristes, qui ont conduit ou pas à des gestes dramatiques posés par des adolescents qui ne pouvaient s’expliquer rationnellement.
On me permettra de n’en raconter qu’une seule…
Entre 1992 et 1998, je dirigeais un pensionnat fréquenté par des jeunes filles de douze à dix-huit ans. J’étais le premier laïc à la direction, après 125 années où des religieuses étaient à la tête «du couvent».
Je me souviens d’avoir accepté l’admission d’une élève qui venait de l’étranger pour terminer son secondaire. J’en étais à ma deuxième ou troisième année à la direction de cette belle école et les explications des parents et de l’adolescente m’avaient convaincu que c’était la bonne chose à faire. La fin de semaine, elle demeurait dans une famille de la région où était situé l’école.
Après quelques semaines d’école, la jeune fille était venue à mon bureau m’expliquer que dans les faits, elle avait convaincu ses parents de l’inscrire chez-nous sous de faux prétextes; en réalité, elle était enceinte et souhaitait avant tout poursuivre une grossesse loin du regard de ses parents, pouvoir accoucher, permettre que son enfant soit adopté au Québec, terminer ses études normalement et retourner chez elle à la fin de l’année scolaire comme si rien de spécial ne s’était passé.
Dans son «plan de match», ses parents ne sauraient rien, elle serait respectueuse des valeurs de sa culture qui interdisent l’avortement et tout irait bien.
C’était une jeune femme intelligente qui réussissait bien à l’école et qui avait un comportement exemplaire au pensionnat.
On comprendra facilement que je lui ai offert toute l’aide et le support requis. À part l’idée que ses parents soient tenus à l’écart, j’étais prêt à accepter «son projet» et je me suis employé à ce qu’elle soit le mieux entourée possible, malgré ce que vous pouvez imaginer comme contexte d’une élève dans un pensionnat de filles encore appelé en ville «le couvent des religieuses». Elle allait donner naissance dans le sens littéral du terme…
Tout c’est assez bien passé pour elle.
Le plus gros de «mes problèmes» n’est pas lié à la jeune élève elle-même. Il y a bien eu la période où elle n’acceptait pas que je veuille absolument avertir ses parents, mais quand ce fut fait, tout c’est relativement bien passé avec l’aide du CLSC et des intervenants sociaux, entre autres.
Mes interventions les plus fréquentes et les plus difficiles à faire à partir du moment où tous ont su ce qui se passait avec cette étudiante dans l’école a été de gérer «le désir» de d’autres jeunes adolescentes à vouloir «tomber enceinte».
Cette élève venue d’ailleurs était tellement entourée et chouchoutée que plusieurs se disaient «voilà comment faire pour trouver l’attention dont j’ai besoin et enfin être aimée». D’ailleurs, je me souviens de confidences sincères où des jeunes filles de 14 et 15 ans me disaient qu’avoir un enfant c’était s’assurer d’un amour inconditionnel de quelqu’un dans sa vie.
Dans certains cas, cette déraisonnable envie n’a duré que quelques jours et comme c’était un pensionnat, il n’y avait pas de «dommage».
Mais vous dire le nombre de dimanches soirs (les filles revenaient au pensionnat le dimanche soir) où il a fallu «accueillir» les récits de certaines jeunes filles qui avaient passé à l’acte… ouf !
Plusieurs avaient inventé des histoires, on s’entend, mais il fallait tout de même écouter chacune sérieusement. Les membres de mon équipe d’éducatrices me répétaient qu’elles n’avaient jamais envisagé autant de répercussions du fait qu’une grossesse se poursuivait dans notre milieu. C’est la seule année où j’ai vu apparaître ce phénomène à aussi grande échelle.
On comprendra que ces adolescentes ne pensaient pas plus loin que le bout de leur nez, mais n’est-ce pas une des caractéristiques de l’adolescence, surtout dans des moments où ça ne se passe pas bien ?
Certaines élèves ont malgré tout posé des gestes regrettables…
C’est ce genre d’histoire (et bien d’autres) qui me monte en tête ces jours-ci quand j’entends parler de ces jeunes qui veulent quitter le Canada pour aller combattre au djihad.
La radicalisation, c’est le phénomène vu de notre petit bout de NOTRE lorgnette.
Je fais l’hypothèse que le désir d’être aimé est celui vu de leur côté de la médaille.
La ministre Lise Thériault a été très maladroite cette semaine en Chambre en affirmant que ces jeunes ne souhaitaient que sauver des vies. J’imagine qu’elle voulait dire que ces jeunes étaient animés de bonnes intentions et qu’ils se sont fait prendre au piège. Lise Thériault est ainsi apparue naïve et en politique, ça ne pardonne pas beaucoup.
On aurait tort de croire que ce qui motive ces adolescents est «raisonnable». Ça dépasse la raison, si je peux me permettre.
Mario Dumont a raison d’écrire que «la GRC agit concrètement, en collaboration avec les autres corps policiers et mène des opérations qui préviennent des drames». L’annonce de budgets supplémentaires est une bonne chose et ce sera nécessaire tant que les effets réels d’un plan d’action (s’il arrive) qui interviendrait en amont commenceraient à porter fruits.
On peut comprendre le point de vue du Premier ministre Harper à l’effet «qu’il n’y a aucune excuse ou aucune raison pour un Canadien de devenir djihadiste»; mais le besoin d’un(e) adolescent(e) d’être aimé(e) a parfois ses raisons que la raison ignore.
Cette piste de solution du fédéral va permettre des arrêts d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Mais vous imaginez bien tout le travail de fond qu’il faudra pour prévenir que des jeunes soient séduits par l’appel d’outremer qui misera sur «nous, on prendra soin de vous et vous obtiendrez tout ce dont vous avez besoin»…
Ce serait un plan qui passerait obligatoirement par l’éducation, par les milieux sociaux qui accueillent ceux qui ont souvent le plus de carences sur le plan affectif.
Ce serait un plan qui augmenterait la portée des antennes de ceux qui sont en mesure de dépister et d’agir avec les jeunes en détresse.
Et ce, au même moment où on coupe dans ces si précieuses ressources dans les milieux scolaires…
Capiche ?
On n’est pas sortie de l’auberge… si on continue au Québec à faire ce qui est prévu d’être fait par le gouvernement Couillard.
Et je suis loin de parler de la lutte contre le décrochage ou de la réussite scolaire.
Je ne parle que d’une minorité d’adolescents qui veulent être aimés et qui sont prêts à toutes les bêtises du monde pour prendre les moyens de leur folle ambition.
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