Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
On a beaucoup entendu parler cette semaine de la parution du livre « TDAH? Pour en finir avec le dopage des enfants » de l’auteur Jean-Claude St-Onge. Sur plusieurs tribunes, le surdiagnostic du Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) a fait la manchette. Il est dommage à l’occasion de ces débats que nous n’ayons pas beaucoup avancé sur la connaissance du sujet qui touche de plus en plus de jeunes…
Nous n’avons pas beaucoup avancé parce que les discussions ont souvent pris racine sur de bien mauvaises références.
Le dossier paru sur La Presse+ a d’abord permis un survol des propos du livre. L’explosion des diagnostics de TDAH a entraîné une forte augmentation des prescriptions de psychostimulants (par exemple de ritalin), exposant ainsi les jeunes à une forme de dopage qui doit être remis en question.
«Le système d’éducation pousse au diagnostic», selon Jean-Claude St-Onge. Pire… «il n’y a pas de méthode diagnostique sûre pour le TDAH».
Au micro de Paul Arcand l’auteur a tenté de convaincre l’auditoire et l’animateur du bien fondé de sa théorie à l’effet qu’il n’a jamais été prouvé que le TDAH est une maladie du cerveau.
Christiane Laberge qui est médecin de famille n’a pas laissé passer cette affirmation, d’abord en affirmant qu’on ne parle pas d’une «maladie» à proprement dit («c’est un trouble») et ensuite en décrivant sommairement de quoi il s’agit : «C’est comme si l’enfant avait une zapette dans la tête et que ce n’était pas lui qui en avait le contrôle» !
Je dirais que c’est sur ICI Radio-Canada que le livre du professeur de philosophie à la retraite et docteur en socioéconomie en a le plus pris pour son rhume. Après avoir lu l’ouvrage, le pédiatre Jean-François Chicoine l’a qualifié de « travail paresseux » !
Sans nier que «la moitié des enfants est traitée pour rien», le docteur Chicoine affirme que Jean-Claude St-Onge «est incapable de comprendre ce qu’est le trouble, il est incapable de comprendre comment on fait le diagnostic et comment les professionnels en arrivent au diagnostic.»
Le sujet a aussi été pris au sérieux chez Bazzo.tv où Jean-Claude St-Onge est venu défendre son livre. Le Dr Martin Gignac (psychiatre à l’unité des adolescents de l’Institut Pinel) lui a en quelque sorte donné la réplique. Selon ce dernier, la littérature scientifique faite à partir de plusieurs études longitudinales prouvent l’existence du trouble et la pertinence de la médication.
Le professeur St-Onge persiste et signe : il doute que le diagnostic du TDAH existe vraiment.
Dénoncer la surmédicalisation des problèmes de comportement est une chose. Plusieurs jeunes éprouvent de la détresse psychologique et ont l’impression d’être incompétent, incapable de se concentrer sur la tâche à accomplir. Ne pas accorder de crédibilité aux diagnostics des spécialistes en est donc une autre.
Des garçons qui se chamaillent constamment dans la cour d’école ne constitue pas un bon indice de la présence d’un TDAH, ni celui de ne pas démontrer d’écoute en classe. Seule une consultation avec des professionnels capables d’établir un bon diagnostic (dont les neuropsychologues) à partir de plusieurs critères peuvent le certifier.
Il est déplorable que le livre (et le dossier de La Presse+) de Jean-Claude St-Onge ait laissé entendre que les écoles reçoivent deux ou trois fois plus de financement pour les enfants TDAH et tirent un avantage des diagnostics. Aujourd’hui, un rectificatif a dû être publié…
Le nombre de médecins qui se sont montrés critique cette semaine envers l’ouvrage de Jean-Claude St-Onge est important. Ce genre de critiques ne datent pas d’hier, pourtant…
Personne ne doute du manque de ressources dans le réseau scolaire pour aider à mieux intervenir auprès des enfants qui ont des troubles d’apprentissage ou de comportements. Quand un enseignant ou un parent éprouve des soupçons au sujet du TDAH, il est difficile d’avoir accès aux professionnels.
S’il est vrai que certains exercent des pressions pour obtenir le médicament sans certitude qu’on se trouve vraiment dans une situation où il serait efficace, je ne crois pas que l’approche de nier l’existence du diagnostic soit indiquée.
Je veux bien qu’il soit possible de traiter le TDAH sans ritalin, mais nier la détresse des enfants atteints par ce trouble de maturation au cerveau me paraît être un pari audacieux.
En ce sens, réfuter la vérité scientifique sous prétexte que la science n’est qu’une hypothèse (c’est ce qu’on doit interpréter des propos de Jean-Claude St-Onge) est carrément du « dénialisme », comme l’affirme le Dr Chicoine.
Champion canadien, le Québec montre une consommation record de médicaments prescrits pour agir et réguler le TDAH… «Selon les chiffres de l’entreprise IMS Brogan, 61,39 millions de comprimés contre le TDAH ont été distribués dans les pharmacies québécoises l’an dernier, en hausse de 12% par rapport à 2013. Depuis cinq ans, le nombre de comprimés distribués au Québec a bondi de 56%» (Source).
Il est à souhaiter que le débat puisse se poursuivre. Mieux intervenir auprès des enfants atteints par le TDAH sans nécessairement avoir besoin de recourir aux médicaments est une priorité. Cependant, les bases de discussion doivent être constituées de faits avérés, sans quoi la décision d’administrer des médicaments ou pas devient affaire de préjugés et de qu’en dira-t-on.
Élever un enfant ou lui enseigner est déjà pas facile en temps normal… imaginez avec un débat sur le TDAH qui embrouille les décisions à prendre parce que alimenté par des demi-vérités.
On est souvent rapide au Québec à condamner la trop grande influence de l’industrie pharmaceutique et en ce sens, le livre dont il est question dans ce billet arrive à point nommé.
Mais la semaine qui vient de passer se sera avérée difficile pour le quatrième essai de Jean-Claude St-Onge.
Pendant ce temps-là certains enfants ont besoin de bons soins.
Bien que ce livre ne soit pas inutile, il apporte bien peu de réconfort et de pistes de solution !
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