La « logique » des négociations en éducation

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

Au Québec, la saison du renouvellement des conventions collectives des centaines de milliers d’employés(es) des secteurs public et parapublic est souvent accompagnée de négociations tumultueuses. Cet automne qu’on nous promettait «chaud» du côté syndical devrait mener au dénouement final puisque ça bouge beaucoup aux différentes tables où on décide des conditions de travail de plus de 400 000 personnes. Regardons de manière spécifique les enjeux qui concernent le monde de l’éducation.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a obtenu de ses membres le mandat d’organiser quatre journées de grève dans les écoles francophones de Montréal, de Laval, de la Rive-Nord, de l’Outaouais et de la région de Granby. Une première de ces journées a eu lieu le 30 septembre dernier.

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) vient récemment d’obtenir dans la région de la Capitale-Nationale le même genre de mandat pour six journées de grève tournante. On peut supposer que bientôt partout au Québec, les écoles publiques seront affectées par des grèves.

De l’autre côté, le gouvernement maintient publiquement sa volonté d’en arriver à un accord négocié, mais le jour où on brandira la menace d’une loi spéciale ne devrait pas être très loin.

Si l’affrontement a connu des jours plus difficiles depuis l’avènement du Code du travail en 1964, il teinte néanmoins l’actualité et affecte le climat dans de nombreux établissements scolaires.

Mais ce n’est pas le seul élément qui cause des tensions. La croissance du budget 2015-2016 en éducation n’est que de 0,2% alors que ça prendrait entre 4% et 5% pour couvrir les «coûts de système». Des parents ont décidé de former des chaînes humaines autour des écoles puisque plusieurs choix des administrateurs scolaires sur les coupes à faire pour compenser touchent directement les services aux élèves.

À mon point de vue, le gouvernement doit être tenu pour l’ultime responsable de ce qui arrive et de ce qui arrivera dans les écoles.

Aussi, je constate que les syndicats ont pu indirectement penser trouver des alliés qui contribuent à mettre de la pression sur le Trésor public avec les chaînes humaines et les mauvaises décisions de gestion au ministère et dans les commissions scolaires, mais il leur faut faire très attention à utiliser ces faits pour augmenter leur propre rapport de force dans leurs négociations avec le gouvernement.

Dans « cette logique » qu’on tente de construire subtilement, l’équation devient de plus en plus simple face à l’opinion publique : l’atteinte de l’équilibre budgétaire sera réalisée par le gouvernement Couillard sur le dos des élèves des écoles publiques.

Dans ces circonstances, la pression sur le ministre de l’Éducation augmente de jour en jour.

Si on lit une chronique comme celle d’aujourd’hui de Patrick Lagacé, François Blais « porte les valises de Martin Coiteux, président du Conseil du trésor ».

Si on lit plutôt celle de Michel Hébert publiée également ce matin, « la démagogie dépasse les bornes dans le cas des enfants en difficulté ».

Je rejoins la vision de Michel Hébert sur ses soupçons envers les commissions scolaires qui «préservent leurs effectifs administratifs»…

« En faisant des mises à pied dans le personnel au service des enfants (…) l’odieux de leurs décisions est ensuite mis au compte du gouvernement, peu importe sa couleur ».

Si j’osais aller plus loin, je dirais que ce comportement n’est pas étranger à la décision ministérielle d’avoir mis fin au printemps dernier aux élections scolaires. La récente mise en garde du ministère aux commissions scolaires prouve qu’on ne considère pas terminée la bataille sur ce sujet, dans ces supposés «gouvernements autonomes».

D’autres enjeux vont nuire au climat dans les écoles
On apprend aujourd’hui qu’il y aurait un risque de départs massifs à la retraite en plein milieu d’année scolaire si la mesure qui affecterait négativement le régime de retraite des enseignants à partir du 1er janvier 2017 était adoptée au terme de la négociation ou par l’entremise d’une loi spéciale.

On pourrait aussi questionner le fait qu’autant d’emphase soit mis sur la question du nombre d’élèves par classe dans cette négociation nationale. J’en parlais ce matin dans ma chronique au BLVD 101,1 FM où je tentais de faire le point sur les actuelles négociations.

Comment peut-on penser régler cette question des meilleurs ratios école par école et classe par classe, dans une convention collective nationale ?

La recherche en éducation signale généralement (1, 2, 3, 4, 5, 6) que le fait de diminuer le nombre d’élèves dans une classe n’a que très peu d’effet réel sur la réussite dans les classes où les jeunes réussissent bien. Quand des effets se manifestent, c’est qu’il s’agit de classes de milieux défavorisés ou qui regroupent plusieurs élèves en difficultés. À ce moment, les enseignants dans ces classes doivent enseigner « différemment et développer diverses méthodes plus adaptées aux besoins des élèves » pour que les effets bénéfiques soient au rendez-vous (source).

Moi-même en écrivant cette chronique en janvier dernier, j’aurais dû être beaucoup plus clair sur le fait que l’étude du National Education Policy Center de l’Université du Colorado (Does Class Size Matter?) montre des effets bénéfiques seulement dans les classes de milieux où les enfants sont issus de parents à faibles revenus où de minorités visibles.

Le gouvernement qui est en demande sur ce point aurait de meilleurs arguments s’il ne généralisait pas sa demande à toutes les catégories d’élèves. Ce qui choque les enseignants et perturbe ainsi le climat dans les écoles tient au fait que jusqu’à tout récemment, la mesure était présentée dans le trousseau de mesures pour la lutte contre le décrochage scolaire.

Tout ce temps perdu avec des pistes de solutions qui devraient être très ciblées (et encore) nuit à la réussite.

Le professeur Égide Royer (spécialiste en adaptation scolaire) s’est souvent exprimé sur la diminution en général du nombre d’élèves dans les classes, mesure qui a eu pour conséquence d’augmenter de plusieurs millions de dollars le budget en éducation :

« Diminuer le nombre d’élèves par classe améliore les conditions de travail des enseignants, mais n’a presque pas d’effet sur la réussite scolaire. C’est une fable pédagogique de penser qu’avoir 23 élèves par classe, plutôt que 25, permet de consacrer plus de temps à ceux qui éprouvent des difficultés d’apprentissage. Le jeune de 3e année qui ne sait pas lire, c’est un orthopédagogue qu’il lui faut. » (source)

Le « célèbre » chercheur John Hattie que plusieurs observateurs citent lorsque vient le temps de justifier les bonnes pratiques à adopter en éducation va un peu dans le même sens. Les « petites classes » viennent au 11e rang de la liste des facteurs pour la réussite scolaire.

Faut-il rappeler qu’en ce moment parmi les 27 demandes des syndicats au gouvernement, on voudrait poursuivre la réduction des ratios jusqu’en 3e, 4e et 5e secondaire et il n’est écrit nulle part que ça ne concernerait que les milieux défavorisés où les classes d’élèves en difficulté ?

Faut-il ajouter que le gouvernement lui-même dans ses quatre pages de demandes maintient sept exigences qui touchent à ces fameux ratios ?

On comprendra pourquoi tellement de gens se demandent en quoi la conclusion des présentes négociations améliorerait la réussite scolaire quand dans le fond, chaque partie veut simplement rencontrer ses objectifs légitimes de leur point de vue. Dans le cas des syndicats, améliorer les conditions de travail de ses membres et dans le cas du gouvernement, récupérer assez d’argent pour pouvoir se donner de meilleures chances d’équilibrer son budget.

La « logique » des négociations pour renouveler les conventions collectives du secteur public en éducation ne tient que très peu compte de « ce qui aide et [de] ce qui nuit » à la réussite scolaire en éducation. Rappelons ce que John Hattie mentionne après avoir «fait des recherches sur plus de 800 méta-analyses qui résument plus que 50000 études individuelles»…

À quand les négociations pour que augmentent les feedbacks des enseignants aux élèves ?

Comment une négociation pourrait agir de manière à ce qu’une meilleure relation de confiance existe entre les enseignants et les élèves ?

Pour ce qui est de la formation continue des enseignants et des programmes encourageant la lecture, comment une négociation centrée sur la réussite des élèves pourrait en tenir compte ?

On le voit bien, le contexte des présentes négociations en éducation a bien peu à voir avec des facteurs qui auraient un impact réel sur la réussite des élèves.

Je veux bien que le temps de présence obligatoire à l’école des enseignants et les augmentations de salaire des enseignants qui entrent dans la profession puissent influencer positivement la qualité de l’éducation, mais il faudra se souvenir que toutes les perturbations à venir dans les prochaines semaines dans les écoles ne peuvent pas être mises sous le chapeau «d’un mal nécessaire» pour favoriser la réussite scolaire.

Les présentes négociations en éducation suivent « une logique » qui a très peu à voir avec la réussite scolaire du plus grand nombre.

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