Le calvaire des nouveaux enseignants

Note : Une première version de ce billet a d’abord été publiée au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

J’ai souvent constaté que l’entrée des nouveaux enseignants dans le réseau public d’éducation représentait un véritable chemin de croix. Les résultats d’une étude récente réalisée auprès de 1 252 acteurs de l’éducation viennent maintenant porter un éclairage intéressant et fournir de précieuses données pour pouvoir mieux cerner les problèmes qui se posent, agir et remédier à la situation.

La journaliste Daphnée Dion-Viens en publiait ce matin les grandes lignes :

  • Près de 25 % des jeunes enseignants québécois décro­chaient en 2012. Une analyse du ministère de l’Éducation évaluait le taux de décrochage des jeunes enseignants à 17 % en 2003.
  • Ces jeunes profs quittent l’enseignement principalement parce qu’ils sont trop souvent «confrontés aux classes les plus difficiles» et parce que enseigner «exige beaucoup plus de temps qu’ils avaient imaginé» (la correction et la préparation des cours occupent plusieurs soirées et fins de semaine).
  • Une autre des raisons invoquées pour ainsi tourner le dos à l’enseignement après y avoir investi quatre ans d’études universitaires et plus de 700 heures de stages est la formation initiale déficiente, «souvent ou toujours trop théorique» qui ne prépare pas l’étudiant gradué à « survivre » aux premières années en classe.

La méthodologie de l’enquête
On trouve dans le rapport de recherche intégral de l’équipe de chercheurs dirigée par Thierry Karsenti plusieurs renseignements indispensables pour situer les résultats obtenus dans le bon contexte.

Trois partenaires ont facilité la réalisation de la recherche…

  • Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE)
  • Carrefour national de l’insertion professionnelle des enseignants (CNIPE)
  • Association québécoise des enseignantes et des enseignants du primaire (AQPE)

L’objectif était de «mieux comprendre le décrochage des nouveaux enseignants et son impact sur la réussite scolaire des élèves».

Toute l’enquête a été menée par l’entremise de questionnaires et d’entrevues auprès de cinq types de participants qui totalisent 1 252 acteurs de l’éducation (75% de femmes et 25% d’hommes)…

  • Des futurs enseignants en 4e année de formation
  • De nouveaux enseignants qui exercent leur profession depuis moins de cinq ans
  • Des enseignants qui ont quitté l’enseignement
  • Des enseignants d’expérience qui ont été témoins du décrochage d’un nouvel enseignant
  • Quelques directions d’école

Un fait intéressant me paraît être l’incapacité d’avoir pu prendre en compte les points de vue d’universitaires. Il faut savoir que la collecte de données s’est faite en pleine grève étudiante de 2012; il semble que les syndicats se soient «opposés aux injonctions du gouvernement et ont donc demandé à leurs membres de ne pas participer, bénévolement, à de telles activités de recherche».

Pourquoi tant de nouveaux enseignants quittent-ils nos écoles?

Les mauvaises conditions de travail et les élèves difficiles sont donc en haut de la liste des motifs. Dans le rapport de l’enquête on affirme que «la gestion de classe est un réel fléau» pour ces nouveaux enseignants.

Plusieurs observateurs le disent et l’écrivent, «les jeunes enseignants sont aussi confrontés aux classes les plus difficiles, puisque les groupes sont attribués par ancienneté». Cette sacro-sainte règle d’ancienneté qui nuit considérablement à une entrée réussie dans la profession semble impossible à remettre en question.

La semaine dernière sur le plateau de BazzoTV, j’ai évoqué les fameuses séances de repêchage qui agissent de façon à ce qu’un(e) jeune enseignant(e) ne puisse obtenir une certaine stabilité d’emploi dans une école avant dix, douze et parfois quinze ans. Le président de la FAE qui était présent a préféré me parler d’un régime maintenu et désiré par les commissions scolaires. Peu m’importe… il faut que ça cesse !

C’est écrit noir sur blanc dans le rapport d’enquête : les nouveau enseignants «sont le plus souvent confrontés, de façon quasi systématique, aux groupes d’élèves ou classes les plus difficiles, comme si les classes dites « plus faciles » étaient l’apanage des enseignants d’expérience».

Les résultats statistiques montrent bien que la décision de quitter l’enseignement est directement lié à des facteurs sur lesquels on pourrait choisir d’avoir une prise… ou un certain contrôle :

«Les conditions d’embauche et d’affectation arrivent en tête des irritants, avec, en moyenne pour les trois années de l’étude, quelque 69 % des répondants qui se disent « plutôt ou très » insatisfaits. (…) Seuls 7% des répondants ont indiqué que les enseignants décrocheurs trouvaient le climat de travail à l’école très satisfaisant, montrant peut-être qu’il y a là un indicateur du décrochage.»

Dans ma chronique de demain vers 8 h 35 sur les ondes de blvd 102,1 FM, je traiterai de certaines pistes de solutions qui me paraissent importantes à considérer, dont certaines sont mentionnées dans l’étude du professeur Karsenti. Elles se doivent de tenir compte de l’organisation actuelle du travail trop « conventionnée » par des ententes nationales qui empêchent les écoles de pouvoir disposer de marge de manoeuvre adéquate.

Comment d’ailleurs expliquer qu’un des mandats de l’étude qui était de documenter l’impact de ce décrochage massif des enseignants sur la réussite scolaire n’ait pu être réalisé. Je cite la page 17 du rapport : « Autrement dit, nos résultats ne permettent aucunement de voir un lien entre le décrochage des enseignants et la réussite des élèves. »

Pourtant, au moins un des liens me paraît tellement évident : l’augmentation du taux de roulement du personnel dans une même école !

Multiplier les intervenants auprès d’un élève augmente assurément l’échec. Cet extrait du rapport va dans ce sens d’ailleurs : «Un taux de décrochage élevé [des enseignants] implique une rotation importante du personnel enseignant, ce qui rend difficile l’établissement d’une cohésion au sein d’une équipe école (AEE, 20041)».

L’abandon de la part des enseignants d’une carrière qu’ils ont choisi n’est donc pas «toujours aussi « volontaire » qu’il n’y paraît à première vue», selon le travail des treize chercheurs. Les coûts pour la société sont énormes et ne se comptent pas qu’en dollars sonnants.

L’appel à prendre au sérieux le décrochage des enseignants doit être entendu, autant par les syndicats que par les cadres scolaires et toute la classe politique, incluant le ministre de l’Éducation et le premier ministre.

1 Cette référence mène à une étude, « Tapping the potential: Retaining and developing high-quality new teachers » – Alliance for excellent education

N.B. Je vous invite aussi à lire le point de vue de deux collègues blogueurs au Journal, Martine Desjardins et Tania Longpré.

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