Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section du blogue des «spin doctors».
Je m’étais laissé convaincre par le gouvernement de Philippe Couillard que le Québec se doterait à court terme d’une stratégie numérique. Suite aux annonces d’aujourd’hui, je déchante. Le lancement des consultations sur l’économie numérique auprès des entreprises québécoises n’est pas le signal qui nous indique qu’on s’en va dans la bonne direction, bien au contraire.
Aujourd’hui est publié un communiqué en provenance du bureau du Premier ministre annonçant la création d’un groupe conseil et le lancement de consultations. Deux articles assez semblables provenant de la même source (1, 2), mais diffusés dans deux médias différents affirment que « Québec veut prendre son temps ». Des annonces qui interviennent dans le contexte d’une conférence sur les villes intelligentes à Montréal.
Plusieurs passages du communiqué et des articles où les propos du premier ministre sont rapportés sont décevants. Je me propose dans ce billet de les analyser.
C’est l’esprit dans lequel s’est terminé le deuxième Forum des idées pour le Québec voilà maintenant plus d’un an. On nous promettait alors une stratégie numérique pour le Québec qui ressemblerait à un Plan Nerd.
J’avais compris qu’on devait le faire ensemble, pas seulement à partir des entreprises québécoises et surtout, pas uniquement sous la forme d’une consultation sur l’économie numérique.
La liste des membres du groupe-conseil sur l’économie numérique est plus ou moins représentative du secteur qu’on souhaite rejoindre. Le gouvernement fait ses choix selon le type de « feuille de route » qu’il cherche à construire et c’est son privilège. J’aurais préféré une démarche beaucoup plus large et inclusive. On voit maintenant un peu plus où le gouvernement s’en va : des stratégies à la pièce.
Le secteur culturel a son propre plan « annoncé en grande pompe » et les entreprises disposent du programme PME 2.0. L’économie numérique aura sa feuille de route et on verra probablement d’autres secteurs connaître « leur moment numérique ». Ce fonctionnement à la pièce ne me dit rien de bon, quand on pense aux sociétés qui se dont dotées de vraies stratégies numériques globales et qui ont pu mesurer l’ampleur des résultats sur une échelle globale.
On ne me fera pas croire qu’en additionnant les initiatives secteur par secteur on pourra dire à la fin qu’on dispose d’un plan numérique. Une bonne planification stratégique ne tolère pas ce fonctionnement à la « va comme je te pousse ».
Je veux simplement attirer l’attention sur ce passage : « pour faire passer le Québec à l’ère numérique ». C’est le signe que nous n’y sommes pas.
C’est ici que je m’excite un peu. Je me demande de quoi le premier ministre parle quand il évoque « un milieu qui fonctionne déjà bien » ? Certainement pas l’accès à l’information ou l’informatique gouvernementale qui fait l’objet de demandes des deux oppositions (1, 2) pour des enquêtes sur ce qui est convenu d’appeler le bordel informatique. Je ne crois pas qu’on parle non plus de l’économie de partage et des crises constantes que les ministres doivent gérées sans vision, causées par l’arrivée d’entreprises comme UberX ou AirBnB.
Est-ce que le virage numérique irait mieux dans le secteur de l’éducation ou dans le domaine de la santé et je n’en aurais pas entendu parler ?
Les paris sont ouverts, dans le secteur du numérique, il existe « un milieu qui fonctionne déjà bien ».
C’est n’importe quoi.
Moi qui pensait que nous étions dans une certaine urgence tant au niveau des conséquences sur l’emploi ou sur l’économie du fait de n’être absolument pas préparés à ce qui arrive… J’en tombe en bas de ma chaise !
Quand j’entends que le gouvernement veut « prendre son temps » treize mois après qu’il ait promis un virage numérique, je comprends qu’il ne sait pas quoi faire et qu’il cherche comment procéder exactement. Ça donne ce que ça donne : des gestes isolés et des annonces à la pièce.
De plus en plus, j’ai l’impression que Philippe Couillard est pris avec une promesse dont il ne sait pas quoi en faire !
Pendant ce temps-là, la « People’s Roadmap to a Digital New York City » se déploie sur cinq fronts et mène à une base de données pour les 6 782 startups, les 186 investisseurs, les 8 592 emplois et les 390 évènements autour du numérique de la Ville de New York. « Digital Belgium » mène à un horizon en 2020 de manière à être dans le top 3 du numérique au classement «Digital Economy and Society Index». La French Tech est une politique publique qui vise à faire de la France une pépinière à startups, «capable de rivaliser avec les plus grandes places internationales».
Et je ne parle pas de ce qui se passe en Grande-Bretagne, en Écosse, en Estonie ou en Australie… tous des endroits où on a jugé que le temps pressait.
Tout ce temps, notre gouvernement se penche sur le dossier.
Il va finir par développer un gros mal de dos.
Mise à jour du 26 octobre : Sylvain Carle poursuit la réflexion sur le même thème dans Du numérique au Québec, plan, programme ou principes? «On doit passer de l’étonnement, à l’indignation à la… résignation». Voici aussi la réaction incontournable de Josée Plamondon. J’aime particulièrement la citation de Yves Williams (l’un des pionniers de l’histoire du Québec numérique) cité par Josée à la fin de son billet: « Le train n’est pas en retard… il est toujours en gare. Il se cherche une locomotive! ». Enfin, Pierre Trudel renchérit : «Le numérique métamorphose tout».
Mise à jour du 27 octobre : Yves Williams et Michelle Blanc ajoutent leur voix !
Mise à jour du 28 octobre : Nouveau billet de Yves Williams, «Le plan numérique c’est NOTRE responsabilité».
Mise à jour du 30 octobre : Contribution de Claude Malaison, «Le CEFRIO et les PME numériques: c’est bon mais où est la Vision?».
Mise à jour du 4 novembre : « Québec numérique : le vrai changement n’est pas technologique ». Bien dit Josée…
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