Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
La ville de Québec était l’hôte hier et aujourd’hui d’un important symposium regroupant plus de 225 participants venus de partout au Canada. L’Association canadienne d’éducation (ACE) qui rassemble à chaque année les leaders de plusieurs communautés éducatives anglophones et francophones avait choisi le thème des neurosciences pour mieux outiller les éducateurs dans leur lutte contre le décrochage scolaire. La recherche est maintenant en mesure de démontrer comment le cerveau d’un élève apprend le mieux et les gens présents ont pu départager ce qui tient de la rumeur et représente un mythe, de ce qui repose sur des résultats de recherches documentés.
Ron Canuel le PDG de l’ACE depuis 2010 (ex-directeur général de la Commission Scolaire Eastern Townships) était enchanté au sortir de la rencontre par l’accueil reçu à Québec, «un endroit qui assume beaucoup de leadership sur le sujet de la persévérance scolaire». C’est la raison pour laquelle la capitale du Québec a été choisi pour le colloque annuel. Interrogé sur le choix des conférenciers, des thèmes de discussions et des sujets de panels, il affirme que les enseignants et les administrateurs cherchent de plus en plus des savoirs qui risquent d’influencer immédiatement les pratiques en classe. Tout ce que les neurosciences peuvent nous enseigner pour prévenir le décrochage devenait donc une priorité…
Celui qui est considéré par plusieurs observateurs au Canada comme étant un de nos plus grand visionnaire en éducation, est fier du chemin parcouru par l’association qu’il dirige. Préoccupé par la baisse du nombre d’élèves dans les écoles partout au Canada, il s’inquiète de la diminution du financement que cela annonce.
Statistique Canada a récemment calculé selon M. Canuel que le pourcentage de la population âgé de 65 ans et plus a dépassé pour une première fois le pourcentage des 15 ans et moins. Il aimerait qu’on réfléchisse à la possibilité de baser le financement sur autre chose qu’un montant par élève, car il croit fermement que l’éducation n’est pas une dépense, mais plutôt un investissement.
Revenant au symposium, avec la collaboration des chercheurs invités, il a l’impression cette année d’avoir atteint un sommet de satisfaction parmi ceux qui étaient présents.
De rencontre en rencontre avec des participants, je me suis vite aperçu que la présentation du professeur de l’Université du Québec à Montréal Steve Masson (photo du haut) avait été l’une des plus apprécié. Directeur du Laboratoire de recherche en neuroéducation, le chercheur s’est employé à combattre les neuromythes et à insister sur les méthodes pédagogiques qui sont mieux adaptées au fonctionnement du cerveau des élèves.
Des légendes pédagogiques
Steve Masson n’est pas le premier à s’attaquer à des croyances en enseignement qui n’ont pas de base rationnelle, «mais qui fleurissent néanmoins en éducation». Normand Baillargeon qui intervient souvent sur ce sujet est connu pour avoir souvent dénoncé les neuromythes.
Dans une entrevue qu’il m’a accordée en marge de l’évènement, Steve Masson a raconté son principal travail de professeur qui consiste à faire le pont entre les connaissances en neurosciences et l’éducation.
Il débute souvent ses interventions en déboulonnant certains mythes qui nuisent au travail des enseignants: «Certaines croyances ou intuitions sur le fonctionnement du cerveau sont entretenues dans le milieu de l’enseignement et ne reposent pas sur le réel fonctionnement cérébral», affirme-t-il.
Parmi celles-ci, notons les styles d’apprentissage ou les notions de « cerveau gauche » et de « cerveau droit ». Dans les articles scientifiques sur ces sujets, M. Masson affirme qu’il est impossible de trouver des données qui démontrent qu’adapter l’enseignement aux auditifs, aux visuels ou aux kinesthésiques produirait des effets bénéfiques mesurables sur le plan des apprentissages. Quand on propose de la formation ou du matériel pédagogique teinté par ces a-prioris, le chercheur recommande la plus grande des prudences puisque la littérature scientifique est unanime: rien ne prouve ces intuitions. Voilà pourquoi on parle de légendes pédagogiques…
Les enseignants veulent avant tout aider les élèves, selon Steve Masson; il n’est donc pas question de les blâmer de vouloir innover par ces « intuitions », mais ils doivent savoir que ces théories ne passent pas l’épreuve des données probantes.
Autre neuromythe pour terminer : on ne se servirait que 10% de son cerveau. Rien de plus faux.
Ce que les neurosciences recommandent
« Lorsqu’on apprend, le cerveau change », répète souvent Steve Masson pendant notre entretien. « Ce qui change, ce sont les connexions entre les neurones du cerveau de celui apprend. Peu importe l’âge de celui qui fait des apprentissages, il y a des ajustements dans les connexions cérébrales. L’architecture de notre cerveau n’est pas fixe tout au long de la vie; elle peut changer et s’adapter ».
Il est rassurant de savoir que même si on éprouve des difficultés pour certains apprentissages, le cerveau peut se modifier et s’adapter, avec de la motivation, de l’effort et de l’entraînement.
« Les élèves qui ont une conception fixe de l’intelligence, qui se perçoivent « pas bons », font preuve de peu de motivation… les recherches le prouvent ». Ça explique souvent bien des échecs scolaires…
Le chercheur sait qu’à l’inverse, ceux qui sont convaincus qu’ils ont ce qu’il faut pour réussir trouvent aisément la motivation en mobilisant sans en être conscients, les endroits dans leur cerveau reconnus pour être sollicités devant telle ou telle tâche.
Tous ne peuvent pas nécessairement apprendre les mêmes choses, en même temps et au même rythme, cependant. La différenciation pédagogique reste utile pour un enseignant avec ses élèves en classe. Elle doit se concentrer sur les aptitudes de chaque individu. Certains élèves apprennent un peu moins vite que d’autres et du temps supplémentaire consacré à l’objet d’apprentissage ou aux noeuds de difficulté qui bloquent l’apprentissage ne peut que favoriser chacun.
En ciblant des interventions plus pointues ou plus intenses avec certains, on augmente les chances que tous réussissent. L’activité cérébrale se rétablit quand on intervient au bon moment pour dénouer les blocages et permettre à ces élèves d’être de nouveau actifs.
Les principes pédagogiques qui sont plus compatibles avec le fonctionnement connu du cerveau tient compte du fait qu’il faut d’abord activer son cerveau pour apprendre. Les neurones qui s’activent ensemble et qui se mobilisent, se synchronisent en quelque sorte. Quand on entend dire qu’il faut que les élèves soient actifs, on veut surtout dire qu’il faut que les réseaux de neurones consolident leurs interconnections.
Quand on questionne Steve Masson sur l’hypothèse d’intervenir tôt pour prévenir le décrochage, il valide.
Lorsqu’on apprend, on le fait à partir de ce qu’il y a déjà dans notre cerveau. S’il n’a pas déjà construit les réseaux de neurones pour aider un apprenant à faire des liens qui lui permettront de lire ou de compter, l’individu n’en sera pas capable. Il faut doucement construire ces a-prioris dans notre cerveau.
Le sommeil favorise l’apprentissage
Le professeur de l’UQAM insiste beaucoup pour me dire qu’il faut espacer les périodes d’études des enfants.
Bon nombre de recherches montrent qu’il faut éviter de tout concentrer. Lorsqu’on apprend, les réseaux de neurones s’activent. Pendant qu’on dort, le cerveau s’active et les neurones consolident leurs interconnections. Il serait préférable que l’espacement entre les séances de travail soit court au moment de débuter une séquence d’apprentissage, puis s’allonger progressivement. Lorsque les apprentissages sont consolidés, on peut les réactiver après un intervalle plus long. L’espacement optimal dépend de la durée escomptée de la rétention; on veut s’en souvenir dans combien de temps ? Je dis cela parce qu’il semble que ce soit naturel pour notre cerveau d’oublier…
Il faudrait prévoir un espace de 10 à 20% de la durée de rétention souhaitée. Si on veut retenir ce qu’on apprend dans dix jours, on devrait prendre une journée de congé entre les séances de travail intense.
Pour ce qui est des tâches exigeantes, il faudrait se montrer vigilant à éviter la surcharge cognitive. Trop d’informations, tue la concentration !
Un haut niveau de performance requiert une attention soutenue à une seule tâche. Par exemple, s’entraîner au clavier au point de ne plus avoir besoin de « penser »/ »réfléchir » pour taper, permettrait potentiellement de dégager le cerveau pour qu’il puisse faire autre chose en tapant. Plus on apprend, plus les réseaux de neurones sont connectées fortement. Libérer le cerveau des surcharges cognitives, le prédisposerait à pouvoir en faire plus.
Il faut donc retenir des neurosciences que le cerveau doit se réactiver à plusieurs reprises, qu’il faut espacer les moments d’apprentissage.
Le cerveau est comme un muscle en ce que par l’entraînement, on peut augmenter ses capacités. Par contre, quand on se repose, contrairement aux muscles qui en profitent pour éliminer les toxines, le cerveau lui continue de travailler; c’est nécessaire pour pouvoir apprendre, d’ailleurs.
Le choix de Steve Masson en tant que conférencier du symposium de l’Association canadienne d’éducation était le bon !
N.B. Un article du quotidien Le Soleil a traité du même sujet, Les «styles» d’apprentissage, un mythe.
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