L’art d’émouvoir

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

Le congé du 1er janvier me permet à chaque année de visionner les différentes émissions qui constituaient la programmation télé des derniers jours de décembre. Très occupé au réveillon du dernier soir de décembre par un gros rassemblement entre amis, je suis toujours en retard sur tout le monde pour commenter les bons moments des différentes revues de l’année qui prend fin.

En rafale, je dirais qu’il y a très peu eu de moments transcendants dans toutes ces heures de production à grand déploiement où on nous a fait revivre quelques faits saillants de 2015.

Philippe Laguë et sa bande me font toujours rire et ils ont été égal à eux-mêmes, sans plus, certains passages étant des reprises de textes présentés auparavant. Je suis un fan fini du sociologue de l’Université d’Helsinki Mikko Connaissen et j’ai été heureux de le retrouver parmi l’enchainement des nombreuses prestations.

En direct de l’univers a choisi de jumeler les environnements musicaux de Boucar Diouf, de Marc Labrèche et d’Ève Landry et je ne crois pas que ce fut très heureux. Au moment où on avait l’impression de toucher à quelque chose, il était temps de passer à l’autre invité. J’aurais aimé voir l’accolade des retrouvailles entre Boucar Diouf et sa soeur venue exprès du Sénégal pour interpréter un duo avec Jean-Pierre Ferland. J’imagine facilement l’ampleur du défi que représentait ce tournage, mais ce spécial du nouvel an était moins bon que bien des éditions régulières, toujours animées avec passion par France Beaudoin.

Il y avait donc beaucoup de place pour m’émouvoir avec la revue de Jean-René Dufort et le Bye Bye.

Mes attentes étaient grandes pour Le spécial Infoman 2015 qui s’impose depuis quelques années par ses trouvailles originales et surprend par ses choix éditoriaux inusités. Plusieurs ont mentionné qu’avec des budgets bien plus modestes que la grosse production de Louis Morissette, cette revue de l’année est la meilleure de ce 31 décembre à ICI Radio-Canada.

Élizabeth Ménard du Journal écrit exactement ce que j’ai ressenti: « En vérité, la revue d’Infoman a éclipsé l’autre, et pas juste un peu. »

J’ai particulièrement apprécié la contribution de ces personnalités venues rire d’elle-même aux côtés de Jean-René et elles étaient nombreuses à avoir accepté son invitation, en commençant par le Premier ministre, les ministres Barrette et Coiteux, Pierre Karl Péladeau et plusieurs autres. J’ai savouré le segment avec Mélanie Joly dont les nouvelles responsabilités lui permettent de se considérer « la boss » d’Infoman, en quelque sorte.

Un autre moment fort est survenu avec la contribution de Jeff Filion pour le « quizz cave ou pas cave ?». Ayant lui-même sévit avec des propos complètement absurdes sur Raïf Badawi, l’animateur radio a poussé l’exercice jusqu’à se qualifier de « cave en chef ». J’ai beaucoup ri. Et oui, « on tient une franchise, là » !

Une chanson d’ouverture vraiment réussie avec le groupe Galaxie, des gens moins importants qui ont tout de même fait l’actualité, retrouvés, comme ce prof de soccer migrant en train de fuir, enfargé par une caméraman hongroise, et ces courtes introductions du mois… punchées et drôles, il y avait beaucoup de matériel pour s’accrocher un gros sourire dans le visage.

Évidemment, j’ai beaucoup aimé le questionnaire à choix multiple sur ce qui avait vraiment constitué la priorité du ministre François Blais en 2015:
A- Rendre l’éducation la plus plate possible.
B- Laissé pourrir au maximum les écoles du Québec.
C- Trouver une manière de placer 435 élèves par classe.
D- Présenter une overdose de graphiques inutiles à la période de questions.

Je vous laisse deviner du choix privilégié par Philippe Couillard…

Pour ce qui est du Bye Bye, mon plus gros problème tient dans le fait que je l’ai visionné après la revue d’Infoman.

Je ne veux rien enlever au mérite des comédiens ou à celui de ceux qui ont réalisé des maquillages stupéfiants, mais on finit par trop réfléchir à l’écoute des sketches, au lieu de rire.

Peut-être que je ne suis plus dans le public cible ?

J’ai beau avoir lu que Véronique Claveau était parfaite dans son imitation de Marina Orsini, il faut au minimum avoir été à l’écoute de son émission du matin pour apprécier le gag j’imagine… et ce n’est pas mon cas. D’autres passages étaient aussi réservés aux initiés dont je ne suis pas.

J’ai tout de même rigolé dans les clips en référence aux pubs de Loto-Québec, celui mettant en vedette un Louis Morisette toujours aussi juste dans son imitation de Jean Charest, en particulier. En général d’ailleurs, les segments les plus courts étaient les plus efficaces.

Je dois avouer un décrochage quand on s’est permis de se moquer de la crise de larmes de la ministre Lise Thériault. L’équipe du Bye Bye aurait pu suivre l’exemple du groupe de Philippe Laguë qui a cessé de présenter les dictées de la vice-première ministre quand elle a quitté pour un congé de maladie.

Un malaise qui m’a empêché d’apprécier ce qui a suivi.

Je comprends facilement qu’il est ardu d’émouvoir des téléspectateurs qui entretiennent de grosses attentes quand ils s’assoient devant le petit écran pour se divertir. C’est la raison pourquoi la production des Bye Bye est toujours un gros risque. L’édition de cette année sera vite oubliée.

Pourtant, certaines productions réussissent à chaque année à trouver comment nous faire lever de notre chaise.

Je pense en particulier aux Kennedy Center Honors diffusés fin décembre pour rendre hommage à des personnalités artistiques qui se sont particulièrement distinguées aux États-Unis, au fil du temps (« Lifetime Artistic Achievements »).

Je me souviens de la prestation extraordinaire des soeurs Ann et Nancy Wilson (Heart) en 2012 au même endroit dans le contexte d’un hommage à Led Zeppelin. Chaque fois que je réécoute, j’ai des frissons en regardant les réactions de Robert Plant et de sa bande. Même le fils du regretté batteur John Bonham (Jason) avait été mis à contribution…

Cette année encore, la remise des « Kennedy Center Honors » à Carole King, George Lucas, Rita Moreno, Seiji Ozawa et Cicely Tyson a su émouvoir, cette fois avec une incroyable performance de Aretha Franklin interprétant (You Make Me Feel Like) A Natural Woman. Je vous laisse juger par vous-même de l’ampleur de ce moment d’émotion gracieuseté d’une puissance vocale hors du commun de l’artiste de 73 ans et d’une mise en scène simple, mais terriblement efficace…

Pas si facile d’émouvoir tout le monde sur commande dans les revues de fin d’année.

Ce n’est pourtant pas le matériel qui a manqué en 2015 avec tous ces événements tragiques qui sont venus chercher notre vulnérabilité et montrer nos difficultés à vivre ensemble.

On peut se consoler en se disant qu’il y a encore de l’espace pour surprendre à l’occasion des prochaines revues.

On devrait peut-être même songer à dire « Bye Bye » aux Bye Bye, finalement !

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