Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
La rumeur populaire est souvent sévère avec le financement public du réseau d’écoles privées du Québec. Pourtant, ces établissements contribuent fortement à la bonne réputation du système d’éducation québécois.
Francis Vailles a récemment écrit sur ce sujet : « À statut socioéconomique semblable, les élèves obtiennent de meilleurs résultats à l’école privée. De plus, il [l’économiste Pierre Lefebvre, de l’UQAM] estime que ce phénomène a globalement contribué à donner au Québec des élèves mieux formés ». Pour arriver à cette conclusion, il a utilisé les résultats des tests PISA (Programme international pour le suivi des acquis) depuis l’an 2000.
Au moment où le patrimoine immobilier des écoles du Québec est décrit comme étant en piteux état, saviez-vous qu’on serrait l’étau sur celui du privé ?
On oublie trop souvent que si le parc immobilier du privé est en meilleur état, c’est dû aux choix des administrateurs des établissements puisqu’ils ne disposent pas de plus d’argent que le réseau public pour réaliser leur mission éducative, bien au contraire.
J’exclus la quinzaine d’écoles sur l’Île de Montréal qui sélectionnent les élèves à la hauteur de un pour cinq ou six demandes d’admission. Il y a 168 autres établissements d’enseignement privés « agréés aux fins de subventions » et 89 autres établissements qui détiennent un permis, sans recevoir de subventions.
Aussi, on entend souvent que l’enseignement privé pourrait faire une meilleure place aux élèves qui ont des retards d’apprentissage.
Alors que la réussite scolaire des enfants en difficultés d’apprentissage ou de comportement est affectée par la rigueur budgétaire, on constate qu’il devient difficile de considérer l’apport possible des écoles privées. Les élèves qui ont davantage de besoins bénéficient généralement de plus de financement en provenance de l’État, mais ces dernières années on a tendance à réduire les sommes d’argent pouvant être consacrées aux écoles, privées ou publiques.
Pas facile pour certains milieux de faire une plus grande part, dans ces conditions…
En général, c’est souvent la même rengaine : on pose l’hypothèse en éducation que le problème du réseau public est le financement qui serait trop généreux au réseau privé. On entend même que les écoles privées seraient « épargnées » par les coupures.
Rien n’est moins certain…
Pour le moment, les écoles privées demeurent accessibles à la grande majorité des parents du Québec, mais pour combien de temps encore ?
Dans ce contexte, une nouvelle étude vient porter un regard intéressant sur l’apport que pourrait avoir des écoles autonomes sur la qualité de notre système d’éducation. Elle sera rendue publique plus tard aujourd’hui par la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP) qui l’a commandée.
Dans cette recherche de l’économiste Pierre Emmanuel Paradis, on affirme que les écoles privées (en fait, « des organismes à but non lucratif qui appartiennent à la communauté civile, incluant certaines coopératives de parents ou de travailleurs » – p. 6 de l’étude) offrent une valeur ajoutée aux élèves en particulier parce qu’elles sont des établissements scolaires autonomes.
Non seulement le projet de Loi 86 sur la réforme de la gouvernance scolaire ne fait rien pour que les écoles publiques deviennent autonomes, le gouvernement met de la pression sur celles qui le sont, les écoles privées.
Pourquoi agir ainsi ?
Même si on sait que la concurrence entre des établissements scolaires autonomes produit des effets bénéfiques pour l’éducation, on privilégie la centralisation au public et la rigueur budgétaire encore plus sévère au privé qu’au public.
L’inverse du bon sens…
L’étude révèle en effet que les écoles privées « ont été davantage affectées par les compressions que les écoles relevant des commissions scolaires ». Ce paragraphe de la page 2 est sans équivoque…
Ce montant (généralement appelé montant de base pour la « valeur locative ») est actuellement en 2015-16 de 35$/élève au primaire et de 57$ au secondaire. Contrairement à l’autre montant de base qui suit l’évolution de celui au public (44% au privé de celui du public en 2012-13, selon l’étude, tableau 4.1 de la page 18), le montant pour la valeur locative est discrétionnaire, c’est-à-dire qu’il est « à la discrétion » du ministre.
En 2012-13 (année scolaire des données utilisées pour réaliser l’étude dont on parle), ces montants étaient de 169$/élève au primaire et de 256$/élève au secondaire.
Cette année (2015-16), on enregistre donc une baisse de plus de 200% de ces montants par rapport à ceux de 2012-13…
Aucune logique particulière ne guide les paramètres pour établir ces coupures, si ce n’est la bonne (ou mauvaise) volonté du gouvernement.
On voudrait mettre de la pression sur le patrimoine immobilier des établissements privés qu’on n’agirait pas autrement.
Pour une école primaire de 400 élèves qui doit payer actuellement une hypothèque à chaque mois sur son bâtiment et en assurer l’entretien, que voulez-vous faire avec 14 000$ pour l’année 2015-2016 ?
Ces chiffres expliquent probablement le constat fait par l’auteur de l’étude et l’introduction à ce billet… l’étau se resserre sur le patrimoine immobilier des écoles privées.
Auparavant, on pouvait tenter d’éponger les déficits au privé par la générosité des communautés religieuses, mais depuis dix ans, il semble que ce ne soit plus possible puisqu’elles ont quitté les conseils d’administration des écoles.
La hausse des frais de scolarité en tant que solution pour compenser les pertes budgétaires fait fuir les élèves. La section 3 de l’étude nous démontre que chaque hausse de 10%, entraîne une baisse de fréquentation de 10% au privé et a pour effet, un coût supplémentaire pour l’État. D’ailleurs, on enregistre cette année pour une première fois au secondaire une baisse des effectifs, au privé.
À noter qu’une hausse de 25% entraînerait une baisse de fréquentation de 25%. Aussi bien dire la fermeture pour les 168 écoles privées dont je parlais plus haut. Une facture salée pour l’État et de grosses répercussions sur la qualité de notre système d’éducation.
Trois possibilités semblent guider les administrations scolaires au privé pour absorber les déficits:
- Les marges de crédit bancaires.
- Le report de travaux qui seraient nécessaires pour l’entretien / amélioration des bâtiments.
- Des baissent de salaires du personnel des établissements qui selon l’aveu même des dirigeants de la FEEP sont en grande majorité en bas des conventions collectives du même personnel qui oeuvrent dans le secteur public.
En désinvestissant en éducation comme le gouvernement l’a fait (au public et au privé), non seulement on ne donne pas certains services que les élèves (et leurs parents) sont en droit de s’attendre, mais on manque aussi à un certain devoir de prospective. Le mode « survie » au lieu du mode « développement » n’annonce rien de bon pour faire face aux nombreux défis de la modernité.
En diminuant la capacité d’accès aux écoles privées comme on l’a fait dernièrement, on alourdit le fardeau au public de deux façons :
- Il y a moins d’argent pour les élèves du public puisqu’à budget égal, chaque élève qui transfère du privé au public coûte beaucoup plus cher à l’État.
- Chaque élève en difficulté d’apprentissage qui ne peut fréquenter le privé faute de financement adéquat ou d’ouverture des écoles contribue à maintenir le déséquilibre qui veut qu’il y ait surreprésentation d’élèves en difficultés au public.
La société québécoise bénéficie donc de l’apport de l’enseignement privé, mais en lui coupant les vivres, on se prive de ces bénéfices. On pourrait ainsi hausser les subventions et cesser de créer des augmentations de frais de scolarité ce qui épargnerait de l’argent à l’État. L’étude révèle à la page 23 que l’application inverse du principe des vases communicants serait très rentable : « une hausse de subventions de 10 % par élève produirait des économies globales de 27,9 M $ pour le MÉESR, tandis qu’une hausse de 25 % générerait des économies de 37,1 M $ ».
Les informations que je détiens sont à l’effet qu’aucun représentant du réseau des écoles privées n’a été invité aux consultations particulières sur le projet de Loi 86. Pourtant, ils en connaissent un bail sur l’autonomie des écoles et sur ce qui doit être fait pour qu’un élève réussisse ses études. L’idée n’est pas de les inviter pour qu’ils plaident pour un transfert d’élèves du public vers le privé, mais pour qu’ils expliquent en quoi une école autonome agit pour procurer davantage de conditions pour la réussite. On en aurait bien besoin…
Cette étude en traite. Ils pourront toujours la parcourir.
À condition que ça intéresse ceux qui ont déposé le projet de Loi 86…
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