Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section du blogue des «spin doctors».
L’Assemblée nationale et le campus de l’Université Laval sont tous deux ébranlés par les révélations des sept derniers jours. On a souvent l’impression que les deux institutions regardent de haut le peuple et ce n’est pas avec les évènements de cette semaine qu’on va corriger cette perception.
J’aimerais pouvoir écrire ce billet animé de meilleurs sentiments, mais il m’est impossible de nier la réalité: encore une semaine où on perd un peu plus confiance en ceux qui nous dirigent.
J’étais parmi les 500 personnes présentes mercredi soir devant le pavillon Alphonse-Marie Parent de l’Université Laval pour manifester mon appui aux étudiantes victimes d’intrusions dans leur espace privé (au minimum) et dans certains cas, d’agressions sexuelles.
Dans la ville que j’aime d’amour, on a déjà été 50 000 personnes à participer à la Marche Bleue le 2 octobre 2010 sur les Plaines d’Abraham. L’enjeu était le retour d’une équipe de la ligue nationale de hockey.
Je ne souhaite pas tomber dans la basse démagogie, mais j’avoue avoir laissé une certaine déception m’envahir mercredi soir en constatant que nous n’étions que 500 à venir appuyer des jeunes femmes.
Je préfère voir le verre à moitié plein et me dire que nous sommes au début de quelque chose qui part de Québec.
Quand je lis ce genre de texte, je ressens bien qu’on souhaite dire « merci Alice » bien davantage qu’autre chose.
Le « autre chose » existe, cependant. On le voit, on l’entend et on l’écoute, mais je refuse de croire qu’il constitue le point de vue majoritaire.
Cela dit, parmi les raisons qui expliquent que la parole se soit davantage libérée sur ces questions de la violence sexuelle faite aux femmes, il y a le fait que chacun dispose des moyens de devenir lui-même un média.
Sans connaître les langages informatiques et la programmation, un individu peut maintenant prendre la parole en public sans le filtre des médias de masse.
Il n’y a pas que des avantages de cet état de fait, mais il faut tout de même admettre qu’il est possible de se sentir moins isolé dans une communauté où rapidement le #OnVousCroit est présent pour accueillir la parole libérée.
Ça sort parfois tout croche, très échevelé même, mais ça sort.
Souvent on en dit trop, on peut même dépasser certaines limites, mais ça sort.
Nous ne sommes qu’au début de notre capacité à comprendre les pièges qui viennent avec l’utilisation de ces nouveaux moyens de communiquer et de vivre ensemble.
Les usages se multiplient dans le « farweb » et les répercussions se ressentent dans la vie réelle, avec les bons et les mauvais côtés.
C’est ainsi que mercredi soir à l’Université Laval un climat d’accueil à la confidence s’est rapidement installé.
On insiste beaucoup sur le témoignage de Rosalie et d’Alice, à raison, mais ce soir-là plusieurs autres sont venues raconter leur histoire d’horreur.
Elles ont été accueillies dignement.
Des noms ont été prononcés, des faits ont été révélés. Je me souviens en tenant la main de ma conjointe que les genoux m’ont plié à quelques reprises, tellement ce que j’entendais était épouvantable.
Une dame qui disait avoir 69 ans et penser régulièrement au suicide était de celles qui en avaient long à raconter. J’espère qu’elle obtient actuellement du soutien parce que ce qu’elle a témoigné est t.e.r.r.i.b.l.e.
La motivation de base de celles qui montaient sur la petite scène était de supporter celles qui étaient devenues le prétexte du rassemblement, mais plusieurs qui avaient pris la décision de parler l’on fait spontanément, sans préméditation.
Dans ce festival de la dénonciation publique, on se sentait revenu à l’époque du « farwest », cela écrit sans porter de jugement sur l’à-propos d’avoir ouvert les micros à tous et à toutes.
La parole se libérait en compensation d’un refoulement évident.
Tout ce qui a suivi dans l’actualité d’hier et d’aujourd’hui est concentré autour « du cas Sklavounos », mais il ne faudra pas oublier avec le recul qu’il s’agit d’une prise de conscience qu’il existe peut-être sur le campus universitaire et à l’Assemblée nationale une culture du viol.
C’est gros, je sais.
Cette culture est probablement représentative de celle qui existe dans la société.
La culture du viol tolère ou banalise la violence à caractère sexuel, elle n’est pas le fait d’encourager de manière explicite le viol.
Martine Delvaux parle tout simplement de la « chosification » des corps féminins (source).
Je suis assez d’accord avec l’idée que « Les boys, on a besoin de parler »…
Ouf.
C’est gros, je sais.
Je m’attends dans les prochains jours à ce qu’on discute de ce sujet, bien sûr.
Ce n’est pas la première fois qu’une certaine prise de conscience occupe l’espace public.
En 2014, la poursuite de Mariloup Wolfe contre le blogueur Gab Roy.
En 2015, des événements sexistes sur le campus de l’Université d’Ottawa.
Toujours en 2015, la multiplication des plaintes de harcèlement sexuel contre Marcel Aubut.
Ça va… ça disparait… et ça revient.
Mais je m’attends surtout à ce que sur le campus de l’Université Laval et à l’Assemblée nationale, on cesse de regarder cela de haut.
Quand je lis Sklavounos, «insistant», «déplacé» et «cruiseur», je constate que la culture du viol est présente dans l’enceinte même de l’hôtel du Parlement du Québec.
Quand je regarde de nouveau les affiches que les étudiantes et les étudiants universitaires avaient préparé mercredi soir (1, 2, 3, 4, 5), je constate aussi qu’elles référent à cette culture.
Assnat, we have a problem !
ULaval, we have a problem !
Et il faut s’en occuper résolument…
N.B. Plus tard en journée « je me suis commis » sur le même sujet dans une chronique sur BLVD 102,1 FM…
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