Note : Ce billet a aussi été publié au Huffington Post Québec dans la section « blogue ».
Un important mouvement de protestation contre le progrès technologique a marqué les Midlands, en Angleterre, autour des années 1811-1817. Il semble que tout cela ait commencé par des messages signés « Ludd », parfois « Ned Ludd », ou « général Ludd ». Les luddites ont résisté courageusement, selon les uns, ou semé des violences inutiles, selon d’autres. La défense de l’emploi était au centre des revendications. Pour résister à l’introduction de la mécanisation dans l’industrie textile, la colère de certains s’est dirigée sur des machines qu’on tentait de détruire pour ralentir le progrès. Il s’agissait de « s’attaquer aux mécanismes sophistiqués qui les remplacent dans leur travail » (source).
Obscurantisme ou résistance légitime, l’histoire semble privilégier le scénario de « l’épopée courageuse qui a fini au gibet ».
Les librairies qui ont initié le mouvement « Sauvons les livres » n’ont rien en commun avec les luddites d’autrefois. Pour le moment du moins…
Mais je ne peux m’empêcher de craindre que derrière la revendication à l’effet de réglementer le prix des livres, il y ait certaines velléités qui s’apparentent au combat des luddites. L’indignation engendrée par le virage numérique pris par Marie Laberge et Arlette Cousture participe à la montée d’une certaine colère chez des libraires du mouvement; certains sont allés jusqu’à traiter les deux auteures de traîtres !
La réglementation proposée par « le lobby du livre » vise à contrer une concurrence des magasins grandes surfaces et prétend éviter rien de moins que la mort de la littérature. Ceux qui appuient le projet, savent que ce ne sera pas suffisant pour « passer à travers les prochains bouleversements » (lire Clément Laberge, vice-président exécutif chez De Marque). Dans les faits, c’est la vente en ligne et le progrès technologique qui me semblent représenter le vrai défi des libraires. Derrière Sauvons les livres, il y a aussi « sauvons des jobs » et « préservons la traditionnelle chaîne du livre »…
« Car les démarches d’Arlette Cousture et de Marie Laberge suppriment les intermédiaires traditionnels entre l’auteur et ses lecteurs : éditeurs, imprimeurs, distributeurs, librairies. On l’a vu en musique et en cinéma, les nouveaux usages numériques favorisent naturellement cette « désintermédiation », comme l’appelle Josée Plamondon, bibliothécaire de formation, et analyste des contenus numérique, qui a suivi l’affaire Laberge et Cousture avec grand intérêt. « C’est sûr que ça ébranle tout l’écosystème. De là à invoquer qu’il faut absolument maintenir le système actuel parce que sinon, il n’y aura plus de livres, c’est partir en peur ». » (source)
Dans le communiqué d’invitation, le mouvement Sauvons les livres parle de poser un « premier geste d’éclat ». D’autres suivront, semble-t-il. Au Devoir, dans un article portant le titre « Les librairies indépendantes serrent les rangs » il est question d’urgence et d’épuisement : « Le fait que depuis 2006, 31 librairies indépendantes ont fermé leurs portes, dont 24 depuis 2010, montre à quel point la situation est précaire. »
Quel est l’impact du numérique sur la création littéraire ?
Est-ce que la dématérialisation du livre ne pourrait pas plutôt offrir de meilleures garantie d’une plus grande diversité des oeuvres littéraires ?
Quel avenir pour la littérature et le livre au Québec ?
Toutes ces questions – et les réponses – doivent être soupesées avant de conclure à un danger imminent pour la littérature. Si l’industrie du livre papier telle qu’elle existe en ce moment est menacée, la montée du commerce électronique et le virage numérique doivent davantage préoccuper les intervenants que la guerre à livrer aux grandes surfaces. Heureusement, certains propos laissent croire que les luddites ne prendront pas racines dans ce débat…
« Pourquoi avoir choisi de transposer le modèle papier dans le numérique ? « On se demande nous aussi si c’est une bonne idée », répond Gilles Herman. » (source)
La teneur des prochains « gestes d’éclat » devrait nous en dire davantage sur la direction que prendra le mouvement.
Le BookCampMontréal du vendredi 8 novembre 2013 sera peut-être l’occasion de pousser plus loin ces réflexions autour des mutations du livre et de la lecture.
Mise à jour du 6 novembre 2013 : Deuxième action d’éclat : « Au tour des éditeurs ». À lire aussi, le ras-le-bol du Président de l’Association nationale des éditeurs de livres.
Mise à jour du 2 décembre 2013 : Le gouvernement, malheureusement, va de l’avant dans son intention de fixer le prix des livres neufs, à l’intérieur d’un projet de loi à être éventuellement présenté. Mauvaise journée pour ceux qui croient à du support pour un meilleur virage au numérique.
Mise à jour du 7 décembre 2013 : Semaine difficile pour le projet gouvernemental puisque le Parti Libéral s’est rallié aux arguments de la Coalition Avenir Québec. Ce matin, Michel Dumais écrit une très bonne chronique sur les enjeux réels de ce débat : « Le livre est unique ».
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