Aurions-nous mérité notre titre de «Person of the Year» par défaut?

Parmi les réactions à l’initiative du Time de nommer chaque producteur de contenu sur le Web «La personne de l’année», il y en a plusieurs qui ont retenu mon attention. Du côté des blogueurs (1, 2, 3, 4 et 5), il n’y a pas vraiment à être surpris de constater que la nouvelle ait plu. Tim de «Assorted Stuff» se demande quelle proportion des gens qui lisent la revue papier fait partie de ceux qui se reconnaîtront dans le fameux miroir :

«I wonder how many of the people who subscribe to the magazine or buy it from a newstand (and see themselves in the mirror) are part of the “massive social experiment” in which web users also contribute to its content.»

J’aime bien cette question parce qu’à la base, on peut penser qu’une des intentions du comité de sélection a pu être de mieux rejoindre son lectorat dans cette période où les médias se cherchent un niche. Le phénomène du «on ne lit que ce qui nous révèle un peu de nous même» fait en sorte qu’il y a des sceptiques au portillon parmi les gens des médias plus traditionnels. Nathalie Petrowski est un bon exemple du titillement qui anime les pros du papier. «What’s the point?», demande-t-elle à propos des gens qui bloguent :

«Je ne comprenais pas leur concept ni leur utilité ni pourquoi tant de gens tenaient à tout prix à nous raconter leur vie.»

Il a suffi d’une chroniqueuse blonde pour opérer la conversion. Du côté de Richard Martineau, la révolution technologique ne l’impressionne pas beaucoup :

«Internet a décloisonné l’information, c’est vrai. Mais on est passé d’un extrême à l’autre. Désormais, il n’y a plus de règle du jeu, plus de balise, plus d’imputabilité. C’est le far west. C’est à celui qui dégaine sa souris le plus vite, et qui descend des réputations le plus rapidement.»

Le chroniqueur a beau bloguer lui-même, c’est le côté noir de la force qui l’obnubile. Tout comme Mme Petrowski d’ailleurs, ce sont les «bobards, les rumeurs, les délires paranos, le «stoolage», le «bitchage» et les théories du complot» qui foissonnent sur le Web qui lui font dire que le Time n’a pas nécessairement mis le doigt sur ce qui aurait vraiment marqué cette année 2006.

L’article d’aujourd’hui de Paul Cauchon vient sauver l’honneur des journalistes quant à moi :

«Cette prise de pouvoir des internautes constitue-t-elle une véritable révolution? Time grossit-il le phénomène en y consacrant son numéro de l’année? Difficile à dire. Mais on ne peut en tout cas faire fi du phénomène, alors que toutes ces formes d’expression sont en expansion continuelle et envahissent de plus en plus les médias classiques.»

Le mot de la fin à un blogueur, Damian West :

«Ainsi, ce miroir en couverture du Time signifierait-il aussi qu’on ne devinerait plus assez qui pourrait vraiment incarner une personnalité remarquable, aujourd’hui aux yeux du public. Quand Bush joue les terreurs qui mordent le sable irakien. Quand le président iranien lui répond sur le même ton des coquelets duellistes, qui s’affrontent sur la place du prime time au centre du village global. Aussi, quand la Corée use d’une diplomatie média qui sait lâcher tout le lexique du nucléairement incorrect. Enfin, quand toutes ces éminences mondiales qui devraient naturellement tirer cette couverture du Time à soi par toutes marques d’excellence, quand ces élites glissent si aisément dans l’errance. Et donc, qu’elles lâchent cette une prestigieuse (sinon la tribune pour le siècle qui vient) pour la laisser à de simples inconnus innombrables, qui viennent subrepticement de rapter la planète entière, et par une porte à peine dérobée. Et pire ou mieux encore : depuis chez You, devant votre moniteur (Oui! Vous!) de la personnalité de l’année 2006.»

Je crois que le Time a surtout jugé que 2006 aura peut-être été l’année où le pouvoir aura cessé d’avoir tendance à se concentrer dans les mains d’un seul individu, si puissant soit-il. Je ne suis pas en train de dire que le pouvoir bascule vers les internautes. Je suis en train d’affirmer que la capacité de n’importe qui de diffuser du contenu sur La Toile change les rapports de force entre les individus, les institutions et les corporations qui cherchent le pouvoir. Le Time aura simplement consacré que le temps est arrivé de prendre Sa place dans ce Nouveau Monde qui cherche à émerger après avoir trop longtemps laissé à l’autre le soin d’organiser les choses…

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2 Commentaires
  1. Jean Trudeau 16 années Il y a

    Je trouve à la fois fascinant, intrigant et inquiétant, ce besoin que semblent avoir bon nombre de blogueurs d’être ‘reconnus’ par les médias traditionnels… Complexe d’infériorité des blogueurs face aux ‘vrais’ journalistes? Fatale attraction des médias conventionnels? Convergence stratégique de bon aloi? Récupération du phénomène des blogues par les médias, pivot de l’économie de marché? On peut au moins se poser quelques questions…

  2. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 16 années Il y a

    Évidemment, toutes ces questions sont légitimes et nécessaires… cela n’empêche pas qu’on puisse souligner le fait qu’un « collectif difficilement identifiable » est en train de changer la face du monde.
    Je n’ai jamais compris la « personnalité de l’année de Time » comme une reconnaissance d’excellence… ni comme un hommage au mérite — je crois plutôt qu’il s’agit du résultat d’une observation sur « la/les personne/s qui ont le plus influencé le cours de l’humanité au cours de la dernière année ». C’est d’ailleurs en ce sens que nous le présente Wikipedia (section « controversy »):
    « The title is frequently mistaken as being an honor. Many, including some members of the American media, continue to wrongly perpetuate the idea that the position of « Person of the Year » is a reward or prize, despite the magazine’s frequent statements to the contrary. »
    Source:
    http://en.wikipedia.org/wiki/Person_of_the_Year
    En ce sens, je crois que ce n’était pas dénué de tout fondement d’accorder ce titre « aux internautes 2.0 ».
    Ensuite, qu’il y ait des limites à l’exercice, qu’il y ait une forme d’emballement, de récupération médiatique, etc. Certes… et ce coup de projecteur aura peut-être aussi le mérite d’en souligner l’existence et de donner la parole à ses détracteurs.

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