Ce matin, j’ai prononcé une conférence à l’ouverture du 25e colloque de l’AQUOPS où je m’étais fixé comme objectif de démontrer aux enseignants l’importance d’intégrer l’utilisation des TIC dans leurs stratégies pour faire apprendre. Je n’avais que trente minutes pour ce faire. Sous l’hyperlien plus bas, vous retrouverez le texte écrit pour l’occasion qui s’avère beaucoup plus complet que l’allocution elle-même. Voici le lien pour les diapositives utilisées (3.7 Mo).
Conférence au colloque de l’AQUOPS : 25 ans au coeur de nos pratiques
N.B. Au moment de publier ce texte (quelques instants après la conférence), je n’ai pas eu le temps de faire beaucoup d’hyperliens dans mon texte. Je me reprendrai suis repris dans les prochaines jours heures…
«Vous n’enseignez pas ce que vous savez, vous enseignez ce que vous êtes.»
Cette citation qui vient d’un homme politique Français du XIXe siècle (Jean Jaurès) est souvent utilisée par Albert Jacquard lorsqu’il parle d’éducation en public. Elle m’inspire beaucoup. Après vingt-quatre ans dans le monde scolaire dont vingt-deux passées dans deux écoles secondaires et une au préscolaire/primaire, je peux dire que bien peu d’anciens élèves m’abordent en me rappelant ce que je leur ai appris; un très grand nombre par contre me racontent ce que j’ai été pour eux. Il semble que mon comportement, par une parole dite, dans un geste posé au bon endroit au bon moment, ait pu faire une petite différence dans le la vie des enfants ou des adolescents que j’ai côtoyés. Plusieurs sont rendus grands aujourd’hui et, avec le recul, je suis très heureux d’avoir pu contribuer à ce qu’ils sachent comment agir avec ce qu’ils apprennent et ont appris.
L’éducation est ma grande passion. Celle qui me réveille le matin et celle sur laquelle je m’endors le soir. J’ai débuté en 1983 comme surveillant de dortoir dans un internat après être devenu éducateur physique. Tout jeune, j’ai aimé profondément l’école, malgré que je m’y sois beaucoup ennuyé dans la plupart des classes que j’ai fréquentées. J’ai eu des éducateurs extraordinaires sur mon passage et j’aime à penser que je consacre ma vie professionnelle à rembourser une espèce de dette que je m’imagine avoir contractée auprès de tous ces adultes qui m’ont donné tant de temps. Je ne vous raconterai pas ma vie ce matin, mais j’ai passé ma jeunesse à essayer de me faire reconnaître d’un père plutôt absent. Autant on peut faire des folies pour se voir reconnu, autant on peut aussi mettre beaucoup de passion dans un domaine. J’ai choisi la deuxième voie. Ça me fait tout drôle d’être devant vous ce matin. Ça doit bien faire la quinzième 15e fois que je m’adresse à de grands groupes sur le sujet de l’éducation et à chaque fois, c’est un grand plaisir renouvelé. On m’a demandé de témoigner de mes initiatives et de mes réflexions à Autrans (1, 2), à Dijon, à Vancouver, à Poitiers, à Paris, à Tunis, à Toronto, à Montréal et dans plusieurs autres régions du Québec, mais l’AQUOPS, c’est spécial pour moi. C’est comme une réunion de famille. Merci aux organisateurs de m’avoir invité.
Vers la e-ducation
Bien peu de choses me prédisposent aujourd’hui à venir vous parler d’éducation aux nouvelles technologies. Et pourtant, j’ai tant à vous dire. Je n’ai aucune prétention de vous apprendre quoi que ce soit ce matin sur l’utilisation des ordinateurs, des logiciels et ou sur d’autres préoccupations de «geek». Mon expertise est ailleurs. J’étais à Joliette la semaine dernière dans une classe de sixième année et à la fin de l’après-midi, l’enseignante que j’étais allé supporter voulait permettre aux élèves de me questionner puisqu’ils le demandaient. Le premier p’tit bonhomme de onze ans qui a levé la main m’a demandé : «Quand vous étiez au primaire à l’école, combien de temps passiez-vous devant les ordinateurs Monsieur?» Avant de vous raconter la réponse que je lui ai offert, je vais vous parler d’éducation 2.0; plus spécifiquement de ce que je perçois comme évolution (sans qu’il y ait nécessairement eut rupture) qui nécessite qu’on s’occupe l’utilisation des nouvelles technologies. Qu’un jeune garçon s’imagine qu’Internet et les ordinateurs personnels existaient dans la forme actuelle voilà trente quelques années témoignent bien des présomptions des jeunes d’aujourd’hui… À ce jeune homme, j’ai répondu par une question : «Depuis combien de temps tu crois qu’Internet existe?» Je pose souvent cette question à des plus jeunes. Je suis toujours ébahi de voir leur mine déconfite me disant presque «mais est-ce que c’est possible qu’Internet n’ait pas existé un jour…»
Depuis Gutenberg, il n’y a pas eu changement aussi puissant que l’arrivée massive dans la vie des gens que ce nouveau moyen d’échanger et d’apprendre : Internet! Un enfant de douze ans, en 2007, a navigué pendant des heures et des heures sur Internet. Il a échangé des courriels, il s’est exprimé dans plusieurs séances de clavardage, il est devenu producteur de contenu sur le web, il a téléchargé de la musique et des films, il a joué en ligne plusieurs heures et il sait mieux que vous comment utiliser la plupart des logiciels que l’on trouvent dans les écoles ou les résidences personnelles des citoyens d’aujourd’hui. Il est un natif du numérique. Aux États-Unis actuellement, il porte un chandail sur lequel on lit «I’m not A.D.D. (Attention Deficit Disorder). I’m just not listening!» Ça veut dire « Je n’ai pas de déficit d’attention. C’est juste que je ne suis pas du style à écouter. » Insolent n’est-ce pas? Tenez cette casquette qu’on pourrait aussi voir porter par des natifs dans vos écoles cette semaine au retour du colloque de l’AQUOPS: « Pourquoi est-ce que les cookies de mon ordinateur en savent plus sur ce que j’aime lire que mes profs? » Plus désolant qu’insolent cette fois…
Il était une fois les natifs et les immigrants.
Vous qui lui apprenez à ce natif, êtes un immigrant dans ce merveilleux monde des nouvelles technologies et, dans le meilleur des scénarios, votre accent comme le mien n’est pas trop perceptible. Nous sommes tous des immigrants ayant un accent qui enseignons à des natifs et il faut voir que nos manières les font bien rigoler… Ont-ils torts? Ce qui me fascinait le plus dans la dernière école où j’étais directeur au début des années 2000, était la réaction des parents qui venaient avec leur tout-petits et qui avaient eux-mêmes été élèves dans cette école. « WoW… que c’est plaisant… RIEN n’a changé… TOUT est comme avant. Ça veut dire que vous aller faire avec mon enfant comme les bonnes soeurs ont fait avec moi. » Quelle déception ils m’infligeaient. Quelle détresse m’envahissait! Vous imaginez le conflit de valeur qui se posait déjà? Le parent tout content que rien n’ait changé et moi, dévasté par le fait que ça voulait dire qu’ils s’attendaient à ce qu’on fasse apprendre à son enfant dans un environnement semblable, vingt/vingt-cinq ans après qu’il soit passé, à celui dans lequel il avait vécu. Est-ce qu’on serait aussi heureux d’habiter dans la même maison équipée de la même manière qu’elle ne l’était voilà vingt/vingt-cinq ans? Est-ce qu’on serait rassuré de se faire soigner par un médecin qui aurait recours aux mêmes équipements et à 100% aux mêmes pratiques que voilà vingt/vingt-cinq ans. Est-ce que je voyagerais sur une base régulière avec les mêmes moyens dont disposaient mes parents?
Bon, je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a rien de bon dans ces façons de faire d’il y a vingt/vingt-cinq ans. Je veux juste dire que l’éducation est un de ces lieux où le changement ne s’installe pas facilement. Imaginez un parent demander à un professeur en début d’année combien de crayons par classe est-ce que ce il serait souhaitable de retrouver? Un pour dix élèves? Un pour deux élèves? Bien-sûr, la réponse, c’est au moins un crayon par élève… mais dans un contexte où le crayon d’aujourd’hui, c’est pour moi l’ordinateur, ne me demandez pas combien ça en prend par classe, ni combien par professeur… Ça me tue de penser qu’on soit encore dans ce genre de débat!
Tout le monde apprend, mais chacun n’apprend pas les mêmes choses en même temps, à la même vitesse.
Je reviens à vous professeurs. Vous faites apprendre dans une institution qui a toutes les chances d’offrir moins d’équipement qu’à la maison et surtout, ces équipements sont probablement moins performants que ceux que vos étudiants ont l’habitude d’utiliser en dehors de l’école. Votre collègue lambda essaie donc de faire apprendre à l’école à des étudiants qui ont vite fait de découvrir que la connaissance est partout, qu’elle est accessible rapidement et facilement et que tout n’a pas nécessairement à passer par sa tête pour transiter vers celui qui apprend. Vous et vos collègues savez aussi, par les recherches autant que par votre expérience, que chacun dans la classe n’apprend pas les mêmes choses au même moment et à la même vitesse.
Cela vous commande de posséder dans votre coffre à outils de multiples stratégies pour favoriser les apprentissages de vos étudiants. En plus des explications, de la pédagogie frontale, vous utilisez l’approche coopérative, l’apprentissage par projet et surtout, vous vous assurez de différencier votre enseignement pour garder les jeunes de votre classe actifs. Vous savez que les jeunes d’aujourd’hui sont plus interactifs que jamais. Lorsqu’ils sont engagés dans des vraies situations d’apprentissage, les jeunes d’aujourd’hui vont à l’école ouverts et réceptifs; on comprend alors que l’institution scolaire PEUT faire la différence. Ça c’est dans le scénario où vous n’êtes pas submergé par des considérations d’indiscipline chronique ou de réalités d’école où c’est votre survie de prof que vous devez assurer.
Mes expériences au contact des TIC…
Et le rôle des TIC dans tout ça? Personnellement, j’ai découvert la puissance des nouvelles technologies par le biais de ce qu’ils qu’elles me permettaient de mieux accomplir dans mon rôle de directeur d’école. J’ai pu faire intégrer les TIC dans l’école que je dirigeais à Québec parce que j’étais moi-même utilisateur et surtout, parce que j’avais appris à voir le bénéfice de leurs utilisations. Bien sûr, comme tous les exaltés de la terre, j’ai pensé tout de suite qu’il serait évident pour les profs de mon école et pour les parents des élèves que l’utilisation des nouvelles technologies leur serait profitable. Je me souviens en 2002 d’avoir envoyé 100 % de mon personnel suivre une formation de deux jours sur l’utilisation d’Internet. Je me percevais comme étant le directeur le plus « hot ». Je me souviens d’avoir déchanté pas à peu près soixante jours après la fin de la formation quand je me suis informé du nombre de membre de ce même personnel qui avait utilisé la formation ou qui avait tenté quelque chose avec les élèves. Trois personnes sur quarante. Quelques milliers de dollars plus tard donc, ajoutez à cela quelques investissements dans les machines, malgré toute la volonté du monde, je n’étais pas plus avancé dans ma quête de pouvoir faire bénéficier de la puissance des TIC en tant que levier pour faire apprendre…
C’est alors que je me suis concentré sur la fonction d’apprenant des enseignants et des autres membres du personnel. Je me suis dit qu’il devenait impératif de considérer que les enseignants ne pourraient intégrer les nouvelles technologies dans leurs stratégies pour faire apprendre s’ils ne bénéficiaient pas eux aussi des avantages de l’utilisation de ces puissants moyens d’apprendre et d’échanger. Tout comme pour les étudiants, apprendre est un verbe d’action qui commande un engagement, un parti pris et demande de l’effort, ce qui ne diminue en rien le caractère naturel de l’acte. Même le résilient sera le premier à accepter l’idée d’une nature et d’une culture de l’apprentissage dans la sa lutte pour s’adapter et survivre. Alors, je me suis concentré sur les apprentissages des membres du personnel selon ce que chacun voulait privilégier. Je vais vous passer bien des étapes… mais je vous dirai quand même que l’essentiel réside dans ma citation du début : «un chef d’établissement scolaire ne dirige pas avec ce qu’il sait, mais en escomptant sur ce qu’il est».
Je me suis mis à utiliser le courrier électronique dans beaucoup de mes communications; bonsoir les pigeonniers. Terminé aussi les réunions d’information descendantes et les approches mur- à- mur. Si la différenciation est bonne en classe, elle peut s’avérer efficace aussi avec les enseignants. Je me suis mis à raconter mes pratiques également. Sur un blogue, « Mario tout de go » que je tiens depuis octobre 2002. Je voulais que chaque élève et chaque classe puisse disposer d’un site Web personnel par lequel l’école pourrait devenir une vaste communauté d’apprentissage. Je ne pouvais tenir le discours privilégiant l’utilisation de ces outils sans devenir le premier utilisateur. En bloguant, j’ai découvert la force de la culture de réseau. J’ai considérablement amélioré la qualité de mon français et ce, devant les gens qui venaient me visiter et qui au départ, me corrigeaient sur un coin de table. J’ai appris à mettre en mots bien des émotions que ma condition d’homme ne me prédisposait pas naturellement de faire et surtout, je me suis mis à découvrir que ce qui était bon pour moi l’était aussi pour d’autres. Je me suis mis à sentir que le poids de faire apprendre ne résidait pas que sur mes seules épaules. J’ai découvert que le dialogue me permettait d’objectiver ma pratique, d’améliorer mes stratégies et de le faire aux vus et aux su de la communauté avec lequel laquelle j’oeuvrais au quotidien. Les élèves de plusieurs classes et quelques profs ont eux-aussi embarqué, doucement. Deux ans après avoir vécu l’expérience dans une classe de 55 élèves du primaire disposant chacun d’un ordinateur portatif chacun, les observateurs ont trouvé que c’était fabuleux, mais que le succès de l’expérience était probablement relié à ce portable. Après avoir vécu l’expérience à la maternelle et en première année avec des jeunes qui ne disposaient que de quelques postes de travail fixes dans la classe, on a prétendu que c’était parce que j’étais là que ça marchait. Je suis parti de l’Institut Saint-Joseph depuis deux 2 ans et l’expérience des cyberportfolios continue de surprendre. Maintenant, elle s’étend à plus d’une trentaine d’écoles et je rêve du jour où nous pourrons disposer d’un outil libre de coût et de droit où toutes les classes du Québec pourront s’ouvrir leur blogue, sans aide extérieure. Nous y travaillons actuellement chez Opossum.
Les jeunes qui bloguent dans un contexte scolaire apprennent à se donner une code de déontologie et comprennent que diffuser n’importe quoi n’importe quand est un piège. En France et aux USA actuellement, plusieurs millions de jeunes natifs d’Internet ont leur blogue et je déplore que les «My space» et les «Skyblog» de ce monde fassent en sorte que trop de jeunes fassent l’expérience de la publication Web sans encadrement ni de leur parents ni des enseignants. Il faut l’admettre, nous ne sommes pas là, les éducateurs immigrants au numérique. Nous ne participons pas non plus aux forums et aux séances de clavardage des jeunes. Le texto qu’ils utilisent pour leurs messages texte nous donne de l’urticaire et nous préférons croire que toutes ces nouvelles approches n’offrent rien de bien valable parce que, évidement, nous ne bénéficions pas de l’apport de ces nouvelles technologies pour nos apprentissages. Nous n’en voyons pas pour nous l’utilité. Moi aussi avant d’avoir un micro-onde ou un lave-vaisselle, je ne voyais pas pourquoi il fallait s’énerver avec ces gadgets; maintenant qu’ils sont entrés dans la maison, ils n’en sortiraient pas, pour tout l’or au monde. Ce qui ne m’empêche pas de respecter ma mère qui ne veut rien savoir d’autre que le lavage de la vaisselle à la main… en autant que c’est elle qui la fait…
À l’école « ruche », les connaissances fusent de partout…
Je pars du principe que le sentiment d’isolement est le mal qui afflige le plus notre profession. Nous inventons et réinventons la roue chacun de notre côté et souvent, nous mettons beaucoup d’énergie à construire des murs entre nos classes, ou entre nos écoles. À l’école sanctuaire dont plusieurs parlent, j’oppose depuis quelques années «l’école ruche». Décrochez tout de suite de mon propos si vous croyez fermement qu’il faut cadenasser les fenêtres de votre classe pour empêcher toutes influences extérieures de vous atteindre. parce qu’à ce moment, je dois vous dire que je n’ai rien de bon à vous offrir!. Je crois que le contrôle est une illusion. Une douce illusion cependant qui nous fait croire qu’un système de protection contre les sites pornographiques, ou contre les têtes à claque ou contre Youtube peut rivaliser, à moyen et long terme, avec de bonnes pratiques éducatives. Je me souviendrai toujours de la réponse de ma petite Rosalie, en entrevue à la radio avec Mme Boucher qui, avant d’être la Mairesse de Québec, était animatrice à la radio du FM 93, à Québec. À Rosalie, elle demandait comment l’école agissait pour ne pas que de si jeunes personnes puissent aller sur des sites cochons? Du haut de ses dix 10 ans, Rosalie avait répondu que la pornographie c’est bien plus un problème d’adulte qu’un problème d’enfant. Je me souviens que c’est en ces termes qu’elle avait dit : «Je ne vois rien d’intéressant dans un site qui montre des gens tout nues et c’est de la faute des adultes s’il y en a autant. Des enfants normaux, ça n’aime pas ça la porno. À l’école, il y a toujours des adultes à qui je peux demander de l’aide quand je vais sur Internet et j’ai souvent besoin de leur poser des questions. J’aime bien mieux que l’école m’éduque plutôt qu’elle m’empêche de voir les dangers et que je sois pris toute seule après sans savoir quoi faire.» Madame Boucher avait passé à un autre appel…
On ne retient que ce qu’on nomme
Vous connaissez sûrement l’adage qu’on ne retient seulement que 10 % de ce qu’on lit, 20 % de ce qu’on lit et écoute, 30 % de ce que l’on voit, 50 % de ce que l’on voit et écoute, 70 % de ce que l’on dit et 90 % de ce que l’on fait. Je prétends que nous ne retenons que ce que nous prenons le temps de nommer. Raconter sa pratique par les blogues (ou autrement j’imagine) permet de discerner le bon grain de l’ivraie dans ce que je fais. Au contact de la communauté des édublogueurs, j’ai appris autant sinon davantage que pendant toutes mes études à l’Université. Par le dialogue sur mon espace Web et sur ceux de mes confrères, je réalise que nous répartissons sur plusieurs épaules la nécessaire veille sur les innovations dans notre domaine. Par les wikis avec lesquels nous collaborons, par les systèmes de folksonomie, par les logiciels sociaux, notre condition d’immigrant nous permet de faire beaucoup plus ensemble tout en comprenant davantage comment le monde de demain en sera un de collaboration et d’interactivité.
L’intégration de ces nouvelles technologies crée des dérangements en même temps qu’elle offre des opportunités incroyables d’affirmation de soi, d’analyse réflexive et de situations authentiques d’écriture. Par les blogues, un élève ou un enseignant n’a plus besoin de connaître les langages de programmation pour devenir producteur de contenu. Dans le domaine sportif, les entraîneurs connaissent les effets positifs de se produire en public. Après avoir expliqué les principaux rudiments et les principales règles du jeu, on applaudit les enfants qui jouent devant un public prêt à pardonner toutes les erreurs… à condition qu’elles finissent par se corriger. En musique, les enseignants considèrent que les gammes sont essentielles, mais ils savent aussi qu’il faut faire jouer les jeunes apprenants devant un public alors même qu’ils débutent leurs apprentissages. Pourquoi en matière d’écriture faudrait-il faire autrement et ne pas permettre que s’exerce au vu et au su de tous, une partie des apprentissages?
Le monde intérieur, le monde extérieur…
Un mot sur la réussite des garçons dans ce contexte d’intégration des TIC. J’ai débuté mon parcours dans un internat de 290 garçons qui entraient à l’école le dimanche soir et qui en sortaient le vendredi. J’encadrais les périodes de devoirs dirigés, j’enseignais et j’agissais en tant que «préfet de discipline». Ce travail m’a obligé à regarder du côté des stratégies d’apprentissage, car il était clair que chacun n’apprenait pas les mêmes choses en même temps. La difficulté de mettre en mots ses sentiments, l’extrême sensibilité à l’opinion des autres, la difficulté de composer avec plusieurs consignes à la fois dans l’exécution d’une tâche complexe m’a porté à isoler certaines variables de «l’être garçon» pour favoriser la réussite scolaire. Je suis allé retourné au primaire, en amont, pour voir comment se passait l’apprentissage avant que les jeunes n’arrivent à l’adolescence. J’ai constaté qu’en matière de littératie, les jeunes bénéficiaient de pouvoir écrire en public sur les blogues scolaires. Le fait de pouvoir aller au bout de ses idées sans être constamment interrompu, de pouvoir se donner ses propres stratégies de révision, de pouvoir refléter dans le virtuel une image à la hauteur de ses ambitions portait chacun à mieux apprendre. Les jeunes écrivent davantage et respectent beaucoup plus la langue au contact des blogues scolaires. Ils lisent aussi davantage puisque le fonctionnement en communauté d’apprentissage leur fait réaliser qu’il n’y a pas que le prof de français qui porte une attention à la qualité de la langue. Produire un travail scolaire pouvant être consulté par la planète entière produit un sentiment de travailler pour de vrai, crée le levier pour que chacun devienne demandeur de connaissances. En plus de papa/maman, de la famille élargie, des voisins et des amis, les internautes réagissent à ce que le jeune homme publie sur Internet… Se trouvant valorisé d’obtenir autant d’attention, pouvant aller davantage à son rythme et étant capable d’entrer en conversation, l’étudiant «garçon» comprend qu’il est le responsable de ses apprentissages et brise le cercle vicieux de la pensée magique qui le porte à croire que les difficultés qu’ils vivaient n’étaient pas de son ressort…
Mes amis, les cadres des écoles
Un dernier mot pour les cadres scolaires qui sont dans la salle. Votre premier défi, selon moi, est de faire naître l’enthousiasme dans votre milieu. Une école dirigée par un cyberpédagogue n’est pas celle menée par un spécialiste de l’informatique. C’est celle où les pratiques de gestions sont orientées vers les apprentissages et la communication. L’école dirigée par une personne qui croit en la valeur des TIC ne confie pas son service informatique à d’autres qu’aux pédagogues. Une institution qui croit au levier des nouvelles technologies pour faire apprendre valorise les usages bien avant les procédures. Je suis convaincu que bon nombre d’initiatives sont tuées dans l’oeuf par ceux qui sont obnubilés par la sécurité et le corporatisme ou un trop grand souci de rentrer dans les rangs.
Je ne vais pas être gentil dans les prochaines lignes. Je crois beaucoup à la discipline et à l’ordre. Mais je considère que la culture de l’école (primaire autant que secondaire) est encore empreinte d’un dogme du contrôle, des rangs, du silence et des «retenez-vous» qui créent de grandes contraintes. Tellement grandes, qu’elles tuent l’initiative et l’entrepreneuriat. Au-delà de ce qu’on peut penser de l’extérieur, on n’apprend pas beaucoup aux jeunes à s’y affirmer et se responsabiliser. Souvent, la pression monte et telle un «presto», la vapeur siffle par les ouvertures. Les énergies, qui se présentent au lieu d’être canalisées par un apprentissage encadré d’échanges encourageant favorisant le dialogue, sont découragées. Pas facile dans une école, si on est un jeune, plutôt discret et intraverti, de faire sa place dans un monde où la valeur du «silence s’il-vous-plaît» est trop souvent érigée en absolue… Il y aurait des nuances à faire, mais pour le développement de ma conclusion, il convient de montrer comment les problèmes de violence chez les jeunes, les gangs de rue et le suicide même, prennent racine dans le fait de ne pas avoir appris à mettre des mots sur ses émotions. Je suis de ceux qui croient à l’autorité des arguments et à la discipline de l’effort.
Méchant contraste
Dans une émission à laquelle j’avais participé à Télé-Québec à laquelle j’avais participé en décembre, Lucien Francoeur, un poète enseignant, disait « Nous utilisons trop souvent des anciennes méthodes pour une nouvelle espèce qui pèse sur des pitons et obtient toutes les réponses ». Certes, nous ne devons pas devenir les otages d’un système qui nous obligerait à devenir des machines nous-mêmes. Mais je suggère de commencer par apprécier pour nous-mêmes d’abord, les richesses de ce nouveau monde. Quand chacun de nous aura appris à mieux correspondre avec notre neveu ou nièce qui habite loin de chez nous… Quand chacun de nous comprendra qu’au lieu de dénoncer les imperfections de Wikipédia, nous pourrions tous nous investir à les corriger au fur et à mesure que nous les découvrons… Quand nous aurons vu comment nous pouvons influencer les politiciens qui nous gouvernent en allant leur poser des questions sur les blogues qu’ils tiennent et en établissant un meilleur dialogue avec eux… Quand nous apprécierons davantage les bonnes recettes trouvées sur Internet ou les économies à faire en comparant les prix à distance, nous comprendrons peut-être que les jeunes aient le goût d’apprendre et de partager au contact des moyens les plus puissants qui existent actuellement pour accéder aux connaissances et partager du savoir. Nous ne pouvons être autre chose que ce que nous savons. Jouer aux experts techniques dans ce monde de natifs est inutile et fastidieux. Nous demeurons des pédagogues qui connaissons l’être humain, comment il se construit et par quoi il doit passer dans les étapes de sa vie. Nous savons ce qu’il doit posséder dans son coffre à outils pour aller accéder aux paliers supérieurs. Nous connaissons de mieux en mieux les chemins qu’il doit fréquenter pour qu’il se pose les bonnes questions et qu’il trouve ses réponses. Nous ne faisons pas partie du problème, mais de la solution !
Le vent passe, mais les crayons demeurent
En terme d’intégration des TIC, rien ne se fera sans les profs. Peu importe les programmes gouvernementaux d’achats massifs d’équipement. Peu importe de vouloir contraindre ceux pour qui ça ne fait pas de sens d’utiliser les réfractaires à l’utilisation des TIC, compétence transversale ou pas. Peu importe de continuer d’investir dans le 15-20 % des utilisateurs champions des TIC. Tant qu’un enseignant n’aura pas appris la valeur ajoutée pour lui la valeur ajoutée des nouvelles technologies, il n’envisagera pas de les utiliser pour faire apprendre. Je sais que beaucoup de directeurs se disent que si on attend assez longtemps, la mode va finir par passer. Mais une chose est sûre pour moi: les jeunes ont franchi eux, le point de non- retour. Ils savent mieux que quiconque comment les TIC font la différence quand il s’agit d’apprendre et de communiquer. Personnellement, j’ai cessé de me battre contre ceux qui voulaient des activités intégrant les TIC, mais dont l’organisation de leur classe tend vers le traditionnelle, c’est-à-dire, je- parle-tu- écoutes et «vous le faites tous en même temps, à la même vitesse». Je ne me bats plus pour organiser des activités intégrant les TIC qui ne changent pas le rapport entre la classe et le milieu où vivent des jeunes.
Je suis de ceux qui croient que la question n’est pas oui ou non… c’est quand? Je suis un peu pressé soit, mais j’aime à penser que chaque mois qui passe nous fait progresser plus vite que le mois précédent. Un ami enseignant qui blogue depuis quelques années a écrit un jour : « Il faut cesser de voir les écoles comme des abris où l’on campe les enfants pendant que la société s’active tout autour». L’école où l’on rencontre des pratiques innovatrices est celle où le bureau de la direction est ouvert autant que les portes des la classes. Une école ouverte sur son milieu l’est aussi par son site Web, ses politiques de transmission de l’information, ses pratiques menant aux changements émergents et l’ampleur de ses services. Être un éducateur qui croit à la valeur des TIC aujourd’hui, être prof, être pédagogue, être papa, être maman ou tout simplement, être, est-ce que ça ne devrait pas d’abord et avant tout être un leader; — c’est-à-dire celui qui prend les devants, — être celui ou celle qui coordonne le déploiement de toutes les ressources que la société choisi de mettre à la disposition des jeunes pour leur apprendre à vivre en société? Et les TIC en font aujourd’hui plus que jamais partie!
Merci de votre attention!
C’était définitivement trop cours Mario….. Mais super intéressant.
Je vais essayer d’évaluer mon accent d’immigrant 🙂
C’est dense et profondément authentique ! Merci pour ce témoignage très touchant que je m’empresse de faire circuler ! 🙂