La semaine dernière, le gouvernement Charest a fait quelques annonces poursuivant l’objectif de réformer la réforme scolaire. Je me suis souvent exprimé ici sur le sujet de l’évaluation des apprentissages; en mai 2006, j’écrivais que les notes seraient bientôt la norme sur les bulletins. Sur ce même billet, je proposais un compromis qui m’est toujours apparu plus respectueux des principes de la réforme et de la volonté des parents:
«Pourquoi ne pas continuer d’évaluer pendant la durée du cycle les savoirs essentiels épisodiquement avec les notations chiffrées sans calcul de moyenne générale au bout du cycle, dans un esprit d’évaluation formative et de faire la même chose avec les compétences en formatif en alternance sur le cycle? Et puis se concentrer sur un bon bilan des apprentissages en fin de cycle à l’aide d’un outil de communication mixte composé du portfolio et des résultats critériés compréhensibles par les parents et les élèves…»
La décision est tombée, annoncée par le PM lui-même et la nouvelle ministre au MELS:
«Le Régime pédagogique rendra uniforme dans toutes les écoles l’utilisation de notes en pourcentages et l’inscription de la moyenne de groupe pour chacune des disciplines (français, mathématique, etc.) dans les bulletins et les bilans des apprentissages (bulletin de fin de cycle). Ceux-ci devront également comprendre une note en pourcentage pour chacune des compétences (lire, écrire, résoudre des problèmes mathématiques, etc.) évaluées par l’enseignant.»
Quelques bons billets ont paru dans la blogosphère sur le sujet dont ceux de Gilles Jobin et de Jean-Pierre Proulx. Je n’ai commenté que celui-ci (en trouvant le tour de faire une faute d’accord dans un des cinq mots de mon commentaire). En ce qui me concerne, la position de Pierre Lachance est celle à adopter. Je paraphrase Pierre…
«C’est NOTRE FAUTE si les partisans de ce bulletin ont gagné, pas celle DES BOSS au MELS ou dans les C.S. NOTRE faute parce que:
- Nous ne sommes pas sortis dans les médias pour expliquer le pourquoi d’un bulletin plus descriptif
- Nous n’avons pas pris notre place de parents qui comprennent très bien le bulletin de leurs enfants
- Nous manquons de courage/détermination quand nous devons affronter des enseignants et leur faire faire un saut (pas des petits pas), donc nous mâchons la gomme avant de la remettre et nous nous contentons de petits pas
- Nous n’avons pas été capables de vulgariser suffisamment la réforme
- Nous n’avons pas été capables de faire comprendre aux enseignants que de se prendre en main (au lieu de remettre son âme entre les mains d’un auteur de livre scolaire) peut être jouisssif.»
L’annonce a créé du mécontentement et n’a pas fini de faire parler dans les écoles et les cuisines. Que faire maintenant en tant que coach?
Je suggère de concentrer le maximum d’énergie sur les autres outils de communication qui peuvent permettre d’apprécier le cheminement scolaire d’un élève. J’ai observé dans plusieurs écoles que l’utilisation d’un portfolio pouvait aider beaucoup dans ce sens. Je me souviens d’avoir vécu des rencontres de parents où cinq minutes portaient sur le bulletin scolaire et quinze sur le portfolio; les parents, les élèves et l’enseignant ne s’en portaient que mieux… Bon, je ne suis pas très objectif dans l’expression de ce point de vue puisque sous l’angle «business», l’entreprise que je dirige promeut les portfolios depuis le début de son existence, mais disons plus globalement que tout ce qui peut centrer davantage la discussion sur le processus (par rapport aux seuls résultats) me paraît aller dans le bon sens, portfolio ou pas!
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M. Asselin, sans vous offenser, on croirait que les partisans de la réforme sont de bien mauvais pédagogues quand vient le temps de présenter et défendre celle-ci. Ils ont pourtant eu toute la machine du MELS et des universitaires derrière eux.
On croirait aussi que bien des enseignants qui rejettent la réforme agissent ainsi parce qu’ils ne comprennent rien à celle-ci ou ne jurent que par des manuels scolaires alors qu’on peut ne pas être d’accord avec le renouveau et faire autre chose que des exercices. Noir, blanc, chiffres, lettres…
Et le retour de la moyenne de groupe, croyez-vous qu’elle va augmenter le taux d’échec et nuire à la réussite des élèves?
Pas d’offense M. Papineau, votre raisonnement découle de ce que j’ai affirmé. Au départ de l’aventure, je ne suis pas certain que nous nous soyons (collectivement) comportés comme de grands pédagogues. Il y avait beaucoup de «top down». Ça c’est amélioré depuis, heureusement…
Il y a des enseignants qui rejettent la réforme. Il y en a qui en rejettent certains petits bouts et d’autres qui se disent «si je peux attendre assez longtemps, ça va passer et je n’aurai pas besoin de faire l’effort de comprendre ou de m’essayer». Il y en a d’autres, nombreux, qui plongent et qui apprécient. Il y a de tout, heureusement…
Pour ce qui est des moyennes de groupe, je manque de temps ce matin pour vous faire une longue analyse, mais ce texte de Robert Cadotte est très proche de ce que j’ai observé; elles profitent aux meilleurs de la classe, à peu de chose près… Voici un extrait du début du texte, «L’ancien nouveau bulletin»:
Au texte de M. Cadotte, je me permets de souligner que les mauvais pédagogues qui démotivent les élèves n’ont pas besoin de moyenne pour les dévaloriser.
On est trop manichéen dans tout ce débat. Les bons profs et les mauvais profs… La méchante moyenne démotivante ou la bonne moyenne motivante… Une moyenne, c’est une moyenne, un repère parmi tant d’autres! C’est la couleur qu’on lui donne , le problème.
De plus, M. Cadotte devrait savoir, avec le temps, que l’effort, le travail et la persévérance sont aujourd’hui reconnus par bien des enseignants et des écoles. On a même changé le nom de la cérémonie de fin d’année chez nous de Gala de l’excellence en Gala de la reconnaissance.
Par contre, ironie de la chose, dans une école près de chez moi, on ne peut remettre de mention d’excellence aux éléves parce que cela discriminait les autres. Bref, il fallait taire l’excellence… N’est-ce pas une dérive un peu absurde?
«On est trop manichéen…»
Le «on» inclus la personne qui écrit (vous M. Papineau) ou pas?
«On a même changé le nom de la cérémonie de fin d’année chez nous de Gala de l’excellence en Gala de la reconnaissance.»
Il me semble que ce soit un signe que les profs reconnaissent la valeur du processus, en effet.
«Il fallait taire l’excellence… N’est-ce pas une dérive un peu absurde?»
Absurde jusqu’à un certain point. Je crois qu’il y a moyen de reconnaître «les meilleurs» sans que l’excellence soit en cause. Tout dépend de ce qu’on entend par rapport à ce concept «d’excellence». Plusieurs élèves parmi ceux qui en arrachent n’ont rien à gagner à ce que l’école cultive un type d’élitisme où seuls les meilleurs (comparés aux autres) seront valorisés. Ce qui ne veut pas dire de cesser de récompenser «ceux qui réussissent de façon exceptionnelle». C’est juste de ne pas récompenser que ceux-ci… «L’excellence» peut aussi vouloir dire qu’un jeune a fait un très grand bout de chemin par rapport à où il était en début d’année; l’excellence peut être celui qui s’est dépassé lui-même d’une façon extraordinaire comparé aux autres… qui a fait des efforts extraordinaires comparés aux autres… qui a relevé de façon admirable un défi personnel qui n’avait pas d’équivalence chez les autres, etc.
Plusieurs enseignants (au primaire en particulier) seront déçus du retour en arrière parce que la fonction «aide à l’apprentissage» de l’évaluation risque d’en prendre un coup avec le retour aux notes et aux moyennes de groupe. C’est si facile de se servir de bulletins valorisant le «positionnement des uns par rapport aux autres» pour faire du «tri social» (aux meilleures notes, les meilleurs programmes, les meilleurs jobs, les meilleurs salaires et les meilleurs bénéfices sociaux).
«Une moyenne, c’est une moyenne, un repère parmi tant d’autres! C’est la couleur qu’on lui donne, le problème.»
Quand il n’y a pas d’autres repères (ce qui est souvent le cas), le choix de couleurs n’est pas bien grand M. Papineau…
Je vous invite à jeter un coup d’oeil à l’allégorie de Grignote. Notre travail n’est pas de qualifier «de réussite» une performance «inadéquate» par rapport à des hauts standards, mais de permettre à quelqu’un qui a atteint ces hauts standards d’obtenir la réussite (qu’il soit dans la moyenne ou pas), même si le chemin parcouru a été parsemé d’erreurs qui ont été corrigées et qui ont façonné les apprentissages.
L’allégorie de Grignote a déjà été expliquée à mon école et elle a fait sourire certains collègues à cause de son côté Passe-Partout naïf et puéril. Qui plus est, l’exemple utilisé ici est réducteur et ne reflète pas la réalité combien complexe de certains apprentissages.
Cette allégorie est basée sur un fondement inexact, à savoir que le bulletin chiffré amène automatiquement le prof à tout compter. Elle confond également évaluation sommative et formative. Dans la réalité, on enseigne en utilisant diverses méthodes pédagogiques. L’élève fait des essais, des erreurs, des réussites et, un beau jour, il doit nous montrer ce qu’il a appris. Il a eu des occassions d’apprendre, de l’aide, du soutien de la part de son enseignant. On est loin de l’enfer scolaire qui mène automatiquement au décrochage et qui favorise l’élève qui réussit au premier essai.
Il est grand temps que certains universitaires et penseurs se réveillent: les principales causes de décrochage au Québec sont reliées à des facteurs socio-économiques et au manque criant de soutien aux élèves éprouvant des troubles d’apprentissage. Tous les efforts investis dans la réforme, tout l’argent qu’on y a consacré auraient mieux servis à travailler à régler tout d’abord ces problèmes. Il est regrettable de ne jamais voir certains libres penseurs qui se plaignent actuellement du retour du bulletin chiffré dénoncer avec autant de véhémence ces problématiques reliées au décrochage.