La «vraie vie» de Richard Martineau

Les «lologues» boudent, semble-t-il. Ils seraient contre «la compétition [qui] existe dans le vrai monde». Voici une réplique à la chronique de Richard Martineau parue aujourd’hui dans les journaux de Québécor.

«Il y a deux façons d’élever des enfants: les surprotéger, les garder dans la ouate, les retirer du vrai monde et leur faire croire que la vie est un conte de Walt Disney. Ou leur montrer comment ça se passe pour qu’ils puissent affronter la vraie vie. Personnellement, je penche pour la deuxième option.»
Richard Martineau

J’ai trouvé tellement ÉNORME l’incohérence de votre texte d’aujourd’hui qu’il m’est venu le goût de vous répondre. Je vous lis de temps à autre, surtout sur votre blogue et je n’ai rien contre vous en tant que personne. Je vous lis pour me distraire parce que vous avez une ligne éditoriale assez particulière, bien affirmée et originale sur des sujets comme les droits des minorités et l’égalité entre les hommes et les femmes. Vous lire me permet souvent de connaître les préoccupations de «l’Homme lamda» de mon âge. Parfois je ris de bon coeur, d’autres fois je ris, mais c’est pas drôle. Ce matin, comme ça arrive trop souvent depuis que vous avez joint le côté sombre de la force, j’ai ri jaune…
Je suis de ceux qui revendiquaient un bulletin scolaire compréhensible par les parents. Les expériences de sourire et de pointe de tarte m’ont profondément découragé, moi aussi. J’ai été directeur dans une école ciblée pour implanter la réforme avant les autres au primaire et je n’ai pas aboli les notes et les moyennes, même si je ne croyais pas à l’importance de les utiliser à chaque bulletin. De fait, elles n’étaient disponibles que lors des évaluations de connaissances. Il est vrai qu’actuellement, une majorité de personnes applaudissent la décision de changer les bulletins et de remplacer les cotes par des pourcentages et des moyennes de groupe. Je m’identifie beaucoup aux «lologues» de votre texte. Je ne boude pas. Dans ce billet d’ailleurs, je nous impute la faute, à nous les pédagogues de cette décision qui ne va pas dans le bon sens. M. Proulx non plus ne boude pas, à ce que je sache. Il est très actif sur le site du RAEQ, entre autres. Je dis ça parce que vous semblez croire que les pédagogues n’aiment pas les échanges de points de vue divergents. Vous vous trompez. J’aimerais bien «débattre avec vous d’ailleurs» en public sur cette question de l’évaluation scolaire…
Il me semble que M. Proulx ait dit que «la décision de revenir aux moyennes de groupe a un mauvais effet, qu’elle accentue la compétition», pas qu’elle la fait naître. Vous voyez, la compétition est partout. Je suis de ceux qui aiment bien la compétition sans en faire une maladie pour autant. Je crois que diminuer son importance à l’école (c’est de ça qu’il est question) est une maudite bonne idée. Ce n’est pas parce que la vraie vie est empreinte de beaucoup de compétition qu’il faut absolument se comporter en sans-dessin avec des enfants en les confrontant le plus tôt possible avec ce qu’il y a de plus abrutissant dans le monde des adultes. Il y a une vie en dehors de la compétition. Dans un système basé que sur la compétition, il n’y a que les très bons qui trouvent leur compte M. Martineau. Et plus on commence jeune à jouer à ça, plus vite on empêche un bon ou un ordinaire de croire à ses chances qu’il peut devenir meilleur un jour et très bon peut-être par la suite. Je ne vous parle pas «des poches» qui sont vite convaincus que l’école «c’est de la merde» et que ce n’est pas pour eux. D’ailleurs, savez-vous qu’un fort taux de «très bons d’un moment» font partie des fameux décrocheurs dont on parle si souvent? Ils ne semblent pas très bien blairer «cette vraie vie» où il n’y a de la place que pour ceux qui tiennent le haut du pavé. Pourtant, ils ont joué au jeu de la compétition, s’en sont nourri peut-être et le désenchantement s’est souvent avéré des plus pénible…
Bien préparer les élèves, ce n’est pas «leur faire croire que tout le monde est égal, qu’ils ne seront jamais jugés sur leur performance et qu’ils ne se feront jamais dire Non…». C’est probablement les convaincre qu’avant de vouloir dépasser l’autre, ils auraient tout avantage à se dépasser eux, en premier. Notre travail (en tant que pédagogue) n’est pas de qualifier «de réussite» une performance «inadéquate» par rapport à des hauts standards, mais de permettre à quelqu’un qui a atteint ces hauts standards d’obtenir la réussite (qu’il soit dans la moyenne ou pas). Votre logique dans ce texte est basée sur le fait qu’actuellement, on fuit les traumatismes. Vous croyez qu’on évite de donner des contraintes aux jeunes. C’est bien mal connaître le milieu scolaire que de croire qu’on ne dit jamais «non»…
Donner des notes et faire des moyennes n’est pas le seul moyen de «relativiser», de mettre «les choses en perspective» et de «mesurer le chemin qui reste à parcourir». Surtout quand on veut savoir si les jeunes sont capables d’agir avec les connaissances qu’ils ont intégrées. L’école d’aujourd’hui vise à rendre les jeunes savants, compétents et plus actifs au quotidien. Pourquoi faudrait-il qu’il y ait des perdants? Vous dites qu’on ferait «gagner les deux équipes» parce qu’on vise à ce que tous réussissent dans leurs études; vous êtes probablement de ceux qui croient qu’un prof qui n’a pas d’élève en échec en est sûrement un qui abaisse ses exigences; je me trompe? Vous faites dans les «ogues» du genre «démago» aujourd’hui M. Martineau. J’imagine que vous représentez bien ceux qui pensent que les jeunes doivent passer par les mêmes trous de serrures que les gens de notre âge pour être à la hauteur… Personnellement, je ne suis pas fier d’un système qui produit autant de rejet et d’inconsistance.
Je ne vous blâme pas, vous personnellement. Vous répétez la litanie des lieux communs qu’on entend dans les Cages aux Sports et les tavernes des années deux mille. Laissez votre petit côté «gérant d’estrade» à la porte et venez faire un tour dans les écoles où les expériences de compétition sont nombreuses, encouragées et encadrées pour que chacun découvre la vraie vie sous toutes ses facettes. Après, si vous êtes gentil, on acceptera peut-être de vous montrer des activités de coopération qui foisonnent aussi dans nos «milieux de perdition» 😉

Tags:
5 Commentaires
  1. Renaud 15 années Il y a

    Merci Mario, j’espère que monsieur Martineau prendra la peine de lire… et de comprendre ce point de vue.

  2. Photo du profil de SylvainB
    SylvainB 15 années Il y a

    Superbe réponse, Mario !
    Je crois que M. Martineau, en bon populiste à la recherche d’un meilleur tirage, mélange dangereusement le côté supposément surprotecteur des éducateurs (alors qu’on sait que ce n’est pas le cas, en général) avec l’obsession « risque zéro » de notre société en général (Sans du tout vouloir faire mon populiste à la recherche d’une cote d’écoute ou de lecture, je me permets de mettre un lien ici (http://slyberu.blogspot.com/2007/06/risque-zro.html), car j’ai abordé ce sujet il y a 2 jours : heureux hasard ! 😉

  3. Photo du profil de Serge
    Serge 15 années Il y a

    Richard est un champion olympique de « l’intéret humain ». Absolument tous ses discours en sont teintés. Peut-on lui reprocher d’essayer de gagner sa vie avec ceux qui le lisent ?
    Pas un style très intéressant, pour d’autres.
    sp

  4. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    Drôle de hasard, aujourd’hui, M. Martineau écrit à peu près l’inverse de ce qu’il écrivait en juin 2007 dans une autre chronique (septembre 2009). Il termine ce texte en disant:

    «Pas étonnant que la consommation d’antidépresseurs soit en hausse. On sort à peine de l’enfance que déjà, on est pris dans un système hyper compétitif…

    Y a juste les fous qui ne changent pas d’idée. À moins que ce soit parce qu’aujourd’hui, il s’agit de sa propre progéniture?

  5. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 13 années Il y a

    Je me garde une note en lien avec ce billet du texte chez C.-A. Bachand, «Pourquoi et comment haïr les mathématiques» (contexte du choix de titre, ici); le lien avec cette notion de compétition est trop direct pour laisser passer sans noter!

Laisser une réponse

Contactez-moi

Je tenterai de vous répondre le plus rapidement possible...

En cours d’envoi

Si les propos, opinions et prises de position de ce site peuvent coïncider avec ce que privilégie le parti pour lequel je milite, je certifie en être le seul éditeur. - ©2022 Thème KLEO

Vous connecter avec vos identifiants

ou    

Vous avez oublié vos informations ?

Create Account

Aller à la barre d’outils