Note : Une première version de ce billet a d’abord été publiée au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».
J’ai traité hier du calvaire de plusieurs nouveaux enseignants qui décrochent en étant confrontés à des classes trop difficiles pour eux, les groupes étant attribués par ancienneté. Leur formation ne les ayant pas nécessairement préparé à des conditions d’exercice de leur profession aussi pénibles, il faut maintenant s’appliquer à nommer des pistes de solution…
Une enseignante, chercheuse et membre d’un conseil d’établissement écrivait d’ailleurs ce matin que ces mauvaises conditions de départ pour plusieurs enseignants qui « possèdent bien leur matière » dans plusieurs cas, n’ont pas nécessairement pour effet l’abandon de la profession, mais le départ du secteur public vers l’école privée, souvent plus habile à offrir non pas de meilleurs salaires, mais un poste permanent et un cadre plus adapté à un début de carrière en enseignement. Ce témoignage qui date déjà de la rentrée scolaire 2003 apporte de l’eau au moulin à ce raisonnement.
L’étude menée par le professeur Thierry Karsenti et ses collègues identifie assez bien les problèmes que vivent les jeunes enseignants, mais me paraît un peu hésitante à pointer les solutions les plus audacieuses qui pourraient permettre d’atténuer (sinon d’enrayer) le phénomène du décrochage.
Pour ce faire, j’ai parcouru cette recension des écrits d’une candidate à la maîtrise de l’Université de Saint-Boniface qui ajoute l’isolement comme élément clé en amont du désenchantement des profs. Certaines pistes identifiées rejoignent celles de l’enquête Karsenti, mais d’autres y sont aussi mentionnées. En ajoutant ma propre expérience d’une trentaine d’années dans le milieu de l’enseignement, j’en viens à proposer sept mesures, détaillées d’ailleurs dans ma chronique de ce matin sur les ondes de blvd 102,1 FM :
- Une vraie démarche d’insertion professionnelle réussie. Il serait normal qu’il y ait des étapes à franchir pour devenir un enseignant expérimenté, même si on a obtenu toutes les qualifications requises dans sa formation initiale à l’université. Entouré par ses pairs et une direction d’école avenante qui sauront le mettre à l’épreuve de manière progressive et adaptée, un nouvel enseignant pourrait ainsi prendre confiance et entrer avec succès dans la profession. Un appel à projet pourrait être lancé dans les réseaux d’établissements scolaires et les meilleures pratiques pourraient ainsi être valorisées.
- L’ajout d’incitatifs importants pour l’attribution de certains postes en enseignement exigeants des compétences particulières. La situation actuelle est intolérable : les groupes classes les plus exigeants professionnellement se retrouvent systématiquement offerts aux enseignants les moins expérimentés. La règle de l’ancienneté a tellement été élevée au statut d’incontournable et d’immuable qu’elle est souvent devenue le seul critère prépondérant dans l’attribution des postes en enseignement. Résultat, les enfants qui auraient besoin des meilleures ressources pour les guider, « héritent » des enseignants qui débutent puisque « les pires tâche » sont les seules disponibles quand vient le temps d’accepter à son tour un poste dans une commission scolaire. On pourrait renverser cette situation en « attachant » à ces tâches plus complexes de meilleures salaires, de meilleures conditions de travail et l’assurance de pouvoir disposer de ressources professionnelles adaptées pour réussir dans ces classes, sans complètement s’épuiser. Ce n’est pas en empêchant les enseignants les plus expérimentés de « s’approprier » les tâches les plus « faciles » qu’on va dénouer la situation, d’autant que plusieurs enseignants expérimentés n’ont besoin que d’un coup de pouce et de valorisation supplémentaires pour accepter des défis à la mesure de leurs compétences !
- L’évaluation des enseignants et de l’enseignement. Il est normal et souhaitable d’être évalué et de recevoir beaucoup de feedback, en particulier en début de carrière. Dans la dernière école que j’ai dirigée, nous avions une politique d’évaluation qui était bien acceptée et les enseignants – les nouveaux en particulier – avaient hâte que ce soit leur tour. J’en réfère à un billet déjà publié sur le sujet…
- La valorisation et la professionnalisation de l’enseignement. J’ai récemment traité de la problématique des trop bas salaires à l’entrée de la profession et je crois encore aujourd’hui que la voie à suivre est de les augmenter en coupant quelques barreaux dans le bas de l’échelle des salaires. La mise en place d’un Ordre professionnelle des enseignantes et des enseignants serait aussi partie prenante de l’offensive visant à donner de la valeur à la profession d’enseignant.
- Le mentorat et la mise en réseaux. Seulement 19 % des nouveaux enseignants interrogés dans la recherche du professeur Karsenti ont indiqué avoir bénéficié de mesures de mentorat pour leur insertion professionnelle. La formule qui consiste à se doter d’un mentor (accompagnement professionnel à haut niveau de la part d’une personne d’expérience) est généralement bien reçue et donne des résultats, comme l’indique quelques études (Johnson On being a mentor: A guide for higher education faculty – 2007, Bergevin et Martineau Le mentorat, laboratoire d’analyse de l’insertion professionnelle en enseignement – 2007 et Kopcha Teachers’ perceptions of the barriers to technology integration and practices with technology under situated professional development – 2012). On observe depuis quelques années que les enseignants qui disposent d’un réseau numérique qui leur permet d’échanger entre pairs peut aussi permettre ce nécessaire accompagnement.
- Repenser la formation initiale et favoriser la formation continue. Si les enseignants disposaient d’un ordre professionnel, cette piste d’action serait probablement déjà mise en oeuvre. Il est souvent question ces jours-ci de la possibilité de rehausser les critères d’admission aux études universitaires en enseignement et plusieurs obstacles se dressent devant ceux qui suivent cette piste. Il ne faut pas désespérer. Autant pour le sujet de la formation en français que pour l’insertion professionnelle et les autres aspects de l’enseignement au XXIe siècle, il devient urgent que la formation tienne vraiment compte des défis à relever dans les écoles.
- Contrat de cinq ans minimum avec une école. Il faut raffermir le lien d’appartenance à son école. Comme l’infirmière qui possède un lien d’emploi avec un hôpital en même temps qu’existe un palier mitoyen entre le ministère de la Santé, un syndicat et un ordre professionnel, l’enseignant doit pouvoir disposer de cet ancrage avec l’établissement scolaire. Il faut stabiliser le taux de roulement du personnel qui est beaucoup trop élevé. Les élèves doivent pouvoir cheminer dans des établissements autonomes qui disposent des meilleurs leviers pour créer un bon climat d’école, effet consécutif d’un bon taux de rétention du personnel et ingrédient indispensable à la réussite scolaire du plus grand nombre.
Ajout : Je me permets de recopier ici le commentaire d’un internaute publié sur Facebook… «Incroyable comment ce dossier avance à pas de tortue… Des solutions existent et ont été proposées depuis longtemps, (2002) Avis du COFPE sur l’insertion dans l’enseignement».
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