Les quelques médias qui traitent des élections scolaires parlent du peu d’intérêt qu’ils génèrent, «alors que deux tiers des candidats ont déjà été élus par acclamation dans l’indifférence la plus totale» (source). Dans une lettre publiée dans le Soleil de samedi (mais non numérisée), Ginette Bouffard (ex commissaire) tente pourtant de mousser l’intérêt:
«Connaissez-vous au moins votre commissaire scolaire? Défend-il bien vos valeurs? Représente-t-il bien votre quartier, votre école et vos enfants? S’implique-t-il dans les dossiers de votre école? A-t-il une présence assidue aux réunions du Conseil des commissaires? Répond-il à vos attentes?»
Je crois que ce sera peine perdue. Dans un texte qui résume assez bien mon point de vue, Jean Bernatchez fait l’autopsie d’une défaite annoncée:
«Là où il y aura des élections, les gens ne verront pas l’intérêt d’aller voter pour des personnes dont ils ne connaissent rien des valeurs. Les élections de 2003 accusaient un taux de participation de 8,4%, une baisse de sept points par rapport aux élections précédentes. La dérive technocratique de la gestion scolaire explique le non-engagement citoyen.»
Une tentative de réforme proposée pour 2009 par la Fédération des commissions scolaires comprend certaines mesures voulant renforcer la démocratie scolaire dont l’organisation conjointe des élections scolaires et municipales. Selon M. Bernatchez, «l’ADQ, qui a un intérêt politique à ce que ça aille mal dans ce secteur comme dans les autres, a miné les chances d’une réforme». On dit que les commissaires jouent un rôle essentiel, que les commissions scolaires sont une forme de gouvernement au service de l’éducation et que la santé de la démocratie scolaire ne peut être évaluée à partir du seul critère qu’est le taux de participation à l’élection des commissaires.
Force est d’admettre que le message d’André Caron (le président de la FCSQ) lie l’exercice du droit de vote et «la nécessité de protéger une démocratie entièrement consacrée à l’éducation». Sur ce flanc, l’appel de M. Bernatchez me paraît être un cri du coeur autrement plus stimulant:
«Quiconque a tâté de la gestion scolaire peut témoigner de la caducité du système. Au-delà des structures toutefois, c’est la culture qu’il faut changer. Il faut politiser les élections scolaires, que les élus assument leur rôle à partir de valeurs qui seront communiquées aux électeurs et électrices, sur la base d’une « vision du monde » qui est la leur. Devant ce défi de transparence, les profiteurs iront se faire voir ailleurs. Il faut instaurer une saine distance entre le président de commission scolaire et la direction. Actuellement, plusieurs présidents sont les valets de la direction. Des équipes pourraient se constituer sur la base de plates-formes électorales simples mais explicites. Des personnes ancrées dans leur milieu, dédiées à la cause de l’éducation, du bien commun et du mieux-être des élèves, devraient aspirer à la fonction.»
Je n’ai pas eu de nouvelle de l’initiative du REER et de M. Bernard Guay dont le site Web a été «protégé» derrière une quelconque barrière. Le Journal de Saint-Hubert a parlé «d’une mobilisation difficile» qui pourrait bien avoir eu raison des velléités de M. Guay. Reste qu’à défaut de changements majeurs dans le fonctionnement des commissions scolaires, les propositions de l’ADQ (qui datent d’un peu moins d’un an) reviendront dans l’actualité. Le taux de vote du 4 novembre prochain risque de peser bien lourd dans la balance quand viendra le temps d’évaluer l’à-propos des changements à faire. Pensons-y…
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Ravi que « Mario tout de go » s’intéresse à mes écrits. Politiser les élections scolaires veut dire pour moi «reconnaître le caractère politique de la fonction de commissaire scolaire». Si la gestion scolaire est présentée comme un acte managérial dépourvu de valeurs et orienté vers l’efficience (un acte apolitique), alors tout citoyen non expert est d’emblée disqualifié. Or, ce n’est pas l’expertise technique qui devrait être requise des commissaires mais bien les éléments qui caractérisent leur condition de citoyens engagés dans le mieux-être de leur communauté, à savoir des valeurs et une «vision du monde» qui leur est propre. Au-delà des clivages gauche-droite qui demeurent pertinents, des citoyens regroupés sous des bannières (fussent-elles réelles comme le MÉMO à Montréal ou symboliques) pourraient militer pour une école et une gestion scolaire à l’image de leurs valeurs, toutes visières ouvertes. Quelle est l’utilité d’élire des individus dont nous ne connaissons rien des idées et des valeurs? À défaut de tels regroupements, il faudrait au moins que les aspirants commissaires puissent dire publiquement ce qui les incite à se présenter, sans utiliser la langue de bois habituelle. Le premier geste à poser? Que les commissions scolaires produisent un dépliant distribué à tous les électeurs dans lequel on retrouverait un bref cv des candidats commissaires et un bref texte de leur cru explicitant les motifs qui les incitent à se présenter. Ce n’est pas très révolutionnaire comme modalité (il faudrait aller beaucoup plus loin que cela) mais c’est déjà un premier pas. La stratégie des petits pas porte parfois des fruits…
Faut voir de quelle démocratie on parle. La démocratie scolaire, elle se vit bien plus au quotidien, dans les CE des écoles qu’autour des sempiternels buffets de petites sandwiches en triangle qui suivent chacune des séances de chacun des conseils des commissaires. La démocratie des écoles est bien vivante. C’est là qu’il faut chercher l’engagement citoyenne et c’est cette démocratie-là qu’il faut préserver. C’est pour arriver à cela qu’en 1982, Camille Laurin proposait de faire des écoles des corporations publiques autonomes, dirigées par des conseils majoritairement composés de parents. Les commissions scolaires, tant qu’à elles, seraient devenues des « coopératives de service », gérées par des conseils d’administration formés des représentants élus des écoles, de représentants du monde municipal désignés par les MRC et d’un représentants des écoles privées du territoire desservi.
À l’époque, il va sans dire que la FCSQ s’est vivement opposée au projet d’une « École communautaire et responsable » en disant que les bas taux de participation aux élections témoignaient du peu d’engagement des parents vis-à-vis la gestion de la chose scolaire et que, ce faisant, leur remettre les clés des écoles favoriserait la prise en charge réelle des écoles par les méchants bureaucrates… Ben oui, les André Caron d’alors jugeaient les parents trop naïfs et Chaperon rouge pour s’occuper de leurs écoles et qu’ils se feraient croquer tout ronds par les gros méchants loups technocrates…
Je pense qu’il faut faire une relecture du livre blanc de 1982 et reprendre le travail où on l’avait laissé. Je me suis déjà largement épanché sur le sujet. Si ça intéresse quelqu’un, c’est ici:
http://carnets.opossum.ca/LeNeuf/archives/2007/08/les_elections_scolaires_1.html
J’ai laissé un commentaire dans le même sens sur le blogue du RAEQ, mais il est en « attente de modération » depuis plus d’une semaine…
Je vais certes faire une lecture du livre blanc de 1982. Merci du tuyau. Camille Laurin n’a pas fini de nous surprendre. Au plan de politiques publiques de l’enseignement supérieur, son discours de 1981 sur une éventuelle politique des universités (qui ne se concrétisera qu’en 2000) marque un tournant majeur malgré le fait qu’il soit demeuré de l’ordre du discours. Il constitue la trace historique qui marque la transition entre le avant (politiques dans la norme de l’État-providence) et le après (politiques dans la norme de l’État néolibéral). J’ai fait un article là-dessus pour Sociologie et société de mai 2008. Et à la lecture de vos billets, je remarque qu’il y aurait une très intéressante recherche à faire du côté des politiques de l’administration scolaire.
Comme ancien président d’un conseil d’établissement, je peux témoigner cependant que la démocratie scolaire n’est pas plus vivante dans ce lieu de proximité. Il y avait un tel contrôle sur l’information que notre conseil, deux années de suite, a dû voter un budget qu’il n’avait même pas vu! Et il y avait une telle pression de la commission scolaire pour qu’on le fasse quand même… Bien sûr, j’ai résisté. Mais en vain. C’est le témoignage que j’ai fait au Conseil supérieur de l’éducation dans le cadre de la rédaction de son avis de décembre dernier sur la démocratie scolaire. Mais peut-être que ma commission scolaire est dans une classe à part. C’est celle-là même où, d’un même souffle, le directeur a pris sa retraite, touché une substantielle prime de départ et a été réembauché le même jour… « Ce n’est pas illégal » a plaidé le président, pressé par les questions des journalistes… Tous les commissaires (sauf un) avaient voté en faveur de la proposition.
Bonjour,
Cela fait plus de huit ans que j’étudie en éducation. Une chose dont je suis certaine : l’école québécoise renferme trop de politique et pas assez d’expertise. Par pression des parents on s’égare entre compétences et bulletins chiffrés; par souci d’équité syndicale on condamne d’excellents enseignants à la précarité d’emploi; à cause du manque de financement et d’expertise on accuse les élèves handicapés et en difficulté des piètres performances de l’école publique…
Bien que je sois contre l’opportunisme de Mario Dumont, l’idée d’abolir les commissions scolaires me fait grandement sourire. Elles remplissent des fonctions administratives vitales pour le système scolaire, mais elles sont aussi le symbole d’une bureaucratie lourde, dédoublant en de nombreuses occasions le travail effectué par le ministère de l’éducation qui dans ces conditions est relégué à un rôle de conseiller plutôt que de leader. L’exemple des élèves en difficulté le montre, les parents n’ont pas accès aux même services pour leur enfant d’une région à l’autre puisque ce sont les commissions scolaires qui les organisent ! Quel non sens, quand on sait que le ministère privilégie explicitement certaines voies d’action soutenues par la recherche en éducation, mais rapidement bousillées par la bureaucratie des commissions scolaires.
Mes études m’ont permis de voir que les meilleures écoles sont celles qui se prennent en charge et qui ont un projet. Ce sont celles qui ne sont pas dépendantes de structures désuètes et peu flexibles. Les commissaires scolaires doivent représenter l’avis de la population (et des parents)? Selon moi il y a trop de populisme en éducation et pas assez d’expertise. Il y a également trop de structures et pas de leader, ce qui mène à une dérive que les politiciens tentent en vain de contenir…
Dans une telle atmosphère, pas étonnant que les gens ne s’attardent pas à ces fameuses élections fantômes… J’ai moi-même des choses plus importantes à faire.
Je suis tout à fait d’accord avec vous lorsque vous écrivez: « Mes études m’ont permis de voir que les meilleures écoles sont celles qui se prennent en charge et qui ont un projet. Ce sont celles qui ne sont pas dépendantes de structures désuètes et peu flexibles. »
Peut-être êtes vous de ceux et de celles que j’appelle à donner une nouvelle vie au lvre blanc sur l’éducation de 1982. Un écrit, tant qu’à moi, majeur, qui a été laissé sur les tablettes, mais qui a tout de même eu des impacts majeurs plusieurrs années plus tard.
Au chapitre trois de ce livre blanc, Camille laurin présentait l’objectif majeur de son projet d’école communautaire et responsable: « revaloriser l’école, la rendre responsable de son projet éducatif, en faire le pivot de notre système scolaire, la redonner à ses usagers et à ses agents »
L’objectif s’inspire d’une philosophie humaniste de l’éducation dont les tenants sont exposés en détail. En voici un extrait:
« Éduquer, c’est toujours accompagner le sujet qui est son propre agent de développement et qui est finalement responsable de sa propre croissance. Éduquer, c’est toujours aider quelqu’un à croître… en créant les conditions et l’environnement favorables à un cheminement de qualité… [Cette] conception de l’éducation table sur la capacité des communautés d’appartenance d’assumer… la responsabilité immédiate de cet environnement éducatif »
J’ai moi-même écrit sur le sujet aujourd’hui. Je serai l’une de ces personnes qui auront la chance d’exercer leur droit de vote et j’ai l’intention de me servir du mien à bon escient.