«Le terme de web 2.0 est au départ une stratégie marketing et il me paraît important que l’éducation s’en distingue philosophiquement. (…) En clair, l’éducation doit demeurer, mais ce sont les profs et les méthodes ainsi que les systèmes éducatifs qui doivent changer et évoluer. Et parler d’éducation 2.0 n’a rien d’exceptionnel, ce n’est qu’une réaction à l’évolution du web 2.0, il n’y a donc rien d’innovant, c’est simplement une stratégie réactive d’adaptation : c’est insuffisant.»
Cette citation vient d’Olivier Le Deuff, un de mes nouveaux «amis» qui vient ce matin de m’inviter à le joindre sur Facebook. Ce passage fait partie d’une discussion sur le forum Ning «d’apprendre 2.0» qui porte sur l’à propos de parler «d’éducation 2.0». C’est la deuxième fois que je lis un article mettant en doute la pertinence du vocable «2.0» accolé au mot éducation; la première fois, Éric Delcroix chez les z’ed posait la question «L’éducation 2.0 existe-t-elle ?»
À la suite de la lecture d’un excellent article d’Olivier Le Deuff qui porte sur l’histoire, les techniques et la controverse du succès du web 2.0, j’ai pensé regrouper quelques limites qui me viennent quand je pense à l’éducation deux point zéro puisque j’aurai souvent l’occasion en 2008 d’utiliser cette expression pour qualifier l’évolution que doit prendre le système d’éducation au Québec (et ailleurs).
Néguentropie vs entropie
Quand j’ai croisé ce mot (Néguentropie) dans la discussion chez «Apprendre 2.0», j’ai été fasciné par l’image de l’organisation et de la désorganisation en rapport avec les finalités de l’éducation. Ce billet d’Olivier Le Deuff nous en dit davantage sur ce que je veux exprimer… «L’éducation 2.0», s’il est un «buzzword», ne vise qu’à accroître la popularité et l’influence des outils du Web 2.0 nous exposant davantage à l’utilisation «forcée» des technologies dans un contexte «technocentriste» qui ne pourra que créer plus de collisions et d’égarements. À l’inverse, si nos préoccupations demeurent de favoriser des apprentissages et que les outils du Web 2.0 se présentent comme des alternatives facilitant la réussite scolaire, ils seront utilisés non pas parce qu’ils font partie d’une mode, mais parce qu’on aura saisi leur force pour créer des communautés d’apprentissages riches et nourricière. Ces phrases de mon «nouvel ami» doivent rester au coeur de mes préoccupations: «Car faire du buzz au final, c’est bien la négation de la communication, l’entropie que cherchait à éviter les premières recherches en transmission du message. Une entropie qui génère de l’infopollution en opposition à la néguentropie qui est espace de savoirs.»
Désirs vs besoins
Cette phrase du livre de Daniel Pennac (Chagrin d’école) m’est restée en tête: «Ici, on est à l’école, au collège, au lycée, pas en famille, pas dans une galerie marchande: on n’exauce pas des désirs superficiels par des cadeaux, on satisfait des besoins fondamentaux par des obligations. Besoins de s’instruire d’autant plus difficiles à combler qu’il faut d’abord les éveiller! Rude tâche pour le professeur, ce conflit entre les désirs et les besoins! (p.291)». Les aspects marketing inhérents au concept d’éducation 2.0 peuvent contribuer à la confusion des genres. Rapidement, la motivation des jeunes qui devient évidente quand on utilise les outils du Web 2.0 peut nous faire croire que le «désir» d’apprendre au contact des moyens utilisés par les jeunes en dehors du scolaire répond aux «besoins» de ces mêmes jeunes quand il est question de réagir aux exigences des programmes scolaires. Dans le rapport de Martin Bélanger que je citais dans un billet précédent, la phrase suivante est très évocatrice de ce dilemme : «Les méthodes d’apprentissage doivent se transformer pour tenir compte de la dynamique d’apprentissage des jeunes d’aujourd’hui. Les wikis, les blogues et les sites de réseautage (Facebook, Myspace) et de partage (Flickr, Youtube) ont, intrinsèquement, un formidable potentiel de coconstruction de connaissances.» En dehors d’une dynamique constructiviste, «le fameux potentiel» dont on parle n’est pas évident à concevoir; la grande majorité des enseignants me semble encore considérer ces discussions sur la valeur du constructivisme comme étant bien théorique, dans cette période où la réforme scolaire présentement en vigueur a «brulé» quelques termes, dont celui du «socioconstructivisme». Tout ça pour dire que ce centrer sur les besoins des élèves, c’est voir comment les outils du Web 2.0 peuvent contribuer à instruire, socialiser et qualifier, bref, mieux correspondre à la logique du programme de formation (en supposant qu’on y adhère) tout en admettant que chaque enseignant n’a pas vraiment vu pour lui-même les «bénéfices» d’apprendre au contact de ces outils, ne les ayant pas utilisés nécessairement pour ses propres apprentissages. Le «désir» des enseignants d’utiliser les outils n’est pas porteur de succès. Le recours à ceux-ci doit être en lien avec les besoins perçus par les enseignants des élèves en apprentissage. «Rude tâche pour le professeur, ce conflit entre les désirs et les besoins»… Quand les enseignants entrent dans le monde du Web 2.0 par le biais du marketing viral qui parvient trop souvent à constituer de la publicité sans qu’elle soit pour autant perçue comme telle, on est presque sûr d’avoir une marge de manoeuvre bien mince pour illustrer que «l’éducation 2.0» est bien une évolution qui en vaut la peine!
Apprendre en produisant vs capacité de gérer cette production
J’ai toujours été préoccupé dans mes contacts avec les enseignants par le paradoxe entourant la nécessité de faire travailler les élèves. Les enseignants conçoivent assez bien que les élèves d’aujourd’hui ont besoin davantage qu’hier de «faire» pour comprendre. Ils ont expérimenté combien leur charge de travail augmente quand ils «font faire». Plusieurs se sont fait reprocher le trop petit nombre de feed-back en lien avec cette production ou le regard critique porté sur les erreurs qui sont comprises dans le travail (en construction) des jeunes en apprentissage. Les enseignants décodent assez rapidement qu’en utilisant des outils «générateurs de contenus», ils seront encore davantage exposés aux gens extérieurs à la classe. Pourquoi adhérer à la culture de «l’éducation 2.0» si elle est porteuse de stress et isole davantage l’enseignant pris entre le peu de temps à consacrer à la correction et la nécessité de revenir sur la production des élèves sous sa gouverne? L’équation s’équilibre dans le lien de confiance établi avec la communauté et les réseaux construits par l’utilisation des outils du Web 2.0. Sans cette confiance, l’enseignant ne voit pas comment la contribution des acteurs de La Toile peut faire partie des solutions. S’il ne partage pas la conviction qu’il n’a plus à être le seul pourvoyeur de connaissances, il voit l’ouverture de sa classe comment faisant partie des problèmes et rare seront ceux qui voudront s’exposer. Une utilisation très directive des outils du Web 2.0 aura tôt fait d’enrayer la motivation des élèves ce qui contribuera à effacer la valeur ajoutée pressentie par l’utilisation de stratégies d’apprentissage plus ouvertes. L’idée n’est donc pas tant de convaincre des vertus de «l’éducation 2.0» autant que de constater le niveau d’ouverture de l’enseignant à une nouvelle «position» où il fait moins face à ses élèves et fait davantage avec eux et la communauté. Comment considérer la façon «naturelle» dont les jeunes se sont approprié les outils du Web 2.0 et provoquer avec ces mêmes outils, en classe, les apprentissages que recherchent les enseignants à l’école pour leurs élèves? En ce sens, je serais enclin à dire (tout comme Olivier Le Deuff) «qu’il peut y avoir des méthodes d’apprentissage voire des profs 2.0», mais qu’il est peut-être prématuré de parler «d’éducation 2.0»!
Bonjour Mario
Merci de t’appuyer sur une des nombreuses discussions du forum Apprendre 2.0 : elles y sont effectivement variées et pertinentes par rapport aux problématiques qui nous préoccupent !
En ce qui me concerne, l’éducation 2.0 n’est pas un buzzword mais le symbole d’un changement de culture d’un niveau meta (niveau 2 selon la classification établie par Watzlawick et reprise par d’autres auteurs et notamment Peter Senge au niveau des organisations ) dans le monde de l’éducation !
C’est ce qui a été évoqué à plusieurs reprises dans le forum du réseau Apprendre 2.0 et c’est une dimension fondamentale dans nos échanges…et les technologies viennent naturellement s’inscrire dans ce tissus de changement global !
Je me souviens d’ailleurs avoir beaucoup insisté sur ce point dans ma critique positive liée à la non-conférence « vers l’éducation 2.0 »
http://florencemeichel.blogspot.com/2007/09/vers-leducation-20-je-suis-due.html
Comme le souligne Michel Serres dans sa récente conférence :
http://florencemeichel.blogspot.com/2007/12/michel-serres-si-lordinateur-est-notre.html#links
les modifications du « couplage message-support » modifient radicalement et globalement notre rapport au monde…il y a eu l’étape de l’oralité, celle de l’écriture puis celle de l’imprimerie… aujourd’hui le bouleversement qu’introduisent le développement des TIC nous projette dans une nouvelle perturbation de nature entropique !
http://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9guentropie
Les changements qui en découlent sur le plan politique, économique, culturel…etc… et bien entendu éducatif réclament de la part des systèmes concernés des capacités d’adaptation…c’est à dire la mise en œuvre de processus neguentropiques dits processus d’auto-régulation : en cela, ils sollicitent de nouvelles dimensions qui configurent un changement de paradigme éducatif :
– meta-élève qui doit être capable d’agir sa vie de façon pertinente dans un monde qui change en permanence et très vite (élève 2.0)
– meta-apprentissages qui doivent permettre à l’élève d’apprendre à apprendre de façon continue et pertinente dans différents contextes (éducation 2.0)
– meta-projets qui doivent permettre à l’élève d’apprendre à agir de façon pertinente dans son environnement (projets 2.0)
– meta-outils qui placent les apprenants en situation d’autonomie (web 2.0)
– meta-profs qui doivent évoluer vers des missions d’accompagnement pour faciliter le meta-apprentissage (enseignant 2.0)
C’est de ces couplages permanents au monde qu’émergent la cohérence et la pertinence du système dans son contexte et lui assurent d’une certaine manière une forme de stabilité !
J’avais développé ce point de vue dans le cadre du blog consacré aux réseaux apprenants
http://flmeichel.podemus.com/
Et le commentaire de Christion Jacomino ce matin en réponse à Olivier le Deuff me conforte dans cette vision :
« Le concept d’éducation Web 2.0 me semble porteur d’un besoin et d’un espoir. Si les systèmes d’éducation traditionnels, centralisés et hiérarchisés que nous connaissons fonctionnaient bien, cela se saurait, mais ce n’est pas le cas. Ce qui me frappe c’est bien que, sur le fond, le système éducatif, en France en particulier, soit si parfaitement incapable d’évoluer. Sans doute, Olivier, parle-t-on beaucoup de ‘révolutions’ et de ‘réformes’… au point même, je suis d’accord avec toi, que cela puisse nous déstabiliser… Mais dans la réalité, quelle évolution voyons-nous depuis le grand élan de 68 et depuis même Célestin Freinet… Et c’est à partir de cela que je comprends (aussi) le concept d’éducation Web 2.0… On attend, on espère qu’un apport technologique imposera une évolution des pratiques et des formes institutionnelles que les hommes n’ont pas été capables de faire advenir… En 2007, il existe toujours un examen qui s’appelle le baccalauréat, il existe toujours un concours qui s’appelle l’agrégation, les cartables de nos collégiens sont toujours aussi lourds, le découpage disciplinaire n’a aucun sens, les cours dans les collèges commencent à 8 heures… Sans doute est-il naïf de croire que la technologie va bousculer tout cela, et sans doute n’est-ce pas le fond du problème… Mais qui osera dire que le fond du problème réside dans le fait que la profession résiste au changement, à l’évolution, à la réforme, aux exigences de démocratie (où en sont les conseils d’établissements et leur pouvoir voulus par Jospin dans les années 80?) et de modernité…? »
J’ai pris le temps de répondre longuement et je m’excuse par avance si la longueur du propos en dérange certains.. mais c’était important pour moi d’aller au fond des choses ! 🙂
Bonjour,
Je vous signale seulement que je poursuis un questionnement semblable sur les méfaits de l’informatique en éducation sur mon blogue. Je ne doute pas des avantages et des transformations de fond en comble qu’entraîneront les TICS en éducation, mais je souligne au passage quelques petites lacunes pratiques que vivent les professeurs au quotidien.
A plotin
Si le web décourage de la lecture, c’est à mon avis plus parce que les outils sont encore assez rudimentaires…ça devrait fortement évoluer avec des outils comme le kindle !
Il y a aussi ce projet de liseuse développé aux pays-bas en milieu scolaire :
http://www.youtube.com/watch?v=iiQMhvF6d-Q
En tant que responsable technique des TICE pour l’université Lyon1 depuis 1996, donc un peu sur le terrain, j’ai pu observer les mutations engendrées auprès des 4000 enseignants de notre université. En voici une petite vue synthétique et un peu réductrice autour de cette thématique 2.0.
Pour moi l’enseignant 1.0 (He) est au centre du dispositif et il diffuse son cours sous forme de powerpoint, pdf ou fichier word. Le contenu créé par l’enseignant est le contenu principal. Mais il rajoute éventuellement un forum pour que les étudiants lui posent des questions. Et un Quizz pour s’entrainer au QCM en mode autoformation. Les interactions sont dans ce cas souvent limitées à de la communication essentiellement organisationnelle: Horaire des cours, changement de salle…. Le modèle pédagogique est donc majoritairement transmissif, l’enseignant est auteur et les étudiants ont une posture de spectateurs.
dans l’enseignement 2.0 (We), je pense que l’enseignant utilise aussi ces outils mais en plus des outils plus liées aux technologies du web2.0. Il va impliquer et faire participer les étudiants à la création de contenu pédagogique sous forme de cours.., de vidéo … Ces enseignants utilisent des blogs pour guider les étudiants dans leur progression et certains commencent à utiliser des wikis pour que les étudiants rédigent ensembles le contenu du cours fait par exemple à partir des notes prises en amphi par une partie des étudiants …
Avec le groupe étudiants plus enseignants tous ensemble, nous (We) sommes tous acteurs de la formation. L’enseignant gère les activités qu’il propose aux étudiants et valide les contenus produits par les étudiants.
dans le cas de l’enseignement 3.0 que l’on commence à se voir dessiner, le dispositif est cette fois-ci centré sur moi (Me) étudiant.
Je suis au cœur d’un réseau social qui me remonte des informations personnalisée en fonction de mon niveau d’étude, de ma motivation, de mon implication, de mon identité numérique… Je peux consulter les cours participer aux activités via des interfaces immersives m’approprier des objets 3D via mon avatar participer aux «serious games» scénarisés par mes enseignants.
Je peux utiliser mes propres notes rajoutées directement sur les podcast que j’ai joint à ma chaîne. Et je gère mon avatar dans les différents «serious games» proposés…