Je plains cet enseignant en littérature du Cégep de Saint-Hyacinthe depuis 23 ans qui ne dispose d’aucune autre alternative pour obtenir l’attention de ses étudiants que de se fier à son tableau vert et à sa craie.
« Je me vois enseigner en ayant à l’occasion la désagréable impression qu’il ne se fait pas d’enseignement. Je les vois devant moi, absents, facilement déconcentrés, ennuyés par le bruit de fond que représente ma voix, incapables de s’aventurer sur ce grand rectangle vert de l’éducation, de l’apprentissage, de l’écoute. »
Comparant ses étudiants à « ces mimiques figées des poissons congelés », il semble déclarer forfait.
Dans un court échange avec un prof d’université que j’aime bien, j’ai qualifié ce texte d’opinion publié dans La Presse+ de « frime ».
«Le fléau» tel que vécu par les profs, il existe bel et bien, je n’en doute pas. Le texte demeure tout de même une frime, je persiste et signe.
— Mario Asselin (@MarioAsselin) 3 janvier 2018
Le raisonnement exprimé par cette lettre ouverte est trompeur parce que le professeur – ou l’enseignant – dispose de plusieurs alternatives au tableau et à la craie pour enseigner – ou faire apprendre, même en mode frontal (un prof fait face aux étudiants) qui, de toutes façons, n’a pas à constituer le monopole des stratégies en classe.
Je lisais ce matin le compte-rendu d’une rencontre du Magazine Sciences Humaines avec Jean-Michel Blanquer et Edgar Morin qui tournait autour des changements à envisager à l’école. L’une des urgences consisterait à « redonner aux enseignants la confiance en eux-mêmes, en leur pouvoir, en leur rôle ».
Je suis déçu quand je constate que des profs tombent dans le piège de la compétition pour l’attention entre des écrans et eux-mêmes.
Je ne peux pas croire que l’éducation d’aujourd’hui se résumerait au pouvoir d’interdire les écrans pour rétablir nos capacités d’enseignants.
Dans un autre ordre d’idée – pas tant, finalement – mon copain Clément réagissait sur son blogue à un excellent texte publié au Devoir d’un autre professeur d’université, « En finir avec la «taxe» Netflix ». La conclusion du professeur Trudel et aussi celle de Clément s’applique à plusieurs domaines d’activités, il me semble…
« Que 2018 voie l’amorce d’une réelle re-conception des règles qui régissent les activités transformées par le numérique. »
Évidemment, il faut adhérer au principe que l’activité d’apprendre est en quelque sorte « transformée par le numérique » pour souscrire à ce raisonnement.
Clément rapporte avoir lu Michel Serres et Petite Poucette, hier. Normal qu’on soit en communion de pensée sur ce point.
Il vient souper à la maison ce soir avec sa douce. Possible qu’on discute un brin de « poissons congelés ».
N.B. En tout respect pour le professeur Bissonnette, je reproduis ici son plus récent gazouillis sur le sujet:
voici ce qui importe bien avant la techno! https://t.co/o94M63Lowj
— Steve Bissonnette (@stevebissonnett) 3 janvier 2018
Tags: "Administration scolaire" "La vie la vie en société" "Pédagogie et nouvelles technologies"
En attendant le vin et le fromage, je te dirai que ton texte me rappelle celui de mon intervention devant le Conseil supérieur de l’éducation en 2004 — dont tu m’avais aidé à retrouver une copie l’an dernier:
https://remolino.qc.ca/2017/01/08/si-jetais-ministre-de-leducation/
En particulier ces passages:
«Et ce qui m’inquiète c’est de voir que plusieurs de ces personnes sont fatiguées ou démotivées. Si c’est parfois la lourdeur et la rigidité du système scolaire qui les accablent, je pense que ce qui a l’effet le plus néfaste sur leur « goût de l’école » c’est la perte de sens. Ils ne savent plus toujours pourquoi ils font ce qu’ils font. Les attentes de la société à leur endroit ne sont plus très claires, l’importance qu’on accorde à leur rôle non plus. (…)
…c’est d’abord et avant tout sur la motivation des gens qu’il faut miser pour aider les principaux acteurs de l’école à développer ou à retrouver le goût de s’engager, le goût du changement et un intérêt pour l’innovation.»
À tantôt.