Alain Joannès est journaliste. Il a écrit Le journalisme à l’ère électronique, un livre qui «propose un diagnostic précis de la crise journalistique et des méthodes pragmatiques pour adapter les technologies de l’information aux exigences les plus urgentes de ce métier: reconstruire la fiabilité du journalisme, capter et fidéliser les audiences par l’interactivité.» Sur son blogue, il vient d’écrire que La crise des quotidiens est parfaitement logique, entre autres parce que «la presse écrite persiste à vouloir vendre des contenus qui ne contiennent plus de véritable valeur ajoutée». C’est un point…
Le citant, le collègue des explorateurs du Web Jean-Marie Le Ray, s’en donne à coeur joie dans un billet (Les dinosaures, les autruches et les lézards) qui ne fait pas dans la dentelle. Un extrait:
«Les dinosaures, ce sont les journaux et les organes de presse qui croient peut-être que leurs dimensions et leurs appuis vont les protéger encore longtemps de l’extinction s’ils n’évoluent pas. Les autruches, ce sont les journalistes qui préfèrent mettre la tête dans le sable pour nier ce qui se passe autour d’elles et d’eux en faisant semblant de ne pas le voir.»
Pour ce qui est des lézards… j’y reviendrai.
Ce qui m’intéresse davantage dans le billet de Jean-Marie réside dans une série de constats faits sur le comportement des journaux américains par «The Bivings Report» (le blogue) (traduction libre de Jean-Marie; cité via Techcrunch):
- «De plus en plus de journaux expérimentent le contenu généré par l’utilisateur: 58% autorisent les utilisateurs à publier des photos, 18% des vidéos et 15% des articles.
- En 2008, 75% des sites de presse ont permis aux utilisateurs de commenter les articles, soit plus du double par rapport à l’année précédente.
- 10% des sites de presse ont des fonctionnalités de réseaux sociaux: profils d’utilisateurs, possibilité de lier ses « amis », etc. Il est d’ailleurs surprenant que ce taux ne soit pas plus élevé.
- 76% des journaux en ligne mettent en avant les contenus plus populaires sous une forme ou une autre (articles plus partagés par courriel, plus blogués, plus commentés, etc.). Contre 51% en 2007 et 33% en 2006.
- Sans surprise, tous les journaux en ligne affichent des pubs: 100% ont des publicités contextuelles et 43% des annonces interstitielles.
- Depuis deux ans, presque tous les sites de presse ont des liens d’intégration avec les sites de social bookmarking tels que Digg ou Delicious: 92% des journaux en ligne vs 7% en 2006!
- Parmi les nouvelles fonctionnalités examinées cette année, l’étude constate que 57% des journaux en ligne ont une édition PDF, 20% des options de chat, 96% fournissent des infos sur la météo locale, 40% utilisent les alertes par SMS et 70% les calendriers événementiels communautaires.
- Le nombre de sites qui exigent une inscription pour voir davantage de contenus (gratuits ou payants) a diminué depuis 2007.
- Sur 100 journaux, tous ont une forme ou une autre de flux RSS. Ils étaient trois en 2007!»
Preuves qu’il y a un certain «progrès»…
Pour ce qui est des lézards, il vous faudra aller lire chez Jean-Marie. En gros, si j’ai bien compris, il craint beaucoup que «tout le monde soit perdant» si les dinosaures et les autruches ne tendent pas à devenir Lézards!
N.B. Si le débat entre journalistes et blogueurs intéresse encore le lecteur passant par ici, j’aime mieux prévenir qu’il en est question dans le billet de Jean-Marie. Aussi, sur ce billet au Journal Mitoyen il est question de ce même sujet avec la différence qu’on postule que les journalistes et les artistes ont le même problème. Enfin, sur le blogue tenu par Florian Sauvageau, un texte de Benoît Michaud rapporte les résultats d’une petite enquête «auprès de journalistes du web et des « vieux » médias» à partir des différences de perception «dans le travail des uns et des autres».
Tous les manuels d’introduction au journalisme le disent: pas besoin de formation spécifique. Le journalisme s’acquiert par l’expérience
Je ne peux faire autrement qu’être en accord avec cette affirmation compte-tenu de ce que j’ai déjà écrit à cet égard. J’ajouterais toutefois qu’une formation spécifique (comme dans de nombreux autres domaines d’ailleurs) ne peut certes pas nuire…bien au contraire.
Bonjour Mario,
Oui, tu as parfaitement compris, je crains que tout le monde soit perdant si le journalisme et les journalistes ne s’adaptent pas, de gré ou de force, aux nouveaux usages induits par le Web.
Dans l’un des premiers billets que j’ai écrit sur le faux débat « journalistes-blogueurs », je souhaitais insister davantage sur les complémentarités qui les unissaient plutôt que sur les distinctions qui les séparaient. Lorsque les gens lisent un article ou un billet sur Internet, ils se foutent de savoir si celui ou celle qui l’a écrit est journaliste ou blogueur.
Ce qu’ils veulent c’est de l’information de qualité, avec une valeur ajoutée, ouverte (cet égocentrisme des journaux qui ne font pratiquement jamais de liens vers des sources « extérieures » est insupportable), etc.
Ce qui change aussi du tout au tout pour les journalistes, c’est qu’avant il n’y avait aucune interactivité (sauf le courrier des lecteurs via snail mail, mais bon…), donc ils pouvaient dire n’importe quoi, ça passait comme une lettre à la poste.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et si les journaux n’autorisent pas les commentaires de façon facile et intuitive sur leurs sites, qu’ils ne s’étonnent pas si les gens s’en vont commenter chez eux ensuite, c’est-à-dire essentiellement sur leurs blogs.
Donc lorsqu’on est sous le regard des internautes, il faut aussi accepter la critique et y répondre par des arguments étayés, plutôt que par des « oh que vous êtes méchants avec nous »…
Ça ce sont des réactions de cours d’école, on serait en droit d’en attendre plus de celles et ceux qui sont censés personnaliser la « déontologie de la profession »!
Jean-Marie
http://adscriptum.blogspot.com/2007/05/journalistes-vs-blogueurs-quelles.html
Oui, une partie de la profession journalistique est conservatrice et réactionnaire. Oui, la résolution de la FPJQ était un signe de mésadaptation à la réalité historique et sociale.
Mais il y a une dimension qui est complètement oubliée dans tout ça, autant par les journalistes réactionnaires que par les blogueurs qui défendent leur place. C’est que le journalisme vit aussi des gros problèmes, qui nous concernent tous, comme citoyens. Depuis 30 ans, donc bien avant Internet, les conditions de travail se dégradent sur trois fronts. 1) Les journaux coupent dans leur personnel régulier 2) l’information télé est de plus en plus faite en sous-traitance, donc par des journalistes-recherchistes sur des contrats à durée limitée et 3) les pigistes de la presse écrite sont payés à peu près au même tarif au feuillet qu’il y a 30 ans.
Or, qui dit dégradation des conditions de travail dit dégradation de la qualité de l’information, parce que ça fait moins de gens qui ont du temps pour fouiller. Les blogueurs constituent des voix nouvelles, mais à long terme, peu de blogueurs de 2008 seront encore là en 2010 si les revenus restent inexistants.
On devrait aller au-delà du soi-disant affrontement journalistes-blogueurs, et s’inquiéter de cette réalité.