Je suis loin d’être un expert pour juger du contenu de l’étude de Joëlle Quérin dont tout le monde parle aujourd’hui. Même si j’ai blogué hier sur ce sujet du cours ÉCR, je ne peux m’empêcher d’y revenir ce soir:
«Ce n’est pas un cours de culture religieuse. C’est un cours de multiculturalisme », affirme Joëlle Quérin, sociologue et chercheure associée à l’Institut de recherche sur le Québec. Dans son étude, intitulée « Le cours Éthique et culture religieuse : transmission des connaissances ou endoctrinement ? », l’auteure analyse la structure conceptuelle et les finalités politiques déclarées du cours Éthique et culture religieuse. Elle fait aussi le portrait des différentes objections qui ont été formulées à l’endroit de ce cours, notamment celle provenant de la Coalition pour la liberté en éducation qui lui reproche son relativisme moral, celle provenant des milieux laïques qui s’opposent à la présence d’un enseignement religieux à l’école et celle des groupes critiquant justement les aspects dénationalisants du cours ÉCR sur le plan identitaire.»
J’attendrai plutôt le point de vue de Jean-Pierre Proulx qui me paraît avoir sur ces questions un regard plus avisé que le mien. Je suis néanmoins sensible aux arguments contre cette tendance au multiculturalisme aux teintes de nihilisme.
Ce qui me surprend davantage aujourd’hui réside dans le fait que personne n’ait mentionné que la doctorante en sociologie de l’UQAM Joëlle Quérin est la même personne qui signe depuis 2008 des chroniques à L’Action nationale, une revue s’étant donné comme priorité la «promotion de l’indépendance politique du Québec». C’est aussi la même personne qui s’est portée candidate aux élections générales de mars 2007 dans la circonscription électorale de Chomedey sous la bannière du P.Q. Ajout du lendemain…: Une militante, donc…
Ça n’invalide en rien les théories de Mme Quérin, mais ça explique peut-être [un peu] pourquoi «alarmée par les résultats d’une étude, l’opposition péquiste plaide pour l’abolition pure et simple du programme d’étude controversé d’éthique et de culture religieuse». Il me semble que «ce détail» n’est pas banal… au moment où elle claironne partout qu’il s’agirait d’un cours «Accommodements 101». Je me trompe?
Mise à jour du lendemain P.M.: Il faut lire le billet de Laurent qui a eu le même réflexe que moi sur «le biais» non affiché de Mme Quérin. J’étais en train de lire la réflexion d’une «montréalaise trentenaire ben ordinaire» au moment d’entendre Antoine Robitaille «chroniquer» à la radio de Radio-Canada sur le sujet. À mon avis, c’est le premier journaliste qui rapporte «officiellement» le biais de Mme Joëlle Quérin. Chapeau. Si M. Curzi a demandé hier «l’abolition pure et simple» du cours, je viens d’entendre Pauline Marois dire à la radio qu’elle exige plutôt aujourd’hui que le programme soit étudié en commission parlementaire. Mouvement de recul, donc…
Mise à jour du 16 décembre: Jean-Marc Larouche, Georges Leroux, Jean-Pierre Proulx, Louis Rousseau – Professeurs à l’UQAM et à l’Université de Montréal répondent à Mme Quérin, Luc Bégin – prof à l’Université Laval dénonce «une confusion remarquable entre pluralisme et culturalisme» chez Mme Quérin, Radio-Canada explique pourquoi plusieurs prétendent que l’étude de Joëlle Quérin [se trouve à être] discréditée et Mme Marois retire à M. Curzi le dossier Éthique et culture religieuse.
Mise à jour du 17 décembre: Mme Quérin revient à la charge au Devoir ce matin, «dans une réplique aux défenseurs du cours Éthique et culture religieuse. En éditorial, Marie-Andrée Chouinard, qualifie la démonstration de «plus engagée que scientifique»!
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C’est amusant, le même article m’a fait tiquer aussi
http://embruns.net/logbook/2009/12/11.html#identite-nationale-version-qc
[Je m’excuse à l’avance pour la longueur du commentaire, Mario : mes nouvelles fonctions m’intimant le devoir de réserve, comme je ne blogue plus depuis une couple de mois… et que tes deux derniers billets sont inspirants, je me laisse un peu aller.]
Je vois que ni les diplômes de Mme. Quérin ni ses amis (Facal, Bock-Côté, Bédard) ne t’impressionnent, Mario. Moi aussi j’ai hâte d’entendre Jean-Pierre sur le contenu et sur l’angle politique.
Sur la forme, ton billet m’inspire un lien avec l’état de crise qui caractérise la science économique chez nos voisins du sud. Je ne sais pas si tu as feuilleté des revues de science économique dernièrement. À moins d’une maîtrise en mathématiques, elles sont incompréhensibles. Ce que je veux illustrer par là, c’est ceci : sur le totem des sciences humaines, si science po et socio sont à la hauteur d’un blogueur instruit/vif/renseigné, les sciences économiques sont tout là-haut. Elles sont à peu près inaccessibles depuis une bonne génération ou deux.
C’est pourquoi les superstars dont s’est entouré Obama, ce sont des géants de l’économie (Summers, Geithner et al.), pas des sociologues ou des politilogues (qui s’en montrent verts de jalousie d’ailleurs). C’est aussi pourquoi ces géants, écorchés par d’autres géants comme le prix Nobel Paul Krugman, sont tombés de si haut : comment se fait-il, se demande-t-on en se grattant la tête, que du haut de leur science si mathématisée, du haut de leurs « études » prestigieuses et de leurs diplômes, comment se fait-il qu’ils n’aient pas vu venir la pire crise économique depuis le Krach de 1929?
Le début de réponse qui commence à poindre est pertinent au problème que tu soulèves :
1) si homo economicus est moins rationnel que ne l’a jusqu’ici supposé la théorie économique classique (voir la percée de l’alternative du nom de « finance comportementale»),
2) les économistes aussi ne sont pas des modèles de froide rationalité.
La différence fondamentale, je crois, c’est que chez nos voisins du Sud, il n’y a pas de débat identitaire/nationaliste pour dissoudre la sensibilité gauche/droite.
Pour camper ce clivage, Robert E. Hall proposait en 1976 une image saisissante : les économistes d’eau salée (oeuvrant sur les campus côtiers comme Stanford près de San Francisco et Harvard près de Boston) sont de sensibilité Keynesienne, donc plutôt de gauche versus les économistes d’eau douce (surtout autour de Chicago et des Grands Lacs), le bastion de la théorie néo-libérale classique.
Pour revenir à ton propos, Mario :
1) un « scientifique » en haut du totem des sciences sociales, chez nos voisins du sud, appartient d’abord et avant tout à une sensibilité (de droite, de gauche, d’extrême-centre) avant d’étaler ses diplomes
2) pour les scientifiques au bas du totem, comme les sociologues, c’est encore plus vrai
3) chez nous, comme le clivage qui domine tout le reste demeure la question nationaliste, nous en sommes encore au stade des arguments d’autorité (elle a tel diplôme, elle appartient à tel institut donc tendons l’oreille).
Autrement dit, vivement la résolution de la question nationale pour que nous perdions un peu de notre naïveté épistémologique.
Très intéressant ce débat à venir quant à la place du nouveau cours ÉCR dans notre système d’éducation!
Mon intérêt à lire à ce niveau tient au fait que je prépare un Mémoire dans le cadre de ma Maîtrise en «Étude du Religieux Contemporain» suite à mon retour sur les bancs de l’Université; or je suis à réfléchir justement sur le malaise interculturalisme/multiculturalisme (Québec/Canada) sous l’angle égalité femme-homme tout en respectant la liberté de religion garantie par la Loi fédérale depuis les années Trudeau au début des années ’70 sans toutefois passer à côté d’une valeur consensuelle au Québec depuis une quarantaine d’années: laïcité & égalité f-h!
J’ai également une collègue qui prépare sa thèse de doctorat sur ce nouveau cours ÉCR! De belles heures de réflexion à venir.
Comme tu vois, cher Mario, je trouve encore le temps de visiter ton excellent blogue.
Entendre Jean-Pierre Proulx un des pères du cours pour avoir un avis objectif ou même bien avisé ?
Je pense plutôt que la paternité l’empêcherait d’admettre les défauts du cours.
Et sans étude, on ne parlerait pas de ce sujet ainsi aujourd’hui. Les médias fonctionnent comme cela.
@Diberville
Le point de vue de Jean-Pierre Proulx n’est pas objectif, bien entendu. D’ailleurs, c’est en découvrant que celui de Mme Quérin ne l’était pas non plus que je me suis dit que son apport devenait intéressant.
@Guy Vézina
Tes visites sont toujours appréciées et il me tarde de réentendre parler de tes recherches…
@Amine Tehami
«Laisse-toi aller» de cette façon quand tu veux 😉
@Laurent
«Amusant», tu dis. Les grandes âmes se rencontrent souvent sans le savoir, du moins consciemment 😉
Il faudrait préciser que l’Institut de recherche sur le Québec est une think tank de droite. C’est important de le préciser: il n’y a pas de point de vue neutre quand on enrobe une thèse d’un drap scientifique 😉
Pour ce qui est de la science économique (deuxièmer commentaire), au moins un économiste avait vu venir le désastre: Mandelbrot http://opportunisme-cognitif.blogspot.com/2009/10/benoit-mandelbrot-il-etait-inevitable.html
Je précise: une thèse politique (ce qui fait plus de sens 😉 Tant qu’à y être, Think tank est masculin, il aurait donc fallu que j’écrive « un Think tank ».
Salut Mario,
Tu as tout à fait raison, le militantisme de cette dame ne pose, a priori, aucun discrédit sur ces capacités d’analyse… cela dit, à la lecture de son «étude» on comprend relativement aisément que son esprit scientifique est bien loin d’être la principale force qui guide ses analyses. Quelle farce!
@MiMonete : Tout à fait juste. Je m’étonne justement que RadCan n’ait pas souligné cette découverte qu’ils avaient faite lors de la parution de l’étude de Courtois et Bock-Côté au sujet du cours d’histoire. J’ai bien hâte que l’on me dise d’où viennent les subventions de recherche de tous ces «chercheurs»
« À Rome, on fait comme les Romains ! Sinon, on sera plus chez nous à Rome ! ». Récemment, un rapport de recherche portant sur le cours d’Ethique et culture religieuse, écrit par la sociologue Joëlle Querin, a ranimé la peur d’être envahi par la diversité culturelle et religieuse. En effet, cette « étude » vient appuyer les craintes habituelles que l’identité québécoise pourrait bientôt disparaître au sein du Canada, ou que le Québec a une attitude bien trop tolérante face au pluralisme. Cette étude n’a selon moi rien de scientifique, à part les termes qui y sont rattachés. Des erreurs qu’un sociologue ne peut faire, s’il ou elle connaît le sujet, existent dans ce « rapport ». Personnellement, en tant que sociologue et enseignant d’éthique et culture religieuse, je suis consterné.
La critique principale du cours est qu’il impose subtilement la philosophie du multiculturalisme. Or, dans le programme, il est écrit que « l’importance historique et culturelle du catholicisme et du protestantisme au Québec y est particulièrement soulignée, mais on s’intéresse aussi au judaïsme et aux spiritualités des peuples autochtones, qui ont marqué ce patrimoine, de même qu’à d’autres religions qui contribuent aujourd’hui à la culture québécoise et inspirent différentes manières de penser, d’être et d’agir ».
Tout chercheur, s’intéressant à cette question, aurait vu dans cet énoncé les principes de l’interculturalisme, le modèle québécois, que Madame Quérin ne semble pas arriver à différencier du modèle multiculturaliste. En tant qu’enseignant, je vais tenter de l’expliquer de manière pédagogique. La culture québécoise fait office de mixeur qui, de plus en plus, accueille une grande variété de fruits. L’objectif est que le cocktail qui en ressorte ne soit pas dégoutant. Cependant, sans mixeur, vous n’avez qu’un tas de fruits posés sur une table sans aucune chance que quelque chose de commun en ressorte. Ce que souhaite le modèle interculturaliste, c’est que les différentes croyances et valeurs qui contribuent aujourd’hui à la société québécoise soient prises en compte et valorisées, à partir du moment où ces dernières respectent les valeurs de la société québécoise.
Dans le même sens, les critiques portées à l’égard du cours Éthique et culture religieuse sont nombreuses, mais les omissions aussi. Dans le rapport de Madame Quérin, le cours est accusé de présenter « une conception du Québec comme nation strictement civique, définie non pas à partir de son histoire et de ses spécificités culturelles, mais uniquement à partir de sa Charte des droits ». Bref, de n’accorder aucune place aux valeurs et à l’histoire du Québec.
Cependant, aucune importance n’est accordée au fait qu’il soit écrit dans le programme officiel du ministère qu’« un regard privilégié est porté sur le patrimoine religieux de notre société ». Selon le programme, « le christianisme (le catholicisme et le protestantisme) est traité tout au long de chaque année d’un cycle, alors que l’islam, le bouddhisme et l’hindouisme est traité à plusieurs reprises au cours d’un cycle ». Cela fait une grande différence dans le contenu des cours.
Or l’ignorance de ce qui se passe dans les classes est sans doute une des failles les plus importantes de cette recherche. Cette recherche est basée uniquement sur le contenu du programme et sur le contenu des manuels. Si la critique est faite que le Québec vaut plus que ce que représente sa Charte, Madame Querin doit être capable de comprendre que le cours vaut plus que son contenu théorique. Avant de faire la critique d’un cours, tout chercheur aurait pris le temps de voir en quoi consistait ce cours dans les classes, et pas que dans le programme et les manuels.
Enfin Madame Quérin s’indigne qu’avec le cours d’ECR, « aucun accommodement ne leur [aux élèves] paraîtra déraisonnable ». Si on s’entend pour dire qu’un accommodement raisonnable est un outil créé et utilisé par les tribunaux pour ne pas discriminer les membres des minorités (voir José Woehrling), alors oui, le cours doit apprendre que ces accommodements ne sont pas déraisonnables. Et qu’un accommodement raisonnable ne désigne pas toute forme d’arrangements, parfois inacceptables. À moins que vous désiriez vraiment que le cours enseigne qu’un tribunal ou la Cour Suprême a eu tort d’accorder un accommodement raisonnable et qu’il s’appuie sur un sondage pour affirmer cela? Voulez-vous que je leur apprenne, après avoir lu le journal de Montréal le 14 janvier 2007, que 60% des québécois sont racistes ? Sans avoir pris le temps et le recul de voir qu’il était faux de conclure cela ? Si les jeunes sont capables après mon cours de comprendre cela par eux-mêmes, de développer un certain regard critique face à ce genre d’informations, alors oui, j’ai favorisé le vivre-ensemble et ai répondu à l’une des deux visées du programme.
Le cours, favorisant la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun, et ayant comme socle les valeurs de la culture québécoise, apprendra selon moi aux Québécois de demain à s’ouvrir sans se sentir soumis, à rester ferme face à l’intégrisme et à intégrer les nouveaux arrivants qui, apprenant l’histoire du Québec, seront à leur tour fier de représenter leur nation.
Jean-Pierre Proulx «s’est commis» sur le blogue du RAEQ, «L’étude de Mme Quérin est avant tout un manifeste politique»:
Je crois bien qu’on arrive à la fin de ceux qui avaient quelque chose à dire sur le document de Mme Quérin:
«L’imposture», chronique de Joseph Facal
«ADQ et PQ : même combat pathétique…», chronique de Stéphane Gendron
Je me range du côté des arguments de M. Gendron cette fois, même si je suis d’accord avec M. Facal sur le fait qu’on n’a pas à «transformer la manière de penser et d’agir de la majorité pour l’adapter aux minorités qui pourront, pour l’essentiel, conserver les manières de penser et de vivre de leurs pays d’origine». C’est justement parce que le cours de ÉRC ne tombe pas dans la promotion tous azimuts des accommodements raisonnables qu’il me paraît être indiqué. C’est du moins ma compréhension de ce que c’est suite à mes lectures des derniers jours…