Agir autrement: et si on avait jugé le MELS un peu rapidement?

Par l’entremise de Twitter aujourd’hui, je suis tombé sur un article écrit tout en nuance qui porte sur le suivi à la stratégie d’intervention du MELS pour la réussite des élèves du secondaire en milieu défavorisé: «Agir autrement : des pas dans la bonne direction». Les propos du chercheur Michel Janosz (il dirige l’équipe d’évaluation de «Agir autrement» qui fait partie du groupe de recherche sur les environnements scolaires de l’Université de Montréal) y sont rapportés et le jugement me paraît être bien moins sévère que ce que les médias ont rapporté:

Une toute petite phrase à la fin de l’article a attiré mon attention et lié à ce commentaire de Paul Inchauspé, il me semble que ça change complètement l’interprétation à donner aux résultats de recherche:

«Les chercheurs de l’équipe, rattachés à l’UdeM et aux universités Concordia et du Québec à Montréal, ont été déçus de constater que le taux de décrochage n’avait pas diminué à la suite de la mise en place de la stratégie. Mais le professeur de l’École de psychoéducation affirme que de telles surprises font partie de la démarche de la méthode scientifique. La science est tout de même bien servie au final. « Il faut s’attendre à des résultats qui ne vont pas dans le sens de l’hypothèse. Chaque fois, la connaissance est gagnante. »»

Éclairé par la déclaration de M. Inchauspé à l’effet que «les hypothèses de base des chercheurs, les instruments qu’ils ont produits conduisaient les écoles à changer les choses à la périphérie, à ne pas toucher la relation enseignant-élève dans la classe, à ne pas toucher une organisation scolaire qui empêche la prise en main de groupes d’élèves par un groupe d’enseignants», on se dit que le MELS se prend peut-être en solitaire la volée de bois vert qui devrait être distribuée de façon plus large. D’autres propos de Paul Inchauspé sont intéressants:

«Si j’en crois la presse, le programme Agir autrement fut, selon les auteurs d’un rapport d’évaluation, un échec. Et la faute en serait aux écoles, aux commissions scolaires, au ministère. Mais pas aux auteurs mêmes de ce rapport? Or, cette équipe de chercheurs évaluateurs fut, elle-même, à l’origine, le concepteur le plus important de ce programme d’intervention. Cette même équipe a depuis le tout début accompagné les écoles dans ce projet. Elle ne fut qu’un observateur distant, sans effet? Allons, donc.»

L’éditorial de Brigitte Breton (au Soleil de Québec) allait dans le sens de dire qu’il faut apprendre de ses erreurs et je me demande aujourd’hui si le message ne devrait pas être porté par l’ensemble des intervenants dans ce dossier plutôt que par le MELS qui passe pour avoir mis 300 millions de $$ dans quelque chose de proprement inutile. J’aime bien le ton de Mme Breton, même si «les gifles» auraient peut-être eu avantage à être distribuées plus équitablement qu’aux seuls ministres de l’Éducation de la période 2002-2010:

«Étonnamment, le ministère de l’Éducation n’a pas l’habitude de soumettre ses plans d’action à l’analyse des chercheurs des universités. Pour la stratégie d’intervention Agir autrement, il y a eu une heureuse initiative. Une vingtaine de chercheurs dirigés par Michel Janosz ont sondé 30 000 élèves et 4000 enseignants de 66 écoles afin de vérifier si les moyens mis en oeuvre dans le cadre de cette stratégie donnaient les résultats escomptés. Leur bilan s’avère mitigé. Si Agir autrement a contribué à améliorer le climat à l’école, à réduire la violence, à diminuer les problèmes liés à la consommation de drogue et à développer de meilleures relations entre les enseignants, les élèves et les parents, ce qui est loin d’être banal et inutile dans les milieux démunis, ses effets paraissent cependant nuls sur la réussite scolaire et le décrochage. Une gifle pour tous les ministres de l’Éducation, péquistes et libéraux, qui depuis 2002 ont misé sur cette stratégie sans savoir si les transformations souhaitées étaient au rendez-vous.»

Une belle occasion pour Mme Beauchamp. Elle pourrait s’assurer que la politique «tabula rasa» ne s’applique pas ici (comme trop souvent en éducation), dans la lutte contre le décrochage scolaire. Si Agir autrement n’a pas donné les résultats escomptés, la responsabilité est partagée (les directions d’école et les commissions scolaires peuvent également porter le chapeau) et la suite des événements sera déterminante. L’équipe de chercheurs qui «évalue» la stratégie d’action doit aussi se remettre en question, si j’ai bien compris!

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7 Commentaires
  1. Photo du profil de JacquesTondreau
    JacquesTondreau 12 années Il y a

    Bonjour Mario,
    J’ai pour ma part énormément de difficulté à accepter les constats de l’équipe de Janosz sur les résultats d’Agir autrement.
    Un programme gouvernemental est mis en place en 2002 pour favoriser la réussite scolaire dans les écoles œuvrant en milieu défavorisé, on y injecte 25 millions de dollars par année (42 millions depuis 2007), une équipe d’experts (l’équipe de Janosz) indique au départ ce qui devrait être fait pour que l’intervention en milieu défavorisé donne des résultats, une équipe d’évaluation (toujours l’équipe de Janosz) vient nous dire en septembre 2010 que cela n’a rien donné en matière de réussite scolaire. Encore plus, l’équipe de Janosz affirme que finalement cela a du bon puisque la connaissance en sort gagnante. Et les 300 000 élèves qui n’ont rien retiré de cela, qu’est-ce qu’on en fait ? En sortent-ils gagnants eux ? Pas du tout. C’est tout à fait désolant d’entendre de tels propos.
    Contrairement à toi, je pense que le MELS a une énorme responsabilité dans l’échec d’Agir autrement. Il s’est servi de ce programme pour mettre en place les plans de réussite dans les écoles (SIAA a servi de laboratoire pour cette initiative), avec une panoplie de nouvelles exigences qui ont alourdi passablement le travail du personnel scolaire qui n’a pas été en mesure de faire ce pourquoi il est là : favoriser l’apprentissage chez les élèves et leur permettre de goûter à la réussite scolaire.
    Le programme Agir autrement a pris le problème à l’envers. À ma connaissance, lors du lancement officiel de la stratégie en 2002, personne n’a demandé pourquoi ce programme devait intervenir d’abord auprès des élèves des écoles secondaires. Pourtant, de très nombreuses recherches indiquent que parmi toutes les interventions proposées pour contrer les difficultés scolaires et l’abandon prématuré des études, celles qui visent à agir tôt auprès des enfants avant et au tout début de la scolarisation ont fait amplement leurs preuves. Agir autrement a mis l’accent plutôt sur les jeunes du secondaire. Pourtant, pour la plupart d’entre eux, la trajectoire scolaire est une somme de difficultés cumulées au fil des années passées dans le système d’éducation, difficultés qui ont pris forme le plus souvent dès l’entrée au préscolaire. Et c’est là qu’il aurait fallu agir autrement au départ. Le gouvernement le savait très bien.
    Agir autrement a été revu dernièrement afin que ce programme donne de meilleurs résultats. Devine qui sont les experts en décrochage qui travaillent présentement sur cette nouvelle mouture d’Agir autrement : l’équipe de Janosz. Devine ce que fait le MELS avec cette nouvelle mouture : il va s’en servir pour tester les nouvelles conventions de gestion qui découlent de l’adoption du projet de loi 88 sur la gouvernance des commissions scolaires.
    Comme tu vois, plus ça change, plus c’est pareil. Et où crois-tu que nous aboutirons dans cinq ans avec cela : encore un constat d’échec. Qui en souffrira le plus : encore les élèves provenant de milieu défavorisé. Et continuons pendant ce temps à faire des programmes pédagogiques (sélectifs) pour une petite élite scolaire, continuons à financer des écoles privées qui servent une petite élite sociale. La justice sociale sera sauve puisqu’on de l’argent est investi pour les écoles en milieu défavorisé, mais sans malheureusement donner de résultats positifs.

  2. Photo du profil de PatrickGiroux
    PatrickGiroux 12 années Il y a

    My 2 cents:
    Je trouve qu’on va un peu vite avec l’évaluation. Bon, ça n’a pas eu exactement les effets escomptés. Et après? Il ne faut surtout pas tout jeter. Après tout, certaines initiatives ont permis d’améliorer le climat à l’école, de réduire la violence, de diminuer les problèmes liés à la consommation de drogue et de développer de meilleures relations entre les enseignants, les élèves et les parents. Tout jeter et recommencer serait ridicule. Gardons le bon, questionnons ceux qui ont réussi de belles choses pour savoir comment ils s’y sont pris. Construisons à partir de nos apprentissages. J’espère vraiment que le politique ne fera pas « table rase » encore une fois. Si on fonctionnait de cette façon en science, ce serait probablement encore l’âge du fer…
    Chercher un responsable à blâmer est aussi ridicule puisque l’application de la politique dépendait d’un nombre TRÈS IMPORTANT de personnes. Juste ici au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les responsables locaux de la stratégie collaboraient avec des chercheurs de l’UQAC, des directeurs d’écoles, des enseignants… Certains aspects de la stratégie ont nécessité l’implication de parents, d’entreprises… Tout était discuté, négocié en groupe. Qui est responsable? Cette question n’amènera que déchirement.
    De plus, je tiens à souligner qu’agir autrement n’est pas un échec partout. Certaines initiatives ont eu plus de succès. Au Lac-Saint-Jean, par exemple, les initiatives des administrateurs scolaires ont donné lieu à de belles améliorations. Elles ont aussi permis la mise en place de projets de recherche qui contribuent déjà à l’amélioration de certains cours de la formation initiale et qui ont été des occasions de former quelques étudiants gradués à la recherche. De ramener l’évaluation de ce projet gigantesque au seul pourcentage de réussite scolaire me semble réducteur. Évidemment, l’équipe de recherche initiale n’avait pas le choix, elle devait conclure et dire si oui ou non, son objectif était atteint. Il y a tout de même une marge entre ce que l’équipe de recherche a conclu par rapport à son objectif et l’évaluation que l’on doit faire des retombées d’Agir autrement.
    PAt 🙂

  3. Photo du profil de MariellePotvin
    MariellePotvin 12 années Il y a

    Si cela peut contribuer à la réflexion, je vous dirige vers un billet que j’ai écrit récemment à ce sujet.
    Je faisais partie de ce projet.
    Voyez ce que j’ai pu faire…
    http://j.mp/cJ9yHe
    De quoi identifier, non pas des coupables, mais des bâtons dans les roues.

  4. Photo du profil de SylvainB
    SylvainB 12 années Il y a

    «De ramener l’évaluation de ce projet gigantesque au seul pourcentage de réussite scolaire me semble réducteur.»
    Et voilà !
    Tant qu’on n’aura que des chiffres et des nombres pour mesurer ou exprimer un résultat, on arrivera à ces conclusions hâtives ou manquant de nuances !

  5. Photo du profil de MarcSt-Pierre
    MarcSt-Pierre 12 années Il y a

    On a là une stratégie dont l’objectif premier était d’améliorer la réussite et la persévérance en milieu défavorisé. Or, graphiques à l’appui, le rapport démontre que mieux la stratégie a été implantée, moins les résultats en terme de réussite et de persévérance ont été au rendez-vous. Si on sait ça aujourd’hui, c’est parce qu’on a évalué la SIAA avec rigueur et c’est fort heureux. Même si les résultats ne sont pas ceux qu’on aurait bien voulu obtenir, il faut faire avec et au-delà des enjeux de réussite en milieu défavorisé, il faut retenir l’importance d’évaluer les impacts et les effets de ce qu’on implante et s’assurer que ce qu’on implante a été testé avant. Juste pour ça, il faut lever notre chapeau à Michel Janosz et à son équipe pour la rigueur de leur travail.
    Il ne nous reste qu’à regretter qu’on n’ait pas mesuré avant autant de rigueur les impacts du renouveau sur la réussite des élèves, particulièrement dans les milieux défavorisés ou pour les élèves à risque.

  6. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 12 années Il y a

    Je me réjouis qu’on est évalué sérieusement, semble-t-il, un programme de la sorte. C’est déjà un début quand on sait à quel point les intervenants en éducation n’aiment pas être évalués…

  7. Normand Peladeau 12 années Il y a

    Je ne surprendrai personne en disant que je partage l’opinion de M. St-Pierre quant à l’importance d’évaluer les impacts et le rapport de l’équipe de l’UdeM en est un bel exemple à bien des points de vue. Ce qui me désole, c’est cette tendance au Québec à entreprendre des réformes mur-à-mur sans avoir établi préalablement l’efficacité des mesures que l’on tente d’implanter. Encore une fois, il y a eu un projet pilote (6 écoles secondaires), mais, sauf erreur, encore une fois on est allé de l’avant sans évaluer attentivement les effets de ce projet pilote (est-ce que je me trompe?). Aujourd’hui, on a dépensé sûrement quelques millions de dollars pour évaluer un programme de plus de $300 millions, alors que pour une toute petite fraction de ce montant, on aurait sans doute pu en arriver à des conclusions semblables en procédant à l’évaluation du projet pilote. C’est l’histoire qui se répète.
    Mais à qui la faute? Est-ce le sentiment d’urgence qui amène nos gouvernements à entreprendre quelque chose, en fait n’importe quoi, du moment que l’on donne l’impression de prendre le problème au sérieux? N’est ce pas à nos gouvernements que l’on devrait demander d’ « Agir Autrement »?

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