Je viens de terminer la lecture du livre «Les médias sociaux 101» que j’avais reçu plus tôt cette semaine, acceptant l’invitation d’une relationniste du groupe Librex à critiquer le bouquin. Le lancement officiel a lieu ce lundi prochain à Montréal et je tenais à en terminer la lecture avant l’événement. Dans le premier courriel reçu, on m’aborde ainsi :
«Mesdames Michelle Blanc et Nadia Seraiocco vous considèrent comme étant des blogueurs d’affaires influents. Peut-être apprécieriez-vous recevoir une copie du livre en avant-première afin d’en faire une critique ?»
Avant de passer à la critique, j’aimerais préciser que toute flatteuse que soit l’expression «blogueurs d’affaires influents», je ne crois pas vraiment que ma critique puisse avoir une influence déterminante à côté de l’ambitieuse machine de promotion actuellement à l’oeuvre pour vendre le livre de Michelle (que je connais assez bien) et de Mme Seraiocco (que je n’ai jamais rencontrée). D’ailleurs, d’entrée de jeu, je prédis un grand succès au livre en terme de ventes, au Québec, du moins.
Un titre mal choisi et une signature mal avisée
L’expression «101» jumelée à un vocable laisse normalement entendre que le sujet sera développé sous forme de cours de base ou d’introduction. Au départ, quand j’ai lu la table des matières du projet de livre de Michelle, je voyais davantage le lien entre «un cours 101 sur les médias sociaux» et le livre, mais une fois lu, je vois beaucoup moins ce lien. Le sujet n’est pas vraiment développé pour la perspective de quelqu’un qui voudrait «apprendre» le b.a.-ba des médias sociaux. Si le lexique en fin d’ouvrage et la section du chapitre 1 qui porte sur «les vedettes parmi les réseaux sociaux» pouvaient s’inscrire dans cette dynamique, le reste du livre est surtout une forme de récit des aventures de Michelle Blanc au contact des réseaux sociaux. Un des meilleurs passages du livre sur le plan technique me paraît être celui portant sur le communiqué de presse optimisé; si le contenu entier du livre avait été écrit sur cette tonalité, je crois que le livre aurait davantage mérité son titre.
Que dire de cette expression «Le réseau mondial des beaux-frères et des belles-soeurs» que j’ai souvent entendue dans le discours de Michelle Blanc ? J’étais loin de m’imaginer qu’on en ferait la signature d’un livre «médias sociaux 101». Cette idée que l’opinion des beaux-frères et des belles-soeurs compterait davantage pour les gens au moment d’une décision importante est déjà très discutable. Mais la stratégie de lui donner une position si déterminante dans le caractère du livre me fait décoder que le propos des auteurs est à l’effet que les médias sociaux, ce serait du «n’importe quoi», qu’il n’y aurait pas moyen de pouvoir distinguer le bruit au travers du signal. C’est peut-être ce que pensent les auteurs? Au terme de la lecture du livre, je ne peux d’ailleurs pas répondre clairement à cette question… Un livre «médias sociaux 101» devrait aider un lecteur à y voir plus clair, à trouver l’essentiel au travers du superflu. La communication par le prisme des réseaux sociaux est autrement plus complexe et nuancée que celle annoncée par cette signature, il me semble. Qu’on me comprenne bien: ce livre est très intéressant – Michelle est tout un personnage et ses histoires peuvent s’avérer très captivantes pour le grand public – mais il ne me semble pas répondre aux ambitions soulevées par le titre. Si l’idée qu’on se fait des médias sociaux, c’est qu’on y retrouve du «n’importe quoi qui me dit quelque chose», je comprends que le vocable «réseau mondial des beaux-frères et des belles-soeurs» soit un bon clip. Mais sous un titre comme «médias sociaux 101», je considère que c’est une étiquette bien réductrice du phénomène et de son rôle dans les communications modernes. «La grande conversation» sur le Web peut bien devenir objet d’autant de critiques si dans un ouvrage qui prétend en définir les bases, on la caractérise comme étant essentiellement le point de vue «des beaufs». Cela dit avec beaucoup de respect pour mes propres beaux-frères et belles-soeurs.
J’ajoute qu’il n’y a pas à être surpris de ce sous-titre, car il figurait déjà dans les choix prévisibles d’un billet de Michelle sur lequel j’aurais peut-être du réagir, à l’origine.
Les forces du livre
Affirmer que le titre «médias sociaux 101» ne convient pas à ce livre ne veut pas dire qu’on y apprend rien. Les explications sur plusieurs applications Web plairont aux néophytes pour lesquels ce livre est destiné, si j’ai bien compris. Le ton du bouquin est intéressant, le niveau de langage y est très adapté, pimenté par les expressions de Michelle qu’on croirait entendre en lisant. J’ai personnellement des réserves à lire dans un ouvrage qui se veut un brin pédagogique des mots comme «quéquette», «pogner le cul» etc., mais d’aucuns y trouveront seulement le proverbial franc-parler de Michelle et ça plaira. Le livre ne contient aucune longueur, le rythme de défilement des sujets étant approprié et, à moins de 200 pages, on ne risque pas de décourager celui qui veut entrer dans le joyeux monde du Web participatif. Les anecdotes de Michelle et les nombreux renvois à ses billets de blogues ne m’ont pas embarrassé puisque je suis au courant du rôle «carte d’affaires» du livre. Aussi, j’ai eu l’impression qu’on en savait juste assez dans le livre pour comprendre ce dont il était question si on ne connaît pas le blogue de Michelle Blanc. Le dosage en terme «de contexte» est excellent, autant en ce qui concerne le passage de «il» à «elle» que ce qui entoure la pratique professionnelle et les clients de Michelle. Le lecteur sera satisfait d’en savoir suffisamment pour comprendre et appréciera de pouvoir poursuivre dans le blogue, en certaines occasions.
Les zones grises du livre
À quelques reprises, j’ai lu le mot «zeb» (mis pour Web), «goglu» (mis pour Google) et «WiFi» (mis pour wiki) et sur le coup, je n’ai rien compris de ce procédé d’écriture dans ce type de bouquin. Sur le site Web «officiel» du livre, on parle «d’erreurs constatées dans les chapitres 1 et 2» (qui seront corrigées lors de la réimpression) et je crois à la lecture du «pdf», que c’est ce qu’on voulait dire par «erreurs». Tant mieux si c’est le cas. Au niveau contenu, pour ce qui est du chapitre «La politique 2.0», je ne vois pas les forces de la stratégie de campagne de M. Obama comme Michelle les voit et je ne souhaite pas en discuter dans ce billet; ça reste une zone grise du livre pour moi, tout comme le choix de régler certains comptes avec des auteurs (Nicolas Langelier et Nathalie Petrowski, entre autres) qui ont déjà eu mailles à partir avec Michelle. Personnellement, je n’aurais pas transporté dans ce livre ce genre d’histoires qui me semblaient appartenir à l’écosystème du «numérique 301», même si par les liens, un lecteur avisé peut toujours s’informer du contexte de ces chicanes de basse-cour. «La saga des médias traditionnels contre le Web» me paraît être un des sujets préférés de Michelle, mais ne me semble pas devoir figurer dans «la matière» de base visant la compréhension des médias sociaux, d’autant plus qu’à ma connaissance, les médias traditionnels ne sont pas «contre» le Web, mais tentent plutôt d’essayer de prendre le virage et d’y trouver un nouveau modèle d’affaires. Si la crise des médias existe, je me demande si elle n’a pas été traitée trop superficiellement dans ce livre pour y figurer en tant que sujet?
Prospectives
Au terme de ce billet de type «critique de livre» (et non «critique des auteurs du livre»), je me suis demandé si cet ouvrage vieillirait aussi bien, dans le temps, s’il avait été écrit de la perspective de quelqu’un de moins connue que Michelle ? Les études de cas étant traitées de façon superficielle dans le livre (c’est un peu normal dans un ouvrage d’introduction à un domaine) et renvoient très souvent à des billets du blogue de Michelle ce qui est astucieux d’un point de vue «promotion» du «brand Michelle Blanc»… est-ce que le contenu explicite «médias sociaux» du livre va atteindre sa cible qui est «d’essayer de mieux faire comprendre ce qui se passe sur le Web 2.0»? J’en doute. Ce livre aura le mérite de bien servir Michelle Blanc et c’est déjà beaucoup, dans un sens. Je connais peu de personnes qui ont un parcours aussi atypique, réussir autant d’un point de vue professionnel. La notoriété de Michelle peut en déranger plusieurs, mais nous devrions tous – du milieu – reconnaître que dans l’accomplissement professionnel de sa démarche de transition personnelle, il a bien fallu qu’elle démontre une maîtrise hors du commun des outils du Web en général et des médias sociaux en particulier. Si j’entretiens des réserves sur son livre (bon, elle n’est pas la seule auteure, je sais), je ne doute pas un instant qu’il était nécessaire au domaine qui souffre dangereusement d’un manque de pénétration. Le livre «Les médias sociaux 101» ouvre le vaste chantier de l’appropriation grand public de ce phénomène émergent. L’important n’est probablement pas qu’il contienne toutes les réponses ou qu’il pose toutes les bonnes questions, mais plutôt, qu’il fasse entrer le sujet dans les discussions, en famille et au travail. En cela, la démarche du livre risque fort d’atteindre cet objectif!
N.B. La lecture de ce billet pourrait intéresser ceux que la question du «syndrome du beau-frère» et le Web préoccupe… Aussi, sur la question des «Zeb, Goglu et WiFi», ce billet de Michelle confirme l’hypothèse des erreurs.
Autres critiques:
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Indéniablement, tu fais la critique la plus rigoureuse parmi celles que j’ai lues. Bel exercice d’objectivité, Mario.
Quant à moi, je supporte difficilement ceux qui font du self-branding. Toute tentative d’approfondissement est irrémédiablement ramenée, tôt ou tard, à la superficialité de la personne.
Je ne pense pas que Michelle s’en offusque, elle qui se fout de l’unanimité.
Belle analyse. De ce que j’ai lu ici et ailleurs, je comprends qu’on vend un personnage, en somme.
À la lumière de que j’ai lu ici et ailleurs, le titre me semble plus ou moins indiqué.
Bref, on fera comme les Chinois: on repassera.
Je suis d’acccord avec toi que l’image du « beau-frère » a une consonnance négative. Elle est surtout motivée par cette obsession du « prix », du « cheap » au lieu de la « valeur », de la « qualité ». C’était le propos de mon billet que tu as gentiment proposé en référence à tes nombreux lecteurs (merci!).
Aussi, je te rejoins quand tu affirmes que l’allusion au monde des « beaux-frères » risque d’être « perçu » négativement. Ce serait dommage que cette approche cause une fausse impression et ait un impact sur sa diffusion.
Me considérant comme un néophyte et étant un lecteur assidu de Michelle, je vais probablement me procurer ce livre et m’en faire une opinion.
J’aime beaucoup ton approche mesurée dans cette critique.