« Autre problème, ajoute M. Boutin: en confiant de nouvelles responsabilités à l’école privée, on lui donne une plus grande légitimité, on la conforte dans son rôle. Et on ne remet pas en question son existence. Il n’y a pas 56 000 solutions: Québec doit injecter davantage d’argent. Pourquoi ne pas abolir les subventions à l’école privée? »
Michèle Ouimet signe ce matin un texte dans La Presse (La fin d’un tabou) dans lequel elle réagit à l’affirmation de Line Beauchamp (ministre de l’Éducation) qui souhaite «bousculer les écoles privées et les écoles publiques sélectives pour qu’elles intègrent davantage d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage». La ministre aurait ainsi brisé un tabou.
Mme Ouimet se trompe (comme plusieurs adeptes de la pensée magique) en écrivant que l’État va économiser de l’argent en abolissant les subventions à l’école privée. Un même élève va coûter 100% au ministère au lieu de 60%. Plusieurs études ont démonté qu’autour de 15% des écoles privées vont pouvoir rester ouvertes (majoritairement sur l’île de Montréal) si les parents doivent payer 100% des coûts. Consécutivement, tous les élèves actuellement au privé vont fréquenter les écoles publiques ce qui entraîne un sur-coût de 40%. «L’économie» engendrée par le fait que les élèves des 15% d’écoles restantes ne soient plus financées ne va pas compter beaucoup dans la colonne des chiffres quand viendra le temps des comptes. De fait, un syndicat d’enseignants a déjà publié une étude remplie de comptabilité créative que j’ai critiquée dans ce billet l’an dernier et je suis toujours étonné quand des journalistes du calibre de Michèle Ouimet embarque dans cette logique qu’il y aurait de l’argent à faire en abolissant les subventions à l’école privée.
Et pour ceux qui croient qu’un «énorme tabou» vient d’être brisé avec «la bousculade ministérielle», je suggère d’aller faire un tour dans l’une des onze écoles privées membres de la Fédération des établissements d’enseignement privé qui n’accueillent QUE des élèves en besoins d’adaptation scolaire. Les écoles privées et publiques qui sélectionnent les élèves peuvent sûrement faire davantage pour accueillir des élèves en difficultés et se montrer plus inclusives (un belle piste ici). Plusieurs écoles de la région de Montréal qui sont véritablement celles à avoir des pratiques de sélection comparables à celles des écoles publiques internationales doivent être bousculés. Mais pensent-on vraiment que les écoles privées qui offrent encore un pensionnat ne font pas leur part?
Je suggère à Mme Ouimet d’aller visiter ces deux derniers types d’écoles (écoles pensionnaires et EHDAA au privé) avant de parler de tabou et d’économies d’argent…
N.B. Le Réseau d’information pour la réussite éducative publie quelques pistes de solutions suite à la journée de discussion du MELS sur l’intégration des élèves en difficultés. Aussi, l’Association des écoles privées de l’Estrie a réagi, ainsi que le pallier provincial…
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Bonjour Mario,
Tu as la réaction rapide ce matin. Et nous y voilà encore à cette question d’économie ou pas avec l’arrêt du financement des écoles privées. En ce qui me concerne, que l’État doive mettre 100 millions supplémentaires par an pour assumer le transfert d’élèves du privé vers le public en cas d’arrêt du financement est à mon sens non pas un coût mais une véritable économie.
La sélection opérée par les écoles privées et la dynamique de concurrence que cela engendre entre le public et le privé est fortement nuisible aux écoles publiques et à leurs élèves. Ça aussi c’est bien connu et documenté. Ces problèmes ne sont pas à coût nul. Pour le moment, aucune recherche n’est en mesure de chiffrer les dégâts de cette sélection et de cette concurrence. Intuitivement, j’irai pour des 100 de millions.
En ce qui concerne le tabou brisé. On pourrait penser que l’on vit sur une autre planète ces jours-ci depuis que la ministre Beauchamp a annoncé que les écoles privées et les écoles sélectives devraient faire leur part dans l’intégration des élèves en difficulté. Je pense qu’elle vient certainement de briser un tabou comme l’indiquait la journaliste de La Presse, Michèle Ouimet.
Et c’est impressionnant de voir comment, par magie, les représentants des écoles privées et les responsables des projets pédagogiques sélectifs dans les écoles publiques nous informent qu’il est tout à fait possible de faire de l’intégration d’élèves en difficulté et ainsi assumer une part de responsabilité sociale pour régler ce problème. C’est clair, le vent vient de tournée.
Mais a-t-il vraiment tourné ? On en est pour le moment aux déclarations d’intentions. Je ne pense pas que les programmes d’éducation internationale vont ouvrir leur porte demain matin aux élèves en difficulté, même si certaines expériences en ce sens ont lieu. Et que dire des écoles privées qui se disent prêtes en en faire plus dans la mesure où on leur donne plus d’argent pour faire face à leurs nouvelles responsabilités.
L’intégration a été pour l’essentiel assumée par les écoles publiques sans que les ressources nécessaires ne soient là pour assurer la réussite de cette intégration. Elles ont réclamé (ou plutôt les syndicats et les commissions scolaires ont réclamé) plus d’argent pour faire face à ce défi. Les sommes supplémentaires injectés n’ont répondu à l’ampleur des besoins, loin de là. Pourquoi donc les écoles privées devraient avoir les moyens de cette intégration alors que ces moyens sont refusés aux écoles publiques. Je pense que j’irai plutôt du côté suivant avec les écoles privées : moins vous intégrez et moins on vous donne d’argent. Et en passant, les écoles privées spécialisées œuvrant avec des EHDAA sont financées par le MELS à ce que je sache.
Bonne journée
Mme Ouimet réagit souvent avec ses humeurs plutôt qu’avec des faits quand elle commente l’actualité en éducation.
Elle écrit par exemple ce matin: « L’intégration à tout prix: une lubie de la réforme. Une autre ».
La question de l’intégration des élèves HDAA remonte à bien plus longtemps: le rapport Copex (1976), la politique ministérielle de 1978 inspiré du précédent rapport, sa mise à jour en 1992 et son renouvellement en 1999.
Au surplus, la dite politique a été fortement marquée aussi par les nombreuses décisions des tribunaux fondées sur l’application des chartes et le principe de non-discrimination en fonction du handicap. Elle s’est traduite finalement dans la Loi sur l’instruction publique (art. 234) qui fait de l’intégration la voie privilégiée à suivre dans la mesure où cela va faciliter ses apprentissage et ne portera pas atteinte aux droits des autres élèves.
S’il y a intégration sauvage, cela n’a rien à voir avec la réforme.
Non et oui, monsieur Proulx.
Combien de fois ai-je entendu que la différenciation pédagogique, un concept relié à la réforme ou, tout au moins, qu’on a mis de l’avant en même temps que celle-ci, permettait l’intégration des élèves en difficulté dans les classes? Tu as des élèves différents, qui ont des rythmes d’apprentissage différent, emploie la différentiation pédagogique: c’est miraculeux… et respectueux de tous. Aujourd’hui, on commence à entendre parler des contraintes excessives que cette pratique fait peser sur les autres élèves et les enseignants.
Je n’ai jamais autant entendu parler d’intégration qu’en même temps qu’on implantait la réforme. L’une a servi de prétexte à l’autre?
@Jacques Tondreau
«…les écoles privées spécialisées œuvrant avec des EHDAA sont financées par le MELS à ce que je sache». Non seulement financées à 100%, mais la grande majorité des élèves de ces écoles privées doivent être référés par… les écoles publiques 😉
@Jean-Pierre Proulx
@Luc Papineau
De mon point de vue, les politiques d’intégration étaient antécédentes au début du commencement de la réforme.
« Mme Ouimet se trompe (comme plusieurs adeptes de la pensée magique) en écrivant que l’État va économiser de l’argent en abolissant les subventions à l’école privée. Un même élève va coûter 100% au ministère au lieu de 60%. »
Un peu de pensée systémique, cher Mario. La présence d’un réseau privé largement financé au Québec contribue à une plus grande détermination sociale des résultats scolaires. Si besoin est, je pourrai te rapporter des écrits de recherche éloquents à cet égard. Ainsi, le système actuel génère de la pauvreté. Tu pourrais argumenter que le développement d’une élite contribue en contrepartie à créer plus de richesse. Mais si cela est vrai, cela veut dire encore plus de richesse pour certains, et encore moins pour les autres. On est loin d’un idéal de justice sociale et de l’éducation vue comme un bien commun.
Ce n’est pas qu’une question de financement. Quant à moi, le privé pourrait être financé à 100%, dans la mesure où sa clientèle est en tout point comparable à celle de l’école publique du coin et que les responsables de ces écoles viennet s’asseoir avec nous pour qu’on définisse ensemble une offre de services éducatifs pour la population des territoires que nous desservons. Toute la population.
Alors, si je comprends bien Marc… il n’y a pas d’économie d’argent à faire à toucher au niveau de subventions du privé. Mais il devient urgent d’entreprendre un dialogue privé/public sur deux questions (au moins):
1- Le niveau d’ouverture de toutes les écoles à tous les « genres » d’élèves.
2- L’offre de services éducatifs sur un même territoire de toutes les écoles.
Me semble que ce que tu proposes représente de saprés bonnes bases de discussions!
J’adopte.
Tu sais Mario, je n’invente rien. Il y avait une proposition qui allait en ce sens dans « Une école communautaire et responsable » en 1981. Ce document de consultation a été produit à l’époque par le MELS sous le règne du Dr Laurin).
Plus près de nous, aujourd’hui, on asseoit autour d’une même table les représentants des commissions scolaires d’un territoire donné, mettons les Laurentides, ceux des CEGEPS et des universités du même territoire pour planifier l’offre de service en formation professionnelle et technique. On appelle ça les « tables interordres ». Alors pourquoi pas des tables du même genre dans chaque région pour planifier l’offre le services éducatifs plutôt que de laisser jouer les lois du marché ?