En décembre dernier, un communiqué nous annonçait l’arrivée d’une politique-cadre sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics. Dans la foulée du jugement de la Cour supérieure du Québec dans la cause Savoir-faire Linux vs Régie des rentes du Québec (RRQ), plusieurs ont eu l’impression que l’arrivée du projet de loi n°133 représentait enfin l’occasion d’assister à de bons débats sur les TI dans l’espace politique avec en trame de fond, une plus grande ouverture aux logiciels libres. Si je me fie à ces transcriptions du Journal des débats de la Commission des finances publiques pour la journée de mardi dernier, on ne peut pas dire que les réponses aux questions des politiciens sur l’importance des logiciels libres en éducation soient très claires. Mais au moins, il y a des questions…
Il faut lire ces transcriptions pour s’apercevoir d’abord que la perception de Josée Bouchard (Présidente de la Fédération des Commissions Scolaires du Québec) semble être que le projet de loi va freiner les ambitions de la GRICS de faire ce qu’elle veut en matière de choix de technologies et de solutions pour répondre aux besoins de ses clients. La ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor (Michèle Courchesne) n’a pas vu cela de la même manière et ne s’est pas gênée pour le dire. Mme Bouchard dit ressentir «un manque de confiance de la part du gouvernement dans les élus scolaires» (ce serait l’article 14 du projet de loi qui donnerait cette impression selon Pâquerette Gagnon, directrice générale de la FCSQ). Ces discussions à propos du projet de loi sont importantes parce que les nouvelles règles énoncées dans la politique-cadre sont sujettes à son adoption par l’Assemblée nationale.
À l’intérieur de la même séance, c’est Marie Malavoy (députée de Taillon et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’enseignement supérieur) qui, la première, a posé la question des logiciels libres…
«Il y a un aspect, moi, qui m’intéresse depuis quelques temps qui est celui des logiciels libres. J’ai eu le plaisir, il n’y a pas très longtemps, d’avoir une rencontre vraiment passionnante avec la commission scolaire de Laval qui sert d’exemple quand on veut parler d’application, au Québec, des logiciels libres parce que, si je ne me trompe pas, de mémoire, il me semble qu’ils nous indiquaient qu’ils faisaient des économies annuelles de l’ordre de 250 000 $, c’est le chiffre que j’ai à l’esprit, et, vous abordez rapidement la question des logiciels libres dans votre mémoire [celui de la FCSQ], et ce que j’aimerais savoir c’est quel est le degré d’ouverture de l’ensemble des commissions scolaires à cette question-là?»
C’est alors que Mme Bouchard s’est commise sur le sujet. «On ouvre de plus en plus vers ça, il y un travail, vraiment, qui se fait dans le sens d’utiliser les logiciels libres». Mme Gagnon a ajouté une longue réponse qui, je crois, doit être mieux connue des observateurs en éducation:
«Alors, effectivement, de plus en plus les commissions scolaires demandent à la Société GRICS, parce que c’est vers là qu’on dirige nos développements, là, de regarder cette question-là. Et l’analyse qui a toujours été faite jusqu’à maintenant, c’est toujours une analyse de qualité et de coûts. On a, vous l’avez mentionné tantôt avec le réseau des collèges, on a des habitudes puis on a des systèmes qu’on a créés qui sont très efficaces, très efficients, et on a peut-être tendance, de temps à autre, à ne pas les remettre en question. Et lors de certains développements, parce qu’on est toujours en développement, les commissions scolaires nous interpellent, notamment Laval nous a interpellés, (…) alors on est obligés de regarder d’autres façons de faire. Je vous dirais, le réseau est de plus en plus ouvert, et on est prêts à regarder d’autres solutions. C’est évident. Toujours avec un rapport qualité, coûts. Il faut dire que les commissions scolaires, étant en décroissance depuis quelques années, surveillent aussi les coûts sur le marché, alors on ne veut pas que les produits de la GRICS augmentent, et on ne veut pas que la solution qu’on aura à côté va augmenter aussi nos coûts. Alors, c’est des coûts de gestion, là, qui sont toujours restés très bas. C’est ce qu’on va dire jeudi, nos coûts de gestion sont à 5 %, les commissions scolaires. Alors, ce n’est pas énorme sur 10 milliards. Donc, on a cette préoccupation-là. Et, moi, je siège à la société GRICS comme représentante de la fédération, et notre oeil, notre regard là-dessus, c’est toujours de s’assurer que les commissions scolaires peuvent gérer les deniers publics correctement via, aussi, ces produits-là. Alors l’ouverture, elle est là.»
Si je comprends bien, ce sera autour de la GRICS d’intervenir cette semaine devant la commission (mise à jour : ce sera mardi soir à 20 h 30, juste après le FACIL). Ce sera intéressant de lire ce qu’ils diront sur le sujet dans le contexte où ils ont fermé Zone libre en éducation. Ce pourrait être l’occasion de poser quelques questions sur le sujet de la distribution Colibris, par exemple (sa distribution est-elle encore assurée dans les écoles du Québec ?) Est-ce qu’on a des projets de refonte ou de conversion en code libre pour le portail Édu-Groupe ou si on continue de privilégier l’utilisation du fameux «DotNet» de SharePoint (technologie propriétaire de Microsoft) ?
À lire les interventions de François Bonnardel (député de Shefford et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de finances publiques), on peut prévoir certaines questions sur l’aspect financier de ces questions:
«La Société GRICS qui vous accompagne, les commissions scolaires, depuis 25 ans, est une société privée(…) qui reçoit(…) 22 millions annuellement(…), c’est quand même substantiel.»
À la suite d’une question aux représentants des commissions scolaires anglophones posée par le même François Bonnardel, David C. D’Aoust (président de la Commission scolaire New Frontiers) a offert un complément d’information gagnerait à être plus précis, mais qui me paraît avoir le potentiel de mettre la table pour les événements de cette semaine…
«On parle de 22 millions de dollars, qui viennent des commissions scolaires, qui viennent des contribuables, mais le chiffre d’affaires de la GRICS, c’est alentour de 54 millions. Alors, si elle peut… pourrait agir comme collaborateur, formuler un centre de… de quoi? D’information sur ce qui se passe en… en information, je ne vois pas… pas pourquoi qu’ils soient invités à le faire. Au moins qu’ils soient offerts une invitation lui… leur être transmis. Parce qu’il y avait de la concurrence, et c’était trop cher. C’est… C’est simplement pour ça qu’on a abandonné d’autres concurrents: c’était trop cher. Et la GRICS n’est pas… et… tellement chère. Je vais vous le dire, ça coûte cher à la commission scolaire. Mais quand on veut voir un bouleau fait, et comme… fait comme il le faut, on se fie sur la GRICS. Et on s’est fié à maintes reprises dans le passé.
De la lecture de cette transcription, je retiens aussi que les intervenants des commissions scolaires ont «peur d’un micromanagement» du gouvernement du Québec sur le sujet de leurs choix technologiques (formulation du député péquiste Sylvain Simard, ex-ministre de l’Éducation) et que sur les économies possibles du libre, il y a encore beaucoup d’éducation à faire sur le coût des logiciels sous licence GPL; Carol Heffernan de la C.S. Lester B. Pearson déclare (sans que personne infirme) que «le prix pour les logiciels éducatifs OpenOffice d’après les prix éducatifs, c’est 250 $.»
Dans le contexte où je participe cette semaine à l’émission de radio «La Voix du Libre» sur les ondes de ckia 88,3 FM, j’avoue avoir l’intention de suivre les travaux de cette commission avec attention.
N.B. On comprendra que plusieurs citations ont été extraites de débats oraux… il faut se montrer indulgent avec le niveau de langage…
Mise à jour du 7 janvier 2012 : Cet édito de Pierre Asselin du Soleil de Québec montre que les forces d’inertie dans la gouvernance publique sont incroyablement fortes, « La peur du libre ».
Tags: "Administration scolaire" "La vie la vie en société" "Pédagogie et nouvelles technologies"
J’ai l’impression que c’est un débat qui est trop gros pour que je puisse le saisir entièrement.
Mais, d’un point de vue personnel, je suis loin de trouver que les systèmes actuels sont efficients ou efficaces. J’utilise le portail de la CSDM quasi quotidiennement et c’est peu convivial, peu ergonomique, lent et instable. (J’avoue que l’instabilité peut être due aux serveurs) Beaucoup de collègues partagent ce point de vue.
Outre sa liberté, son faible coût et son éthique indépendante du marché, quels seraient les autres avantages du libre si on l’adoptait à grande échelle?
Merci de nous faire ce compte-rendu. Je n’ai malheureusement pas le temps de suivre ce débat… Trop d’implications ailleurs. J’aurais aimé le suivre et y intervenir.
Ne crois-tu pas que les gens qui parlent au nom de la GRICS sont mal placés pour parler du libre? Leurs choix antérieurs me semblent discréditer cette dernière.
Merci Mario, tu m’amènes des nouvelles claires que les médias traditionnels n’ont pas le tour de m’apporter. Seras-tu à la Commission ce mardi? Et quand sera ta participation à CKIA?
Bonjour,
Je vais avoir la chance de faire l’entrevue avec Mario Asselin entre autre ce mercredi sur les ondes de CKIA 88.3. Le show commence à 20h pour deux heures et sera disponible sur le site Web le lendemain.
Nous n’oublierons pas d’aborder le petit côté politique qui s’anime depuis quelques mois autour du projet de loi 133 et voir l’impact sur l’adoption des logiciels libres en éducation.
À mercredi Mario !
Maintenant à moi de lire ton article plus en profondeur et d’assimiler tout ca 😉
Bien hâte à mercredi soir Yannick…
Je ne serai pas à la commission mardi Félix, mais je vais suivre le tout de l’extérieur, dans la mesure de mes disponibilités. Les mandats ne manquent pas de ces temps-ci et j’ai trop à faire pour me consacrer «à temps plein» à ces questions d’importance…
@Patrick @Angélique
Depuis la parution de ce billet, je reçois beaucoup de réactions par courriels et par «message direct» dans Twitter. Le fait que les gens soient si frileux de s’exprimer ouvertement sur cette question me parle énormément.
La GRICS n’a pas beaucoup de crédibilité sur le sujet de la promotion du libre, c’est le moins qu’on puisse dire. On me raconte entre autres que les annonces de cette semaine à la GRICS confirmeront que «Sharepoint Serveur» a été retenu et qu’un nouveau système de publication web sera disponible visant à remplacer les SPIP, Joomla, WordPress, etc. Au moment où quelques Commissions scolaires installent WordPress-BuddyPress pour leurs élèves/classes/écoles (et pas les plus petites), je me dis que l’offre promue par la GRICS ne va pas dans le sens de «plus de libres» (ou plus de « codes sources ouverts ») pour ce qui est du collaboratif dans le scolaire.
Sur le sujet du projet de loi 133, certaines questions émergent de mes échanges en privé de ce matin :
– Fallait-il vraiment voir à remplacer SPIP, Joomla ou WordPress dans les écoles ?
– Ces remplacements ont-ils un lien avec l’approche « portail fermé » privilégié par la GRICS depuis longtemps en matière « de services » pédagogiques et administratifs » ?
– « Le libre » favorise-t-il davantage l’autonomie professionnelle des enseignants que « le propriétaire » dans le milieu scolaire ?»
– La personne-ressource RÉCIT va-t-elle devenir un formateur « service informatique » qui suit les directives du plan triennal des services informatiques dans l’avenir ?
N.B. Angélique, je suis conscient de ne pas avoir offert une réponse complète à votre question «quels seraient les autres avantages du libre si on l’adoptait à grande échelle?». Nous aurons probablement l’occasion de mieux y répondre à l’émission de radio de cette semaine 😉
Ouh là là !!! Quel sujet intéressant pour un gars qui manque, justement, de temps (moi) !!!
Mario, tu sais déjà ce que j’en pense, mais je vais prendre un petit peu de temps pour l’écrire ici, car j’assume entièrement mes propos, et n’en suis pas frileux !
La GRICS, c’est cette entreprise (dont l’acronyme finit étrangement par CS, oups !) qui nous a pondu, entre autres, GPI Internet, un logiciel administratif utilisé pour entrer les notes des élèves… Me rappelle, au siège social de ma CS, lors de la présentation de GPI (il y a quelques années) par le « gars de la GRICS », le Technicien en Organisation Scolaire (TOS) de mon école, un collègue et moi, nous nous étions offusqués du fait que si tu ne sauvegardes pas, il n’y a AUCUN message qui te le dit et… tu perds toutes les précieuses données que tu as entrées :-((( Pas fort, non ? Imagine la face du gars de la GRICS quand on lui avait dit ça, ya entre 5 et 10 ans de cela… Et depuis, ce « bogue » n’a jamais été corrigé: ça laisse une drôle d’impression (Pour rester poli).
Autre « anecdote »: quand ma CS a acheté à fort prix (mais ça l’air que la DG de la FCSQ trouve ça très raisonnable: on n’a définitivement pas les pieds sur le même étage !!!) le fabuleux portail Edu-Groupe, qui nous a alors été vanté comme étant la 8e merveille du monde, rien de moins (!), eh bien encore là, je me suis porté volontaire pour tester l’outil en vue de faire partie des formateurs dans mon école quand l’heure de l’implantation viendrait. Autre méga-déception: beaucoup de choses que j’essayais de faire, je n’y arrivais pas. Je correspondais alors par téléphone le soir avec une gentille dame de la GRICS qui me répondait presque invariablement: « faudrait bien le prévoir pour la prochaine version » : encore ici, méchante impression désagréable…
Alors pour la convivialité, la capacité, l’efficience, on repassera. Beaucoup de collègues se plaignent allègrement que le produit ne répond pas aux besoin, etc.
Alors qu’est-ce à dire ? On va continuer de subir ces produits, ou bien, pour les plus fous d’entre nous (car faut être un peu fou pour faire cela), on va continuer de développer, d’utiliser des produits underground (!), mais qui répondent à NOS besoins que ne sait visiblement pas décoder la GRICS (qui a presque une sorte de monopole dans les CS, non ?)
SOUPIR !!!
Et je n’ai pas parlé de l’abandon, le 17 février 2007, par ma CS, de la possibilité de relever son courriel via serveur POP dans un logiciel de courriel, me permettant d’«agréger» plsuieurs adresses courriel… (Raison alors invoquée faussement: diminuer le SPAM, ce qui n’a rien à voir selon les experts externes que j’ai alors consultés) Depuis ce temps, on préfère nous faire passer obligatoirement par le navigateur Internet (Outlook Web App) aussitôt qu’on sort des murs des bâtisses de ma CS.
Dernièrement, pour encore plus de sécurité, on a implanté la faculté de déconnexion, laquelle déconne parfois un petit peu, et qui fait en sorte que, en utisant OWA, on a un temps limite de connexion et qu’il faut rentrer nos paramètres chaque x minutes ou max 8 heures, selon la case cochée (une autre, ben oui, un autre clic de plus)… Consolation: au moins un gars des Services TI de ma CS est rendu sur Twitter à la suite de ces plaintes…
Re-Soupirs !
L’informatique peut nous simplifier la vie, mais encore faut-il choisir les bons outils, et non ceux qui font l’affaire de je-ne-sais-qui… qui ne sont vraisemblablement pas des utilisateurs, ou qui se préoccupent peu de la rentabilité incroyable (et insoupçonnée des admins ?) que peut procurer un outil convivial, simple et efficace ! Voilà !
@SylvainB
Je partage ton point de vue sur GPI, le portail edu-groupe et le serveur pop – j’ajoute tosca, qui bogue couramment sans raison apparente.
Parce que les valeurs qu’ils véhiculent sont universelles, les économies sur les finances publiques substantielles et les expériences dans les écoles du Québec concluantes, les logiciels libres doivent se déployer. Les écoles et les commissions scolaires peuvent et doivent emboîter le pas aux logiciels libres!
Il m’apparaît clair qu’il faille, au Québec, donner un sérieux coup de barre pour intégrer les logiciels libres au sein de l’administration publique. Pour cela il faut une véritable volonté politique. Ce n’est pas la théorie des petits pas annoncée par la présidente du Conseil du Trésor Michelle Courchesne en décembre dernier qui fera la différence.
Dans un contexte de recherche de solutions pour réduire les dépenses publiques, il me semble que c’est évident. Pourquoi alors ne pas en faire la promotion des LL? Qu’est-ce qui empêche qu’on le fasse? Il s’agit d’un virage à prendre et selon moi le gouvernement du Québec et la GRICS, notamment, devraient y participer pleinement. En lisant ces quelques lignes sur le blogue de Mario Asselin, j’en déduis qu’il y a encore malheureusement bien des résistances.
Permettez-moi d’indiquer en terminant que j’ai formulé un amendement en matière de LL à la proposition principale du Parti Québécois qui, je l’espère, sera priorisé et adopté lors du prochain congrès national: l’État québécois « dotera le Québec d’une politique d’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts, notamment en ouvrant les appels d’offre en informatique à ces technologies au sein de l’administration publique, en s’inspirant des expériences québécoises et internationales. Les mots d’ordre : modernité et indépendance technologique. »
[…] écris deux billets à l’époque qui me semblaient bien résumer les enjeux du moment : « Les politiciens, les logiciels libres et l’éducation » et « La GRICS confirme : le libre fait partie des solutions envisagées pour Édu-groupe ». […]
[…] dire que ce soit un très grand succès. En avril 2011, je m’étais commis dans un billet (Les politiciens, les logiciels libres et l’éducation) où il était question d’une « politique-cadre sur la gouvernance et la gestion des […]
[…] dire que ce soit un très grand succès. En avril 2011, je m’étais commis dans un billet (Les politiciens, les logiciels libres et l’éducation) où il était question d’une « politique-cadre sur la gouvernance et la gestion des […]
[…] me suis souvent prononcé sur ce sujet des logiciels libres dans le passé (1, 2, 3). Je compte suivre l’évolution de ce dossier de très près… Ce contenu a été […]