La discussion s’engage… je reçois des courriels, des commentaires sont déposés à la suite de billets, des conversations « de corridors » se tiennent ça et là; de toute beauté!
Une des communications électroniques reçue fait mention de deux éditoriaux de Michèle Ouimet récemment parus dans La Presse (29 et 30 septembre) qui s’intitulent « La dictature du faible » et « La dictature de la cote R ». Je ne trouve pas d’hyperliens menant à ces ressources; je me permettrai donc de reproduire les deux textes plus bas.
Le valeureux parent qui a attiré mon attention sur un de ces papiers avait le commentaire suivant :
« L’éducation et l’instruction de nos enfants nous préoccupent tous au plus haut point. Nous souhaitons leur réussite et voulons qu’ils poursuivent le plus longtemps possible leurs études pour se diplomer et se donner un bel avenir. Il est vrai que certains élèves moins talentueux pourraient perdre courage et motivation dans un système d’éducation fait pour les forts et ne pourraient supporter l’agaçante comparaison avec leurs pairs. Il est vrai que nous devons souhaiter la réussite du plus grand nombre d’enfants et que nous devons nous interroger sur la façon de les instruire. De nouveaux modes d`apprentissage sont certes les bienvenus pour allumer et capter l’intérêt des élèves. (…)
Toute cette réforme est fort bienvenue et nous louons les efforts déployés par tous et toutes pour l’instaurer. Mais il faut être prudent sur la façon et les moyens d’implanter cette « réingénirie » de l`éducation.
Il ne faut pas abolir pour autant les notes qui sont un repère fiable et précis pour les enfants et leurs parents. Ce sont des moyens de se calibrer et d’évaluer ses limites et ses capacités; un moyen de découvrir des intérêts et de révéler de très grandes aptitudes, une source de motivation et d’amélioration pour les élèves. Et oui, une note peut servir à s’améliorer et à se donner des objectifs et des buts personnels, à corriger des lacunes, à se dépasser et se surpasser. Il n’y a aucun mal à cela. La société n’a pas besoin de gens qui se contentent d’une norme; elle a plutôt besoin de personnes qui mettent leurs talents au service des autres et tout les gens possèdent de belles ressources; il suffit de les révéler. L’effet pervert des notes, c’est la comparaison qu’elles engendrent. Nous avons, comme éducateurs et comme parents, le rôle de protéger nos enfants contre cette mauvaise pratique mais nous avons aussi le devoir de ne pas leur cacher leur valeur et leurs faiblesses car elles sont leurs plus beaux atouts dans la vie . Nous devons apprendre aux enfants à gérer leur succès comme leurs échecs; ils en affronteront inévitablement dans la vie et c’est bien mal les préparer que de leur cacher la vérité dans un bulletin obscur. S’il vous plaît Monsieur le directeur, n’abolissez pas les notes dans notre école… »
Monsieur le directeur est en réflexion… et il apprécie toutes les opinions!
Mise à jour du 5 octobre : Ce texte de Stéphane qui réagit à un passage de l’article de Mme Ouimet…
La Presse
Forum, lundi 29 septembre 2003, p. A8
LA DICTATURE DU FAIBLE
Michèle Ouimet
Voici le premier de deux éditoriaux sur l’importance des notes et de la performance à l’école.
Automne 2001: les bulletins descriptifs soulèvent les passions. Le ministère de l’Éducation ne jure que par les petits bonshommes, les couleurs, les symboles ou les feux de circulation, vert quand tout va bien, rouge lorsque l’élève éprouve des difficultés.
Ceux qui s’accrochent aux bons vieux bulletins avec notes, moyennes de groupe et pourcentages sont des dinosaures qui n’ont rien compris à la nouvelle pédagogie, laissent entendre les experts du ministère de l’Éducation avec un mépris à peine voilé. Les parents doivent donc se contenter de bulletins obscurs qui leur indiquent que leur enfant « chemine bien dans le développement de leur compétence ».
Ce qui compte, croit le Ministère, c’est le cheminement de l’enfant, sa progression dans « l’acquisition d’une compétence ». Il ne faut jamais, au grand jamais, comparer un élève au reste du groupe, sinon on stigmatise les faibles. Et qu’un parent ne s’avise surtout pas de demander si son enfant est le premier de sa classe ou le dernier, car cette question est ringarde, dépassée et elle sent l’élitisme à plein nez.
Absurde.
C’est finalement le premier ministre de l’époque, Lucien Bouchard, qui a rappelé tout ce beau monde à l’ordre en osant dire tout haut ce que bien des gens pensaient tout bas, soit qu’il préférait les bulletins « comme quand on était jeune » et qu’il « fallait faire simple ».
Le ministre de l’Éducation d’alors, François Legault, a avalé ce désaveu de travers. Il a accepté, du bout des lèvres, de donner de la corde aux écoles, qui peuvent, si elles le souhaitent, réhabiliter les notes et les moyennes de groupe même si ça ne respecte pas l’esprit de la réforme qui vire les écoles à l’envers depuis trois ans.
Ces miettes lancées aux parents ne changent pas grand-chose. Ce que le Ministère rejette, ce ne sont pas les notes ou les pourcentages mais la comparaison avec le groupe, car elle heurte toute la philosophie de sa réforme.
Les technocrates ont d’ailleurs accaparé le dossier de l’évaluation et ils l’ont compliqué à souhait. Préparer un bulletin est devenu une opération absurdement complexe. Le vocabulaire a changé. On ne parle plus de bulletin mais « d’évaluation des apprentissages » et « d’échelles de niveaux de compétence ».
Le discours est devenu archicompliqué et le Ministère, fidèle à sa marotte, a pondu deux documents- 185 pages au total- qui décortiquent avec un soin maniaque « l’acte d’évaluer ». Pauvres enseignants!
Toute cette lutte entre bulletin descriptif et notes traditionnelles n’est pas anodine. Autour de cette question, deux visions de l’éducation s’affrontent. La première, plus traditionnelle, mise davantage sur un enseignement magistral et systématique des connaissances. L’autre, prisée par le ministère de l’Éducation, croit aux vertus de la pédagogie par projets et à l’autoapprentissage, où l’enfant tâtonne pour découvrir les règles de grammaire ou les lois de la mathématique.
Le bulletin se trouve au beau milieu de ce champ de bataille idéologique qui ne date pas d’hier.
Dans les années 1980, le ministère a éliminé les voies au secondaire- allégée, régulière et enrichie, sorte de clone du cours classique, scientifique et général- au nom d’un égalitarisme bébête.
De là sont nés les fameux bulletins descriptifs qui excommunient toute comparaison. C’est le triomphe de la dictature du faible, qu’il ne faut pas traumatiser, et de l’enfant-roi, qui refuse d’être poussé, bousculé. On surprotège les enfants, on les dorlote et on les met à l’abri de la vraie vie. Cette idéologie égalitaro-gogauche s’est développée dans les années 1980 et 1990 et elle marque l’actuelle réforme.
Important, les notes? Mais oui, c’est une évidence.
L’évaluation est un mécanisme classique qui existe depuis des temps immémoriaux. Tout le monde est évalué: au travail, dans les sports, au cégep, à l’université. Pourquoi les élèves du primaire et du secondaire vivraient-ils dans un univers à part?
Sans tomber dans le délire de la surcompétition, on peut affirmer que les élèves doivent être évalués et, oui, oui, comparés au reste du groupe. L’évaluation permet aux cégeps et aux universités de trier les élèves, les forts dans des programmes exigeants et les faibles dans des domaines plus accessibles. Si on leur enlève cet outil- juste, équitable et transparent- comment pourront-ils choisir leurs élèves?
Pour l’instant, le Ministère n’a pas de réponse. Et ça, c’est inquiétant.
La Presse
Forum, mardi 30 septembre 2003, p. A14
LA DICTATURE DE LA COTE R
Michèle Ouimet
Voici le deuxième et dernier éditorial sur l’importance des notes et de la performance à l’école.
Pour entrer en médecine à l’Université de Montréal, un étudiant doit avoir une cote R d’au moins 34, c’est-à-dire qu’il doit être brillant, studieux, performant et premier de classe depuis la quatrième secondaire.
Si l’étudiant ne possède pas ces qualités, il peut dire bye-bye à la médecine. Le système est dur, impitoyable et hyper-compétitif. Mais a-t-on le choix? Quels critères les universités doivent-elles utiliser pour faire le tri entre les milliers de demandes qui, chaque année, atterrissent chez elles?
À l’Université de Montréal, par exemple, il existe 70 programmes contingentés sur un total de 180. L’année dernière, 30 500 étudiants ont fait une demande pour être admis dans les 70 programmes contingentés. De ce nombre, seulement 5600 ont été acceptés. À peine 18 %.
Pour sélectionner les meilleurs étudiants, les universités ont mis au point la cote R en 1995. Son calcul est archi-compliqué, car il tient compte non seulement de la moyenne de l’élève, mais aussi de la force de sa classe, de son école et du programme auquel il est inscrit. Bref, l’étudiant est suivi à la trace, de la quatrième secondaire à la fin du cégep.
En 1996, un professeur du cégep de Rosemont avait protesté contre la dictature de la cote R. Selon lui, ses élèves devaient obtenir une moyenne de 104 % pour être admis en médecine. La cote R, disait-il, pénalise les cégeps faibles. C’est vrai. Mais elle a aussi l’immense avantage de ne pas défavoriser les élèves forts qui étudient dans des écoles ou des programmes exigeants.
Pendant que l’élève doit performer s’il veut se tailler une place dans une faculté prisée, l’école primaire et secondaire lui envoie des signaux complètement différents.
L’école carbure au bulletin descriptif et évacue toute comparaison de crainte de traumatiser les chers petits. Dans ce modèle qui baigne dans le gnangnan, les faibles sont surprotégés.
Le système est hypocrite. On donne l’illusion aux jeunes que les notes ne sont pas importantes, qu’ils doivent « cheminer dans le développement de leur compétence » sans tenir compte du voisin.Sauf qu’au cégep et à l’université, ils frappent un mur et se heurtent à un système compétitif auquel ils n’ont pas été préparés et où la comparaison fait foi de tout.
Bien sûr, une société hyper-performante qui fouette les jeunes et qui est obsédée par les notes n’est pas souhaitable. Il faut se poser des questions sur le sens de la réussite, mais il faut aussi trouver des critères justes, équitables, transparents et socialement acceptables pour justifier qu’une université choisit tel étudiant plutôt que tel autre.
Les universités ne peuvent pas adopter des critères subjectifs basés sur la tête du client. Elles doivent être au-dessus de tout soupçon dans la sélection des étudiants. La note a l’avantage de ne pas être arbitraire. Elle est aussi un bon indicateur de la force d’un élève et de sa capacité à réussir un cours exigeant. Ceux qui ont une moyenne inférieure à 70 % au secondaire, par exemple, doivent d’abord réussir un trimestre d’accueil au cégep avant d’attaquer un programme sinon ils risquent d’échouer. Évidemment, ils n’ont aucune chance d’être admis en médecine.
Avec l’arrivée massive des femmes aux études supérieures et la démocratisation de l’enseignement, la cote R s’est transformée en un puissant outil de sélection. La pression sur l’université n’a jamais été aussi forte. En 1951, à peine 2 % de la population avait un diplôme universitaire. Aujourd’hui, ce chiffre atteint 20 %.
Pour l’instant, la cote R est le système le plus équitable, car il évalue l’élève sur plusieurs années. Certains croient qu’il faut la jumeler avec d’autres critères de sélection, comme l’entrevue. C’est ce que fait l’Université de Montréal. Mais pour être admis en entrevue, l’élève doit avoir une cote R d’au moins 34. On n’en sort pas.
Introduire de nouveaux critères de sélection constitue une opération délicate. En médecine, 80 % des élèves sont des filles. L’université peut-elle exiger une cote R de 30 pour les garçons et de 34 pour les filles afin de rétablir l’équilibre? Non, évidemment. On ne va tout de même pas se mettre à punir les filles. Ce critère est socialement inacceptable.
Les notes sont importantes, peu importe ce qu’en pensent les fonctionnaires du ministère de l’Éducation qui concoctent des bulletins déconnectés de la réalité. Pour l’instant, c’est le système le moins imparfait qu’on ait trouvé.