Cette expression est nouvelle pour moi bien qu’il me soit arrivé de la lire à quelques reprises ces derniers temps. Personnellement, j’emploie beaucoup « créer du sens » ou « faire du sens ». Je me propose aujourd’hui de tenter de faire le tour de la question soulevée par Stéphane sur ce billet : »L’hypothèse que j’avance depuis un certain temps, c’est que le plus grand bénéfice des blogues n’est pas principalement au niveau de la négociation de sens, élément clé de la coconstruction de connaissances. »
D’abord, dans l’esprit de ce que s’est raconté sur ce fameux billet encore chez Stéphane, je suis convaincu que l’outil du cybercarnet en lui-même peut ne pas produire beaucoup de sens. J’entends par là qu’utiliser ou faire utiliser cet outil de publication Web sans intention pédagogique ouverte ou en le faisant sous forme de cours comportant une obligation d’utilisation restrictive, ne procurera pas les résultats attribuables à du sens.
Mais définissons l’expression « négociation de sens » ou encore faire ou créer « du sens ». En utilisant le mot « sens », on pense toute suite à la vue, au goût, à l’odorat, à l’ouïe et au toucher quand on évoque le concept, mais en éducation, ce terme renferme davantage de subtilité. Dans ce document auquel je me réfèrerai, « L’éducateur comme passeur de sens« , l’auteur s’en remet à l’expertise d’un chercheur en éducation : « Ainsi pour Bernard Charlot : « a de la « signifiance » ce qui a du sens, qui dit quelque chose du monde et qui s’échange avec d’autres » (p.63). »
Dans notre contexte, je serais d’avis que cette source peut m’aider à préciser davantage. Stéphane avait attiré notre attention sur ce document en mars 2004. Essentiellement, l’auteur dit que « dans une communauté d’apprentissage, le sens se construit de façon individuelle, c’est-à-dire que chacun se construit son sens, et parallèlement le sens se construit collectivement. La construction se fait donc à deux niveaux : au niveau du groupe, tout le monde doit avoir un but commun (le partage par exemple), ainsi qu’au niveau de l’individu qui doit avoir un rôle dans cette communauté. »
Que savons-nous de plus par la lecture des deux paragraphes précédents ? Que les sens produisent du sens, que ce sens doit nous permettre de nommer la réalité et de le faire par l’échange, la conversation, l’écoute et l’affirmation. Le concept de « négociation » est bien servi par ces trois lignes et en matière d’apprentissage, je me limiterai à cette dernière source pour affirmer qu’en matière « de négociation du sens », il y a beaucoup « d’arbitraire au niveau des résultats qu’elle peut produire. Il y a donc un certain degré d’arbitraire dans la fixation du sens. »
Je reviens à l’hypothèse de Stéphane : »le plus grand bénéfice des blogues n’est pas principalement au niveau de la négociation de sens ». Hum…
Formulée comme telle, je ne peux qu’être d’accord avec cette assertion. Par contre, sans vouloir jouer sur les mots, je dirais que l’utilisation des carnets Web dans le contexte d’une situation authentique, permet de nommer la réalité et de le faire par l’échange, la conversation, l’écoute et l’affirmation. Ce ne sont pas les « blogues » qui font le travail, ce sont les intentions pédagogiques de la personne qui encadre la démarche qui facilite la négociation de sens. Les « blogues » ont cette capacité, mais ils ne sont rien d’autre que des outils qui, mal utilisés, peuvent produire du « contre-sens ».
Dans l’article de Stephen Downes paru cet automne, j’avais été frappé par cet extrait rapportant la vision de Will Richardson :
« As Richardson says, blogging as a genre of writing may have ³great value in terms of developing all sorts of critical thinking skills, writing skills and information literacy among other things. We teach exposition and research and some other types of analytical writing already, I know. Blogging, however, offers students a chance to a) reflect on what they are writing and thinking as they write and think it, b) carry on writing about a topic over a sustained period of time, maybe a lifetime, and c) engage readers and audience in a sustained conversation that then leads to further writing and thinking. » (…)
Ken Smith ajoute dans le même article : « Blogging, at base, is writing down what you think when you read others. If you keep at it, others will eventually write down what they think when they read you, and you’ll enter a new realm of blogging, a new realm of human connection. »
Richardson revient plus loin en disant : « This [the blogging process] just seems to me to be closer to the way we learn outside of school, and I don’t see those things happening anywhere in traditional education.² Et il demande : ³Could blogging be the needle that sews together what is now a lot of learning in isolation with no real connection among the disciplines? I mean ultimately, aren’t we trying to teach our kids how to learn, and isn’t that [what] blogging is all about?
Je crois vraiment qu’empreinte d’une démarche ouverte et cadrée dans une pédagogie adaptée, l’utilisation des carnets Web peut participer à la négociation de sens et coconstruire des connaissances. J’ai observé souvent chez mes jeunes (et les moins jeunes) « l’échange, la conversation, l’écoute et l’affirmation », ingrédients si important contenus dans la définition de départ.
Je ne demande pas à avoir absolument raison, mais je tiens à ce qu’on ne dénature pas « le phénomène » juste parce qu’il devient « tendance » pour des bonnes et de mauvaises raisons.
J’ajoute que de nombreuses utilisations des carnets Web ne favoriseront pas cette négociation de sens. Il est donc possible dans certaines conditions, dont celles où le paradigme de l’enseignement serait roi et maître, que l’hypothèse de Stéphane et de Bill Bruck se vérifie…
Le cybercarnet permet le sens, il le favorise, mais il ne crée pas en lui-même !
Blogue et négociation de sens
Quelques raisons qui m’incitent à croire que la force des blogues ne se situe pas au niveau de la négociation de sens. C’est en réponse à ce billet de Mario. Ce passage de Ken Smith cité par Mario me servira:…
Pour préciser mon point de vue – et complexifier le questionnement un brin – j’ajouterais que mon hypothèse était formulée surtout en considérant une utilisation des blogues qui est orientée dans un contexte d’apprentissage plutôt que d’enseignement 🙂
La suite ici: http://carnets.ixmedia.com/stephane/archives/007231.html
Blogue et négociation de sens
Quelques raisons qui m’incitent à croire que la force des blogues ne se situe pas au niveau de la négociation de sens. C’est en réponse à ce billet de Mario. Ce passage de Ken Smith cité par Mario me servira:…
De quelle nature de l’interaction carnetière?
Par rapport à ceci, sur le carnet de Mario, et à cela, sur celui de Stéphane, je me permets de suggérer la lecture de ce texte de Jill Walker, que me suggérait il n’y a pas très longtemps René Audet: Social and Scholarly « While direct links are part o…
Merci, Mario de m’avoir fait découvrir le texte de René Barbier intitulé « L’éducateur comme passeur de sens ». Si je peux retourner la faveur, je crois que tu apprécieras Teaching for Understanding, de David Perkins.
L’obligation de sens dans les apprentissages est sans doute ce qui me guide le plus férocement dans ma pratique pédagogique. Cela explique, entre autres, pourquoi je refuse d’enseigner la même chose à tous les élèves de la classe, et surtout pas tous en même temps. Si les élèves trouvent peu d’intérêt (donc peu de sens personnel) dans un atelier que je propose, je préfère qu’ils travaillent à autre chose, voire ailleurs, même si c’est pour une autre discipline scolaire. J’ai trop souffert d’apprentissages inutiles pour répéter la même erreur avec mes élèves.
Une des principales difficultés avec la notion de sens est de concevoir que le sens est toujours multidimensionnel. Le même objet a une signifaction personnelle, bien sûr, mais aussi une dimension naturelle et une dimension sociale. Mais surtout, il possède un métasens qui naît du jeu de l’interaction de toutes ces dimensions. De toute évidence, l’école se contente trop souvent d’unidimensionnalité de sens. Et peut-on réellement parler de sens après qu’on ait supprimé la philosophie des apprentissages ?
Quant à l’apport des blogs dans la construction de sens, il est indéniable qu’ils favorisent l’épanouissement du sens. En ce sens, ils jouent le rôle de catalyseur et de bougie d’allumage. Il y a un effet d’affordance, comme le suggère Gibson. Ils incitent non seulement à la réflexion personnelle, mais les commentaires ajoutent une dimension sociale qui élargit le sens original. Par ailleurs, il est indubitable que l’écriture, laquelle nécessite l’organisation de la pensée, concrétise et approfondit le sens.
Pour reprendre les expressions utilisées par François, c’est la dimension sociale du sens que je trouve moins présente avec les blogues. Je pense qu’ils « afford » surtout la création de nombreuses significations individuelles. De nouvelles dimensions sociales sont présentes mais elles sont tellement peu nombreuses comparativement aux individuelles qu’elles sont noyées par ces dernières. En améliorant les mécanismes d’explicitation des processus, je pense que cela pourrait améliorer la situation.
J’en parle plus longuement ici:
http://carnets.ixmedia.com/stephane/archives/007244.html
Expression et transformation de la connaissance
Le carnet est le lieu d’une fabrication cognitive du sens pour l’individu et par ricochet le groupe, mais pas de façon formelle.