Utiliser une pédagogie plus ouverte peut s’avérer dangereux dans le paradigme de l’enseignement

Je réfléchissais à ce qui se passe en France et je me disais que, peut-être, il y avait dans ce qui se passe là-bas des leçons à tirer pour nous. Je m’explique… L’origine de ma réflexion part d’un article paru dans Le Figaro (Extraits du bloc-notes d’ Ivan RIOUFOL) qui n’est plus en ligne.
– Tout à coup leur réforme (pas celle de Fillon, mais celle d’avant, aux mêmes teintes que la nôtre) ait foiré parce que les pédagogues ont échoué dans leurs tentatives de faire apprendre tout en s’assurant de la maîtrise des savoirs et de la culture.
(Quand on lit cet extrait, on ne s’étonne pas : « Quelques chiffres connus : 30% de mal-lisant à l’entrée en sixième, 40% de mal-écrivant, 35% de sachant pas compter. 200 000 élèves ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux. »
– Tout à coup le prosélytisme des immigrants ait engendré de l’imcompréhension et de l’intolérance dans la population.
(Quand on lit cet extrait, on ne s’étonne pas : « Dans nombre d’établissements, la mixité est remise en question par les garçons. Des petits refusent de chanter, de danser, de dessiner un visage pour des raisons religieuses. Des élèves contestent Rousseau, trouvent Cyrano de Bergerac et Madame Bovary licencieux. D’autres s’interdisent d’utiliser le signe « + » parce qu’il ressemble à une croix. »)
– Tout à coup la perte de signifiance entre enseignants et élèves mène à la violence et au désordre.
(Quand on lit cet extrait, on ne s’étonne pas : « L’école produit, coûteusement, de l’illettrisme et de la violence. Cette dernière a représenté 80 000 actes en 2004.)
– Tout à coup cadres et employés se braquent dans leur positions syndicales ou dogmatiques pour engendrer chaos et sclérose qui se manifestent par des grèves ou des « lock-out ».
-Tout à coup un système d’éducation qui risque de tomber en faillite parce que les écoles ne peuvent plus rendre les services appropriés, le ministère se sentirait obligé de créer un monopole pour s’assurer de l’adhésion de ceux encore capables de se motiver et de croire en la plus value de la fréquentation scolaire.
Je ne dis pas que nous en sommes là. Mais si nous continuons de promouvoir la diversification des approches pédagogiques sans aider les gens à déménager dans le paradigme de l’apprentissage, j’ai bien peur que nous ne serons pas plus brillants.
Car enseigner en utilisant des stratégies plus ouvertes peut s’avérer très dangereux dans le paradigme de l’enseignement.
Appliquer « la recette comprise » ou « le protocole saisi », essayer pour voir ce que ça donne puisque c’est ce qu’on nous demande ou encore, tenter des expériences sans s’assurer de comprendre ce qu’est une tâche authentique, est pire que d’enseigner dans le paradigme de l’enseignement.
Je propose donc :

D’agir de façon à ce que les citoyens deviennent des demandeurs des changements proposés en éducation.
Comment ?
1) En travaillant d’abord avec ceux qui sont « chauds » pour s’approprier la réforme. Ces gens sont souvent en périphérie de nos organisations parce qu’ils ont peu ou pas investi dans l’ancien paradigme (de l’enseignement).
2) En offrant un support constant et différencié aux personnes qui, en ce moment, sont demandeurs :
i. Aux cadres (écoles et C.S.): Les aider à changer leurs pratiques d’animation plus qu’à les convaincre de l’utilité de convertir tout le mondeŠ
ii. Aux enseignants : Les aider à diminuer le nombre de leurs certitudes. Exiger le réinvestissement pour chaque formation reçue, prendre beaucoup de temps pour objectiver et « ouvrir le robinet » pour tout ceux qui veulent. Nommer des « comportements-réforme » et partager cette information. Cultiver chez ces personnes le fonctionnement en réseau et valoriser les processus d’appropriation des bons coups !
iii. Aux parents : S’intéresser sérieusement à ce qui se passe à l’école. Poser des questions aux enfants qui ne se répondent pas par « oui » ou par « non ». Se souvenir que les enfants aiment leurs professeurs et leurs parents intrinsèquement. Quand ils laissent poindre un doute sur la qualité des enseignants, ils contribuent à placer leurs enfants devant un dilemne insoluble. N.B. C’est la même chose à l’inverse quand les enseignants se laissent aller à dénigrer les parents des élèves en leur présence [des jeunes].
iv. Aux élèves : Faire tout son possible pour les rendre entousiastes et actifs dans leurs apprentissages.
3) Offrir des « espaces encadrés » pour l’expression des résistances. Prendre le temps de les accueillir, déloger les tensions exercées par la problématique de la réforme (et des changements émergents) ; avancer à un rythme différencié par rapport aux angles d’attaques de l’appropriation. Autrement dit : partir des résistances pour répondre à la question « qu’est-ce qui est impossible à faire maintenant, mais qui le devenant [avec l’arrivée de la réforme] pourrait changer vos pratiques d’enseignement ?» Ne pas aller trop vite avec la question, mais la poser dès que le moment propice se pointe !
4. Prendre la parole le plus souvent possible sur ce sujet de la réforme en ÉVITANT d’utiliser le jargon utilisé à l’interne. Parfois, nommer les équivalences dans le vocabulaire et le plus souvent possible, interroger les interlocuteurs sur ce qu’ils comprennent (objectiver). Ne pas hésiter à répondre aux questions au fur et à mesure qu’elles se posent. Ne pas aller trop vite pour rien. Essayer d’y aller un message à la fois, avec les journalistes en particulier. Former les porte-paroles (Ministre, sous-ministre et autres) pour qu’ils deviennent confortables avec deux ou trois idées centrales de la réforme et laisser les « techniqualités » aux palliers plus proches de l’actionŠ Centrer beaucoup les interventions sur le changement de paradigme, recadrer « De l’élève savant à l’élève compétent (?)» par « Un élève compétent c’est un élève savant (!)» et sur le fait que nous visons avant tout que les jeunes prennent un part plus active dans leurs apprentissages. Dire qu’au sujet des profs, on ne veut qu’ils possèdent plusieurs cartes dans leur jeu pas seulement celle du « je parle et tu écoutes ». Ces cartes s’additionnent et demandent du temps avant de pouvoir les utiliser à leur plein potentiel.
Et puis, on fait preuve de patience, diable… Qui a dit que tout cela devait se faire à la vitesse de l’éclair !
Mise à jour du 5 février : Billet « franchement » intéressant chez Jean Trudeau qui fait suite à ces élucubrations…