N.B. Ce billet fait partie d’une série sur un livre réalisé à partir d’une série d’entretiens.
LE RÔLE DU PRIMAIRE
Au préscolaire et au primaire, une valeur manque : l’éducation aux délais. Il faut dès maintenant introduire la notion d’attente chez les enfants. Ils ont tout trop vite ! La société, depuis vingt ou vingt-cinq ans, a vraiment misé là-dessus. Les deux parents travaillent, il y a une forme d’urgence dans la consommation, et aujourd’hui les enfants se lèvent et ne font que peser sur des pitons, du réveille-matin au lave-vaisselle en passant par le grille-pain. Ils ont du feed-back très rapidement; ils ont presque instantanément ce qu’ils veulent. La valeur de l’attente et de l’effort n’existe pas pour eux.
Il faut apprendre aux enfants que, même s’ils ont un besoin ou une envie, il se peut qu’ils ne puissent pas le satisfaire avant quelques heures, quelques jours, quelques semaines, quelques mois. Idéalement, cet apprentissage devrait se faire à la maison. Mais on n’a pas le choix de l’aborder à l’école parce qu’il est impossible d’enseigner efficacement à des enfants qui n’ont pas appris à composer avec les délais.
Un enfant qui ne réussit pas immédiatement ce qu’il entreprend et qui n’a pas eu d’éducation aux délais va paniquer. Il va se sentir incapable, pas intelligent, pas bon. Il va lui-même mettre un cadenas sur sa faculté d’apprendre.
La capacité des enfants à patienter a beaucoup diminué. Je suis un fervent utilisateur des technologies, mais sur ce plan-là, elles renforcent le piège parce que les élèves cherchent et trouvent tout rapidement. Nous avons donc d’autant plus l’obligation de faire de l’éducation aux délais, car le phénomène ne va aller qu’en s’amplifiant.
Ensuite, la confiance en soi est primordiale. Dès qu’on a un tout-petit à la maison, on bâtit sa confiance. La préservation de cette confiance chez les enfants du primaire devrait être notre sport national.
On a tendance à penser que les jeunes sont gâtés et que, au contraire, il faudrait les brasser. Le manque de confiance en soi est la pauvreté d’aujourd’hui. Pourquoi se suicident-ils ? Pourquoi lâchent-ils l’école ? C’est parce que la confiance passe en dessous de zéro.
LE RÔLE DU SECONDAIRE
Le premier élément à partir duquel on peut (re)prendre confiance, est le corps. Il faut absolument augmenter l’activité physiques au secondaire, toute activité par laquelle un adolescent réalise quelque chose avec son corps.
Un corps, ça ne ment pas. On ne peut pas dire : « Ce n’est pas moi qui l’ai fait » ou « Je n’en suis pas responsable ». Le jeune examine et analyse ce que son corps a fait, se regarde, se parle, puis comprend et gagne en confiance.
Le secondaire est le lieu parfait pour remplir le quotidien des enfants de choses qu’on peut accomplir avec son corps. Ce n’est pas qu’une question de sport : les arts plastiques, le théâtre, etc., ce sont des activités qui concernent le corps. L’objectivation qui découle de ça favorise beaucoup la confiance.
Avec le temps, j’ai compris que les jeunes qui ne s’affirment pas, qui rentrent facilement dans les rangs, qui sont constamment dans le silence, sont réellement les enfants dangereux… Ils finissent par éclater, tôt ou tard. Les parents d’un enfant qui reste comme ça jusqu’à dix-sept ou dix-neuf ans trouve ça facile, mais ça peut être dangereux. Plus tard, quand il aura vingt-six ou trente ans, les parents se diront: « J’aurais dû le brasser avant. »
C’est un symptôme: quand on est heureux dans le moule de l’enfant passif, c’est que l’école nous a rendus comme ça. Je suis pour l’augmentation des droits de scolarité, mais je suis ravi que les jeunes se soient levés au printemps 2012, qu’ils se soient animés, affirmés. C’est fondamental : si on ne donne pas confiance aux enfants dans le système d’éducation, on ne le fera jamais.
S’affranchir du regard des autres, c’est aussi lié à cette question de confiance et d’affirmation. Les jeunes d’aujourd’hui sont capables de s’opposer à des points de vue différents du leur. Leur prise de parole publique est facilitée par le fait qu’ils peuvent publier du contenu partout. Ils n’ont pas cette inhibition que les gens de ma génération avaient quant au jugement des autres, à l’interdiction de parler en public.
LE RÔLE DE L’UNIVERSITÉ
L’université est un lieu de travail où on établit des vocations, où on forme des professionnels, mais il y a trop de désintérêt. Les professeurs obnubilés par la recherche m’exaspèrent. La pédagogie ne les intéresse pas. On devrait revaloriser la fonction de professeur puisque celui-ci a la responsabilité de transmettre des savoirs à un groupe de futurs professionnels.
Je n’ai rien contre la recherche ; au contraire, on en a besoin, mais ce n’est pas normal qu’à la moindre occasion, les professeurs s’arrangent pour ne pas avoir à donner des cours. Ce sont des chargés de cours qui enseignent à l’université. Les étudiants le disent régulièrement: ils veulent rencontrer des professeurs. Les chargés de cours font du bon travail – j’en suis un –, mais ça reste des chargés de cours! Je ne comprends pas que l’université fonde son capital sur des chargés de cours. Ça m’apparaît antinomique.
Il faut qu’à l’université on retrouve le goût de la transmission des savoirs, sans que le professeur ait la prétention que tout doivent passer par lui. On est dans une économie de l’abondance, surtout sur le plan des données. Toutes les données ne sont pas des connaissances, mais pour le devenir, elles doivent subir l’épreuve des vérifications, ce qu’une bonne grille de lecture peut favoriser.
Communiquer des savoirs, c’est aussi transmettre des grilles de lecture. Trop de jeunes ont appris à contourner les grilles de lecture en l’absence d’autorité du professeur. Dans les années 1950 et 1960, ce que le prof disait, c’était la vérité. Aujourd’hui, les jeunes sont suspicieux, ils se méfient. Le professeur doit s’affirmer. Il doit avoir un tamis dans sa poche et le sortir constamment : « Ce que tu viens de dire, on va le passer au tamis, juste pour être sûr… As-tu vérifié tes sources ? Sais-tu d’où ça vient ? Qui en est l’auteur ? » C’est absent à l’université… Ce n’est pas pour rien que Wikipédia s’est établi comme une folie !
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