La carnetosphère est secouée depuis quelques jours par un événement hors de l’ordinaire. Il s’agit du premier directeur d’école à perdre son poste à cause de son blogue. Il y a une abondante documentation qui accompagne la couverture de cet événement. Tard hier soir, au moment où je suis arrivé de réunion, j’ai offert mon opinion sur ce billet du carnet Web « Embruns ». Laurent a regroupé beaucoup d’information sur le sujet qui permettent d’avoir accès à un large éventail de points de vue. Un blogueur bien connu, « Maître Eolas » a écrit une lettre très percutante au Ministre de l’Éducation nationale, celui qui a signé la révocation du proviseur.
En gros, est reproché à celui qui bloguait sous le pseudonyme de « Garfieldd » un tas de choses de moins en moins claires; il s’explique dans cet interview.
Je ne crois pas que la carnetosphère s’enflamme pour rien dans ce cas-ci. Plusieurs médias ont rapporté l’incident et les faits en cause semblent démontrer que les gens qui ont pris la décision de révoquer le chef d’établissement ont fait preuve d’une méconnaissance du domaine. Le fait qu’il soit homosexuel et que son blogue lui ait servi d’exutoire, le fait qu’il ait blogué de façon imprudente en mélangeant les styles et en se faisant accroire qu’il était bien caché derrière son pseudo, justifie-t-il un renvoie? Plusieurs blogueurs, dont je suis, croient que cette affaire est allée beaucoup trop loin malgré une responsabilité évidente du principal intéressé (Emmanuel Davidenkoff rapporte un extrait du blogue qui porte à réflexion).
Toute la classe politique française semble séduite par ces nouveaux médias comme en témoigne ce billet de Loïc sur le sujet du proviseur révoqué. Une page d’histoire de la carnetosphère est peut-être en train de s’écrire, car les choses avancent toujours différemment quand le scandale s’emmêle! Cette « affaire » contient tous les ingrédients pour attirer l’attention des masses sur l’utilisation des blogues dans un contexte éducatif. Beaucoup de nuances restent à faire, mais à court terme, je crois que tous les «édublogueurs» doivent s’intéresser aux effets de ces événements…
«Résultat, des milliers de gens savent que qualifier le blogue de ce proviseur de pornographique est une insulte à l’intelligence, et que prononcer la sanction maximale à son encontre est, j’allais dire injuste, mais c’est un euphémisme : c’est dégueulasse. Sur son blogue, ce monsieur disait qu’il était proviseur. Rien ne l’interdit, et tu le sais : tu as fait droit, comme moi. Sur son blogue, ce monsieur disait qu’il était homosexuel. Rien ne l’interdit non plus, et dieu merci, aujourd’hui, ce n’est plus honteux de le dire. Sur son blogue, ce monsieur parlait de son école, sans jamais la nommer. Tu devrais lire ces archives, d’ailleurs, si tu as le temps, tu y apprendrais beaucoup de choses très intéressantes sur comment ça se passe sur le terrain. Mais jamais, tu m’entends, Gilles, jamais ce monsieur n’a mélangé son métier et ses orientations sexuelles. JAMAIS il n’a fait le moindre rapprochement ni exprimé le moindre propos déplacé vis à vis de ses élèves. Je ne mens pas, tu peux vérifier. Aucun de ses propos ne tombe sous le coup de la loi pénale, et tu sais qu’en la matière, elle est rigoureuse. »
Extrait de la « Lettre à Gilles » du blogue « Journal d’un avocat »
Dans le 25e commentaire du billet de Laurent où j’ai réagi, on me pose une question : « Mais si c’était précisément ça, un blog, un endroit où les sujets sérieux sont traités au même niveau que les banalités de la vie ? N’est-ce pas par exemple ce que fait Laurent, ici-même? Je comprends cependant ton trouble : il y a des aspects du blog de G. qui me questionnaient moi aussi. Mais c’est parfois « une chance » que quelqu’un t’amène à te questionner, non ? Il me semble que c’est cette ligne que tu défends, dans ta pédagogie. »
Oui, sans conteste, «le blogue de Garfieldd» était un blogue dans le sens le plus pur du terme, si j’ose dire. Je respecte au plus haut point la démarche de l’auteur. Tous ceux qui viennent ici régulièrement savent que le directeur d’école en moi n’est jamais bien loin sur cet espace. J’ai d’autant plus de respect pour cet homme qui a utilisé l’outil pour réfléchir à sa manière sur cet espace de conversations. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il aurait mieux valu conserver l’une ou l’autre des perspectives : soit le regard professionnel, soit le regard personnel excluant sa vie professionnelle. Je peux me tromper, mais « la ligne pédagogique » qu’il me semble que je défends ici est celle du questionnement réflexif qui tient compte du contexte dans lequel je veux que les choses évoluent. Je peux réfléchir tout haut ici et partager bien des choses, mais pas celles qui pourraient compromettre ma capacité d’être un éducateur crédible.
De fait, je réalise que même en dehors de ce blogue, je ne me permets pas vraiment d’agir autrement qu’en éducateur. Je ne dis pas que ça ne m’arrive jamais, je dis que je n’accepte pas vraiment ça de moi quand ça arrive. C’est mon travers. J’ai des enfants, j’aime oeuvrer dans ce secteur. Je ne détiens pas le monopole de la vérité en matière de prise de parole sur un espace public, mais j’ai débuté cette expérience en me disant que je me devrais d’être honnête avec moi ici, mais également, honnête avec ma pratique. Est-ce qu’il y a sur ce blogue quelque chose que je ne pourrais pas dire à l’école ou devant mes enfants? Je ne crois pas. Est-ce que c’est essentiel sur un blogue de penser comme cela? Probablement pas. Est-ce que c’est essentiel de penser comme cela pour tenir un blogue dans un contexte éducatif?
Je suis rendu là pour aujourd’hui…
N.B. Tags pour Technorati : Garfieldd
J’apprécie beaucoup ce billet et à vrai dire, j’attendais ta prise de position. Moi aussi j’ai beaucoup de questions qui tournent dans ma tête, je pense que je rebondirai chez moi à ces thèmes qui s’entrecroisent ici. Une chose est cependant plus importante que tout à mes yeux ces jours-ci : entourer G., cet homme, de notre affection parce que, sachant à quel point son travail était l’axe de sa vie, le révoquer c’est le mettre en détresse.
« J’ai d’autant plus de respect pour cet homme qui a utilisé l’outil pour réfléchir à sa manière sur cet espace de conversations » : voilà une chose importante à dire, je crois, après on peut discuter sur bien d’autres.
Ce que j’ai trouvé de plus gênant dans ce que j’ai pu lire du blog de Garfield, c’est la mise en cause quasi explicite de la compétence et de l’intégrité de collaborateurs, qui sont identifiables. Ce monsieur s’est en quelque sorte substitué juge sur la place publique. Peut-être n’a-t-il pas tord sur le fond, mais nous ne sommes certainement pas loin de ce que l’on peut qualifier de diffammation…
A Romain: De ses collaborateurs? Ou d’un de ses collaborateurs? La différence est de taille. La diffamation, ça a une définition. Qui ne s’applique pas vraiment dans le cas de la personne concernée. C’est au contraire infamant de savoir que l’Education nationale a laissé un tel collaborateur aussi longtemps en poste (sans être révoqué, lui).
« juge sur la place publique ». Ah, exprimer une opinion sur quelqu’un qu’on connaît bien pour bosser au quotidien avec lui, c’est être juge? Je saurai m’en souvenir quand je me moquerai des incompétences de certaines personnes de ma boîte.
Vous pouvez dire ce que vous voulez dans une conversation privée, or le blog est un espace public.
D’autre part, ses commentaires vont au delà d’une opinion. Ils mettent en cause l’intégrité de la personne et sa compétence. Si ce monsieur n’est pas en mesure de prouver ses dire, il est coupable de diffamation.
Petite réflexion!
Si ce monsieur, n’a donné ni son nom, ni celui de son école, encore moins le nom de son collègue, comment pouvoir dire que c’est une diffamation ? Ca me dépasse un peu! Ecartez vous 30 secondes du concept des blogs pour vous rapprocher de celui d’un roman… vous me suivez…
Ce monsieur pourrait très bien être un peu mythomane…
De toutes les manières avait il l’intention de nuire?
Je pense que la véritable question est là!
J’espère que la justice fera sont travail & rien d’autre.
Si l’en on croit cette interview http://www.liberation.fr/page.php?Article=351959, cette personne était identifiable. Mais bon, inutile de s’étendre là dessus, car comme vous le dites céline, la justice tranchera.
En attendant, les noms sont lachés, dans cet article notamment http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=societe/20060116.FAP0061.html&host=http://permanent.nouvelobs.com/ et le résultat est que certaines personnes en souffriront…
J’ai essayé de continuer à réfléchir moi aussi…
http://www.samantdi.net/dotclear/index.php?2006/01/19/486-du-contrat-social-avec-les-familles
Chère Samantdi,
Je me suis commis chez vous avec un peu de longueur, mais votre billet m’a beaucoup inspiré. J’invite les lecteurs qui oeuvrent dans les écoles (en France en particulier) à participer à la conversation à la suite de votre réflexion. À la fin de mon commentaire sur votre blogue, j’ai suggéré une action concrète pour ceux qui trouvent que la révocation de Garfieldd est exagérée. Que j’aimerais être dans l’une de vos écoles en ce moment !!!
Plus facile à dire qu’à faire, évidemment, mais j’espère sincèrement que cet événement pourra connaître un dénouement plus heureux. Pour Garfieldd, pour une meilleure intégration des nouvelles technologies aux apprentissages et pour «l’éduc nat» comme vous dites…
Merci, Mario, vous me faites réfléchir davantage à cette curieuse écriture numérique… et aussi sur ces intermittences du coeur… et de la raison entre lesquelles oscille souvent le blogue, cette espèce de brouillon public, qui a toujours la mise au propre en ligne d’horizon, comme une aspiration à plus de candeur, de « vertu »…?
Quelques pages de mon carnet d’école intermittent (lien an 2003) :
Voici quelques liens pour garder la trace de certains événements qui ont suivis :
La revue de presse du 19 janvier des Cahiers Pédagogiques rapporte des articles qui montrent que le vent commence à tourner pour le proviseur; Philippe Watrelot avait rédigé un billet sur le sujet la journée précédente.
Une rubrique au Café Pédagogique prend position : «Mais la révocation semble disproportionnée à la faute.»
Le communiqué de presse du ministre annonce qu’une « décision mieux proportionnée à la faute commise par ce fonctionnaire» sera prise…
Un article sur Tf1 suit le communiqué.
Laurent a cummulé 219 liens sur son billet qui rassemble les réactions de ceux qui traitent de «L’affaire Garfieldd» (sans compter les 61 commentaires); il a commencé aussi à suivre la piste de ceux qui réagissent au communiqué de l’Éducation nationale…
On peut voir ici aussi.
Merci Mario pour ton commentaire, que j’ai d’ailleurs réédité dans mon billet suivant : je crois que cette « affaire » est loin d’être terminée. Le Ministre est revenu sur la révocation, il reste maintenant à savoir le sort qui attend Garffield. Et en arrière-fond, la question de l’écriture « bloguienne » (bloguesque »?) et de son statut chez les fonctionnaires (mais pas seulement, on peut aussi envisager que cette question concernera tous ceux qui souhaitent parler de leur vie professionnelle et de leur vie privée en un même espace) commence à peine à se poser.
A bientôt !
😉
Bonjour,
Je crois qu’au delà de l’usage du blog, la question fondamentale qui est posée par cette triste affaire est celle du devoir de mémoire. Si mes renseignements sont bon, il n’existe pas de définition juridique claire sur ce que recouvre ce devoirs du fonctionnaire français.
Je serais preneuse de toutes informations à ce sujet.
A vous lire.
Marie-Eve : ne voulez-vous pas plutôt parler du « devoir de réserve » que du « devoir de mémoire »?
Je vous conseille la lecture de ces billets, qui proposent eux-mêmes des liens :
http://megathud.nuxit.net/?2005/05/03/15-blogs-et-fonctionnaires
http://megathud.nuxit.net/?2006/01/18/92-le-cas-garfieldd-a-l-epreuve-du-droit-de-la-fonction-publique
(un p’tit bonjour à Mario en passant : on reste motivés!)