« Formation et profession », c’est le titre du bulletin du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante communément appelé le CRIFPE. L’édition de janvier 2006, toute chaude, qui vient d’être mise en ligne, porte plusieurs regards critiques sur la réforme de l’éducation actuellement en cours.
Quelques textes publiés ont déjà fait l’actualité des derniers mois dont celui des chercheurs Clermont Gauthier et M’hammed Mellouki; titré « L’école: virage ou dérapage? » au Devoir, le même texte paraît maintenant sous le nom de « Nouveau signifie-t-il amélioré ? Évaluons avant de poursuivre la réforme au secondaire » (il portait aussi ce titre dans Le Soleil du 11 février 2005). J’en avais fait écho en février 2005 dans un billet que j’avais intitulé « L’éducation, sujet de débats »; un article sous forme de réplique au groupe de Clermont Gauthier avait été publié au Devoir quelques semaines plus tard, « écrit par un groupe de chercheurs de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval ».
L’entrevue accordée par Robert Bisaillon à Claude Lessard vaut à elle seule la lecture du document. Maintenant professeur invité au Département d’administration et fondements de l’éducation à l’Université de Montréal, il a été au coeur de la mise en oeuvre de tout ce chantier de la réforme à titre d’abord, de co-président de la Commission des États généraux sur l’éducation (1995-1996) et ensuite, au titre de sous-ministre adjoint à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire et secondaire au ministère de l’Éducation, fonctions qu’il a exercées jusqu’en 2005. Ses interventions, toujours éclairantes, ont le don de bien situer les enjeux des changements en cours :
« Le Ministère n’a jamais eu la prétention de dire « comment enseigner » puisque la pédagogie demeure, de toute façon, du ressort de l’enseignant. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de dérives, ni de messages ambigus à cet égard. Mais le Ministère postule que des pratiques pédagogiques moins rigides, conçues en équipes professionnelles, et que des interventions planifiées sur une plus longue durée que la traditionnelle et impitoyable année d’études (à la fin de laquelle un élève réussit ou échoue) donnent plus de chances de réussite aux élèves, à la condition toutefois que soient au rendez-vous des dispositifs additionnels d’aide. »
Dans le contexte de la discussion suite à ce billet sur le carnet d’André Chartrand, il me semble que ça vient remettre les pendules à l’heure sur la question de l’autonomie professionnelle dont disposerait les enseignants.
Les responsables de la revue ont aussi publié un texte de mon ex-collègue Daniel Trottier du Collège Beaubois qui avait posé la question de l’autonomie professionnelle au commentaire # 23 de ce billet ou de nombreux intervenants « jasaient réforme ». Le document de Daniel qui paraît dans le bulletin du CRIFPE est beaucoup plus substantiel et nous replonge au coeur du débat :
« Le message de rupture est ici associé au choc des paradigmes enseignement et apprentissage. La réforme nous engage collectivement à passer du premier au second selon la théorie constructiviste de l’apprentissage. Schématisons : avant l’enseignant déversait des savoirs, maintenant il doit créer les conditions pour que l’élève construise ses propres savoirs. De là découle la perception que la pédagogie du projet est au cœur du nouveau dispositif. Cette perception est tenace. En effet, malgré les efforts louables du Ministère pour recentrer son message sur les finalités du nouveau curriculum dans les dernières versions du Programme de fodéplorée la prédominance de la pédagogie sur les contenus déplorée par Paul Inchauspé, cité précédemment, continue d’occuper les esprits. »
Je ne pourrais qu’apporter la même réponse offerte au commentaire #24 du billet que je citais tout à l’heure.
Clermont Gauthier affirme que l’intention du dossier sur la réforme dans le bulletin du CRIFPE est de pouvoir jouer notre «rôle d’intellectuel qui réfléchit, qui formule des arguments et qui prend position publiquement dans la cité » et force est d’admettre que le bulletin va dans ce sens. La discussion gagnera donc à se poursuivre…
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Bonjour Mario !
J’ai lu le dossier « d’un couvert à l’autre ». Il y a là une ou deux pièces d’anthologie, notamment cette question de Claude Lessard sur la pertinence des pédagogies de découvertes en milieu défavorisé vs des approches magistrocentrées. Parce que sur la question des approches pédagogiques, je veux bien croire qu’il y a eu dérive, comme dit Bisaillon, mais une dérive encouragée par des coups de rames bien placés… Mais, je réfléchissais à tout ça hier soir, puis ce matin, la une de la Presse: les bulletins, les pourcentages et tout ce qui va avec en première page. Je n’ai pu résister et j’ai commenté (encore). Les Bulletins: avant Gomery et Théo…non, mais tu imagines. C’est pas notre Ron (qui a le même nom de famille que notre ministre…tiens,tiens…) qui aurait pensé ça !!!
Les bulletins avant Gomery et les déboires de Théo, du jamais vu !!! Et chaque fois, c’est pareil: Lucien Bouchard, alors premier ministre, avait dit à Paul Arcand, à une heure de grande écoute, préférer les notes et les pourcentages, et ça avait soulevé une tempête.
Pourtant, rien dans la Loi sur l’Instruction publique ou dans le Régime pédagogique actuels n’empêche une école de choisir la notation numérique et les pourcentages. Bien au contraire. Car la question est là: le format du bulletin est de « juridiction » locale. Cela fait partie de ce qu’on appelle la « politique sur les normes et modalités d’évaluation » qui est approuvée par la direction de l’école, sur proposition de ses enseignants. C’est un choix d’école, ce n’est même pas un choix de commission scolaire. Cela fait partie des pouvoirs qui ont été décentralisés, dans le cadre de la réforme. La seule incursion récente du ministère là-dedans, et le ministre l’a rapporté dans ses propos, c’est l’obligation de la notation numérique au 2e cycle du secondaire. Le Régime pédagogique ne prescrit qu’un contenu obligatoire pour les bulletins, c’est-à-dire quelles informations on doit y retrouver (le nom de l’élève, celui des répondants, les matières, les journées d’absence, les compétences évaluées, etc…, il n’en prescrit pas la forme. Il y a même eu des assouplissements quant à la fréquence.
On ne fait pas toujours la part des choses là-dedans. C’est comme pour les approches pédagogiques et les méthodes d’enseignement: le choix est fait par les enseignants. C’est un droit que leur confère la loi elle-même. Alors il y a des limites à ce qu’on doit mettre sur le dos de la « réforme »: dans les domaines de l’évaluation et des méthodes, on a beaucoup décentralisé…et ça fait aussi partie de la réforme.
Mais il en va visiblement des notes et des méthodes comme du reste: entre le droit et l’exercice de ce droit, il y des écarts que chacun peut expliquer…à sa façon. Mais ce sera une autre histoire, un autre jour. Peut-être dans une chronique sur les courages nécessaires!
Une chronique sur les courages nécessaires…
Un livre tu veux dire! Je me suis servi de ton argument (celui qui n’empêche aucune école de choisir la notation numérique et les pourcentages) vendredi lors d’un Colloque qui se voulait aller au-delà de la réforme. De fait, l’école ciblée que je dirigeais n’a jamais abandonné les bulletins avec notes et pourcentages, même si on ne les utilisait pas à chaque étape. Je trouve que ce point que tu apportes pour illustrer que les dérives ne sont pas toujours là où on pense qu’elles sont, est très important.
Le ministre au même nom de famille que celui qui anime les lignes ouvertes sportives avait probablement raison de dire que les parents (comme lui, semble-t-il) ne comprennent rien aux bulletins trop alambiqués et de porter cela dans les salles de presse de tous les médias écrit. Est-ce que cette prise de parole annonce réellement que «2006, sera l’année de l’éducation» comme je l’ai lu dans cet article du Devoir?
Si c’est le cas, je veux bien contribuer en essayant de siffloter à ceux à qui il prête parfois l’oreille que cette année ne le sera (celle de l’éducation) qu’à condition d’être fortement teintée du courage de maintenir le dialogue avec les gens sur la place publique autant qu’en privé. Je suis prêt à lui donner sa chance s’il survit au prochain remaniement…